Une nouvelle preuve qui bat en brèche les prétentions de bonne gouvernance au Togo

Mise en œuvre approximative du PNIASA

Une nouvelle preuve qui bat en brèche les prétentions de bonne gouvernance

Le coton devient de plus en plus un secteur à problèmes et à scandales. A peine les ardeurs se sont-elles estompées sur la guerre entre le ministre Agadazi et le patron des cotonculteurs qu’une autre polémique, plus vive sans doute, pointe le bout du nez. Il s’agit cette fois-ci de la mise en œuvre du programme national d’investissement agricole et de sécurité alimentaire (PNIASA). Des experts venus évaluer huit mois d’exercice sont arrivés à la conclusion que l’exécution n’est pas « concluante ». Kossi Ewovor, ancien ministre de l’agriculture, est au centre de la polémique. Faure Gnassingbé va-t-il lui demander des comptes ? Dans tous les cas, cet énième couac est un démenti évident à toutes les prétentions de bonne gouvernance.

Le PNIASA, un éléphant blanc

Huit mois de vie et déjà les problèmes sont signalés. C’est une certitude qu’il s’agit d’un euphémisme lorsque des membres de la mission d’évaluation soutiennent que « la situation n’est pas alarmante ». A y voir de près, il y a plutôt de bonnes raisons de craindre pour un aboutissement heureux du PNIASA ;

Christian Berger et Aïssa Touré, respectivement de la banque mondiale et du FIDA sont les chefs de la mission conjointe Banque mondiale-FIDA envoyés pour évaluer ces premiers mois de mise en œuvre du programme. Après deux semaines de travail sur le terrain, ils ont été obligés de dire que la supervision n’est pas concluante. Cela renferme que, par rapport au cahier de charges du programme, les attentes ne sont pas du tout comblées. Remarque générale : les premiers bénéficiaires ne profitent pas du tout du programme.  Christian Berger de la Banque mondiale indique en substance que « en venant au Togo, (ils avaient) l’impression que les projets ne produisent pas des résultats qui atteignent les paysans ». Impression confirmée, malheureusement : « les résultats confirment cette impression ».

En d’autres termes, le PNIASA qui est la somme de trois projets soit le projet d’appui au développement agricole au Togo (PADAT), le projet d’appui à la sécurité alimentaire (PASA) et le projet de productivité agricole en Afrique de l’Ouest (PPAO) doit avoir avant et après tout pour aboutissement l’amélioration des conditions de vie et de travail des agriculteurs. C’est pour cela que la Banque mondiale et différents partenaires ont accepté d’y investir 600 milliards F CFA afin de réduire la pauvreté à travers l’agriculture, d’améliorer les rendements agricoles et par voie de fait de garantir la sécurité alimentaire au Togo et dans la sous-région. L’enthousiasme et les rêves portés par le programme à son lancement en février de cette année sont aujourd’hui refroidis par les constatations sur le terrain. Le rapport Banque mondiale-FIDA souligne pudiquement que « les trois composantes du programme …piétinent et ne comblent pas les attentes des populations paysannes ». Sous cette pudeur, il faut comprendre que le PNIASA  a révélé dans son exécution des problèmes de suivi, de déficit de communication, de gestion financière sans oublier des irrégularités dans la passation des marchés.

Beaucoup de lacunes à l’évidence pour un programme qui vient juste de démarrer. De l’avis des experts auditeurs, le ministère de l’agriculture qui a en charge la mise en œuvre du programme a manqué de vigilance et de pertinence dans le choix des stratégies et des méthodes. On reproche essentiellement  au ministre le choix de l’ « approche programme » pour démarrer l’exécution. Pour Madame Aïssa Touré, « le mieux aurait été de le faire de manière graduelle, en faisant des montages de projets classiques et au fur et à mesure jusqu’à ce que les capacités du ministère et des institutions qui sont impliquées soient renforcés avant de basculer dans l’approche programme ». Christian Berger montre la voie à suivre pour corriger le tir et remettre le programme sur les bons rails : « « il faut que le ministère de l’agriculture reprenne les choses en main pour que lorsque nous reviendrons dans six mois, nous ayons l’impression que le travail va de plus de l’avant ». Une feuille de route a été remise aux autorités du ministère de l’agriculture dont le premier responsable a promis une exécution « avec la plus grande rigueur ».

Kossi Ewovor à la barre

Si le PNIASA n’a pas produit les résultats escomptés huit mois après son lancement, c’est simplement parce que le programme a été mal exécuté. A qui la faute ? C’est tout naturellement qu’on doit pointer du doigt le ministre de l’agriculture en poste au moment du lancement. Il s’agit de Kossi Ewovor, l’ancien ministre de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche qui a été débarqué du gouvernement très récemment, au lendemain de la démission controversée de Gilbert Houngbo. Comment a-t-il pu manquer autant de pertinence, de vigilance et de perspicacité ?

