Vers un énième marché de dupe de Faure Gnassingbé

Relance de l’idée de dialogue politique

Vers un énième marché de dupe de Faure Gnassingbé

 

Pour donner un caractère solennel et singulier à la manœuvre, on a de toute évidence organisé un conseil des ministres extraordinaire, le deuxième de la semaine, au cours duquel l’idée de dialogue a été dépoussiérée avec, à l’appui, de nouvelles déclarations et déclamations d’intentions et de bonne volonté ont été servies aux populations. Si l’on suppose que depuis 2006 et les nombreuses revendications et dénonciations des forces démocratiques, le dialogue aurait été rangé dans les oubliettes s’il existait une volonté réelle de le faire, il y a bien de raisons de se demander si cette fois pourra être la bonne.

Les intentions du gouvernement

Dans le conseil des ministres extraordinaire du 12 août 2011 dont le dialogue politique national était le sujet principal, le gouvernement a d’abord fait un état des lieux des questions politiques et notamment électorales qui constituent des sources de fâcherie endogènes. Selon le compte rendu dudit conseil, une communication du ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités Locales  a porté sur « la mise en œuvre des recommandations de la mission d’observation électorale des de l’Union européenne et des réformes  institutionnelles et constitutionnelles prévues par l’Accord Politique Global (APG) » Aussi la communication du ministre a-t-elle œuvré à rappeler d’une part les recommandations de la mission d’observation électorale de l’Union Européenne et de l’autre les grandes prescriptions de l’APG restées jusque-là lettre morte dans la majorité. Au chapitre des recommandations, la communication indique qu’il s’agit de « recommandations spécifiques concernant la préparation des élections locales et des élections législatives qui auront lieu en 2012, ensuite en recommandations générales sur le cadre institutionnel des élections, l’administration électorale, notamment les réformes préconisées pour rendre plus efficace et constamment opérationnelle la CENI, et en recommandations diverses sur une meilleure insertion des femmes dans le paysage politique…le suivi, le stockage et la mise à jour informatisés de toutes les données du fichier électoral ».

La communication du ministre Bodjona a également récité les mesures contenues dans l’accord politique du 20 août 2006. En substance, elle a énuméré « les réformes générales à savoir la sécurité et la paix publiques, le respect des droits humains, l’équité et la transparence des élections, le mode de scrutin, le découpage électoral, le renforcement des moyens d’action de la HAAC, etc., les réformes constitutionnelles et institutionnelles proprement dites, c’est-à-dire le régime politique, la nomination et les prérogatives du Premier ministre, les conditions d’éligibilité, etc. »

Il est important de souligner deux autres faits marquants de cette communication : la volonté réaffirmée et saluée du et par le gouvernement pour le dialogue politique et l’annonce des premières mesures. Justement, selon le compte rendu du conseil des ministres « l’intérêt de cette communication, c’est d’avoir donné l’occasion au gouvernement de rappeler la volonté réelle qui l’anime de maintenir le dialogue avec l’ensemble des acteurs politiques et sociaux, l’esprit d’ouverture qui le guide sous la haute impulsion du chef de l’Etat, la volonté de réforme dans un esprit d’ouverture mais dans le souci de l’efficacité des institutions démocratiques mises en place ou à mettre en place ». Cerise sur le gâteau, le gouvernement a annoncé la rénovation prochaine du CPDC « dans le but de renouer le dialogue…et de poursuivre les discussions sur tous les sujets qui restent à examiner ».

Rien de nouveau

Tout en résistant à la tentation de soutenir comme certains compatriotes qu’il y a trop de mauvaise foi dans la politique nationale, on doit avouer à l’évidence que ce qui se fait et se dit dans le dossier  du dialogue ressemble fort bien à cela. Autrement, on ne saurait comprendre les différentes palinodies offertes par Faure Gnassingbé et le RPT. Pourquoi faut-il organiser un conseil des ministres extraordinaire juste pour annoncer des intentions sans précisions ni francs engagements ? Pourquoi en effet faire autant de bruit et de solennité pour une simple déclaration d’intention ? C’est malheureusement le vilain plaisir que se sont donné le gouvernement et le RPT le 12 août dernier. Pour beaucoup de citoyens observateurs, ce conseil n’avait pas de raison d’être vraiment et que le contenu aurait dû être versé sensément à celui du mercredi.

Ces remarques sont justifiées par le caractère blasant et redondant des intentions annoncées et re-annoncées mille fois. Ce qui a été dit le 12 août l’a été déjà le 31 décembre 2010 lorsque Faure Gnassingbé, dans son adresse à l’occasion des fêtes de fin d’année a jeté, ainsi que le paysan de Victor Hugo jetait négligemment sa faux dans les champs, l’idée de dialogue négligemment dans son discours, à la manière d’un cheveu dans la soupe. Du 31 décembre 2010 au 12 août 2011, il s’est passé un temps de 8 bons mois pendant lesquels presque rien n’a été fait véritablement pour mettre en œuvre les proclamations et les promesses. Trois mois en arrière, on avait tenté quelque chose en invitant tambour battant et cymbale chantante Jean-Pierre Fabre et l’ANC à rencontrer le chef de l’Etat. Devant la réticence et les exigences posées par le parti orange, on a fait appel à d’autres partis notamment le PRR pour entretenir les apparences. Mais rien d’autre de concret n’a été fait.

On en était là quand subitement encore le gouvernement de Faure Gnassingbé se donne le courage et les moyens de relancer le dialogue, le même dont on parle depuis 2006 et que l’on fait depuis 1992. « On se moque du monde » a commenté un observateur désabusé.

Tout le monde sait ce qu’il faut faire

On peut s’étonner de ce que le gouvernement de Faure Gnassingbé et de Gilbert Houngbo en soit aujourd’hui encore à essayer de faire passer des cerises pour des raisins. Après tant d’années de tentatives et de symphonies inachevées, il faut se demander s’il faut encore vraiment rassembler les acteurs politiques avant de savoir ce qu’il faut pour la paix et la stabilité nationales. Cela veut dire que, à ce jour, on peut et on doit savoir à peu de choses près ce qu’il y a à faire.

Curieusement, sous réserve qu’on se méprenne des intentions du gouvernement, on comprend qu’il prépare un grand oral où des partis politiques et des responsables discuteraient des jours durant sur les recommandations de la mission d’observation électorale de l’Union Européenne ainsi que sur le contenu politique de l’Accord Politique Global. Dix, vingt peut-être trente partis seraient invités à discuter en vue de trouver un consensus national. Sur la question, il y a à craindre que ne se reproduise la malheureuse aventure du CPDC unilatéralement et arbitrairement révisé et élargi par le gouvernement pour contourner et desserrer l’étau dans lequel le CAR et l’UFC le poussaient en 2009. Pour plusieurs observateurs, il est vital pour la stabilité nationale que cette aventure ne soit plus remise au goût du jour.

A la limite, s’il faut réunir les forces politiques pour discuter des réformes pour lesquelles on n’a pas besoin de medium ni de soufi, il faut se contenter des trois partis représentatifs que sont le CAR, le RPT et l’UFC ou l’ANC. Parce qu’ils sont représentés à l’Assemblée Nationale et que des discussions à trois sont plus efficaces et mieux gérables qu’à plusieurs, le gouvernement rendrait service au pays en évitant de jouer mauvais jeu et d’ouvrir le dialogue à des partis dont la présence n’est pas du tout nécessaire.

Mieux, certains analystes trouvent même que le gouvernement serait animé d’une réelle volonté de faire avancer le dossier des réformes qu’il aurait utilisé son accord avec Gilchrist Olympio et l’UFC pour mettre en œuvre les réformes attendues suivant les desiderata des principales forces politiques qui d’ailleurs n’ont jamais fait de mystère sur leurs positions concernant le sujet. Tout ce que le couple a pu faire, c’est quelques rencontres dans le cadre du comité de suivi de l’accord du 26 mai 2010 qui ont accouché du bruyant « régime présidentiel tempéré », puis plus rien. Quoique des personnalités engagées dans l’aventure de cet accord aient déclaré que tout a été discuté et conclu, les Togolais n’ont jamais eu la chance de le découvrir.

Au total, tant que Faure Gnassingbé ne prendra pas la pleine mesure de l’intérêt des réformes pour la survie du pays, de même  que des menaces que le statu quo actuel et leur goût aquis pour les roueries politiques font peur sur l’avenir du pays, il n’est pas possible de s’attendre à du miracle. Sachant que si ces réformes se faisaient, c’est leur pouvoir qui serait sérieusement  menacé, on comprend aisément leur embarras, malheureusement  au mépris de l’intérêt général. L’histoire est têtue et elle se répète, elle n’oublie rien. Heureusement.

Nima Zara

Le Correcteur N°277 du 19 août 2011