Avant l’évaluation du PNIASA, il y avait sur le tapis le problème des deux milliards du coton. Un regroupement de cotonculteurs se disputait tantôt 400 millions F CFA, tantôt 2 milliards F CFA avec le ministère. Chaque camp se renvoyait la balle, mais finalement c’est le responsable du regroupement de cotonculteurs qui a été arrêté et emprisonné. Ce problème aussi relève de la responsabilité de M. Ewovor, étant donné que le Colonel Agadazi qui a pris le portefeuille en août ne fait que découvrir les dossiers chauds qu’on a laissés sur sa table.

En joignant le scandale des cotonculteurs à celui du PNIASA, on constitue un joli cocktail dont Kossi Ewovor détient le brevet et la responsabilité. Tous ces dossiers engagent de gros sous, des centaines de millions et on doit se demander si M. Ewovor avait des problèmes particuliers avec les deniers publics. Où est passé l’argent des cotonculteurs ? Comment a-t-on géré les huit mois du PNIASA ? M. Ewovor avait-il le plein contrôle et la maîtrise totale de la question ? Dans tous les cas, le problème est là et il est évident que seul M. Ewovor doit en porter le chapeau. Bien que des responsabilités puissent se situer à divers niveaux, administration, technique et finances, M. Ewovor doit répondre pour tous car en tant que ministre, il est le premier responsable du ministère à qui l’on doit demander des comptes pour le fonctionnement de sa structure. M. Ewovor va-t-il être inquiété ? Grande question, selon toute vraisemblance.

Que va faire Faure Gnassingbé ?

Le président a habitué les Togolais à la belle parole et aux proclamations d’intention, sans suite. D’un discours à un autre, l’héritier biologique et historique de feu Eyadèma a promis de lutter contre la corruption mais jusqu’alors, les Togolais n’ont pas encore vu de ministres, députés ou directeurs de services de l’administration épinglés pour fait de corruption. Patricia Hawkins, ancienne ambassadrice des Etats-Unis au Togo, avait également attendu en vain des signes probants de la promesse de lutte contre la corruption. N’ayant rien vu de ce genre, elle avait pesté dans son discours d’aurevoir, se demandant où étaient les corrompus arrêtés ou mis à l’écart. Le fait est que Faure Gnassingbé est réticent à punir « ses » amis.

 Les corrompus qui ressortissent à « ses » amis ont donc pignon sur rue et n’ont rien à craindre, visiblement. Ferdinand Tchamsi, le fosoyeur du fonds routier, n’a jamais été inquiété. Idem pour tous les autres qui, à l’opposé de leurs revenus officiels, affichent un train de vie digne d’un émir de Dubaï ou de Doha. Le président d’UNIR ne peut même pas évoquer l’arrestation e Bertin Agba ou de Pascal Bodjona comme une preuve de sa volonté de lutter contre la corruption car, dans le cas d’espèces, si escroquerie il y a, il ne s’agit pas des deniers publics. Les Togolais sont plus intéressés à voir les voleurs des deniers de la république arrêtés et traduits en justice. D’où la question : Faure Gnassingbé va-t-il demander des comptes à Kossi Ewovor ?

Il faut le voir pour le croire. Selon certaines sources, les irrégularités constatées dans le PNIASA seraient la cause du départ du gouvernement de M. Ewovor. C’est à vérifier et à prouver étant donné que l’ancien ministre avait été éclaboussé par une affaire de mœurs sur laquelle le gouvernement n’a rien dit. Il est donc plus logique de considérer que la démission de M. Houngbo est arrivée à point nommé pour que Faure Gnassingbé se débarrasse de son collaborateur friand des pussycats. Le problème reste entier dès lors : fermera-t-on les yeux sur les irrégularités révélées dans la mise en œuvre du PNIASA ? D’aucuns se demandent même si ces irrégularités auraient été révélées si Kossi Ewovor était encore au gouvernement. Dans tous les cas, les Togolais constatent une fois encore que la bonne gouvernance tant proclamée n’est qu’un leurre ou un attrape-nigaud, si ce n’est un piège à cons. Quand on débloque 600 milliards F CFA pour faire le bonheur des paysans et que certains se taillent la part du lion, Faure Gnassingbé ne doit pas se taire. A moins de laisser penser qu’il est incapable de lutter contre la corruption et de garantir la bonne gouvernance.

Nima Zara

Le Correcteur N° 381 du 08 octobre 2012