Togo : l’introuvable alternance du pouvoir
A proclamé les résultats, il n’y eut pas de miracle. Elle a accordé près de 59 % des voix au président sortant
Faure Gnassingbé contre 34 % pour son principal opposant, Jean-Pierre Fabre.
C’est à peu près le même score qu’en 2010. La différence est que cette année le scrutin a été jugé ” libre et
transparent ” par les Nations unies. Le dernier de cette famille Gnassingbé au pouvoir depuis quarante-huit
ans, un record mondial de longévité seulement battu par la Corée du Nord, n’aurait-il donc plus besoin de
bourrer les urnes pour gagner ? ” L’opposition a perdu parce qu’elle avance en ordre dispersé face à un
pouvoir sûr de lui, hyperverrouillé mais qui a des projets de développement. La citadelle est imprenable
pour le moment “, expliquait ce militant.
Cette ” citadelle “, Faure Gnassingbé l’occupe depuis 2005. Il l’a héritée de son père Gnassingbé Eyadéma,
militaire autocrate qui tint d’une main de fer les rênes du Togo de 1967 jusqu’à sa mort en 2005. Cette
citadelle, le fils s’attache à la rénover, sans relâcher son contrôle. Un contrôle moins sanguinaire, plus
moderne mais non moins efficace sur la société, l’armée, le milieu des affaires, la politique…
Tout avait très mal commencé pour le fils héritier. Le 5 février 2005, son père président meurt subitement.
La question de la succession ne se pose pas. Faure, déjà ministre, a été choisi plusieurs années auparavant
par Eyadéma qui avait retaillé la Constitution aux mesures de son jeune fils. Dans ce pays où soufflait moins
fort qu’ailleurs en Afrique de l’Ouest le vent de la démocratisation, Faure Gnassingbé, alors âgé de 38 ans,
montre qu’il a de qui tenir. Tout en affichant sa différence.
Son père, un ancien de la coloniale française de l’Indochine à l’Algérie, avait pris le pouvoir par les armes.
Faure, diplômé en gestion de la faculté Paris-Dauphine, opte, lui, pour le coup d’Etat constitutionnel. En
vingt-quatre heures, un jour de mars 2005, il démissionne du gouvernement ; récupère son mandat de
député ; devient président par intérim en confisquant ce poste au président de l’Assemblée. Sous la pression
internationale, il organise finalement une élection présidentielle. Ce fut une mascarade démocratique
doublée d’une tuerie : 800 protestataires tués, peut-être 1 500.
Ce crime originel colle à la peau du jeune président (et de l’opposition à jamais marquée par ce bain de sang).
Progressivement, Faure Gnassingbé a donc affiné sa méthode. Il s’est détaché des anciens hommes forts du
temps de son père. Notamment la haute hiérarchie militaire remplacée par des officiers plus jeunes. La
plupart d’entre eux sont des Kabiyé, comme avant, c’est-à-dire membres d’une communauté ethnique du
nord du pays, la région natale de son père sur laquelle celui-ci s’appuyait d’une façon disproportionnée. Là
aussi, le fils tempère. Sa mère est originaire du sud. Il atténue l’emprise de la minorité Kabiyé mal vécue par
le reste des Togolais. Politiquement, il élargit ainsi son bassin électoral.
Mobilisation
L’opposition note que pour en arriver là, lors de la présidentielle de 2015, le président a mobilisé durant
plusieurs semaines tout l’appareil administratif pour sa campagne. Les ministres ont été envoyés sur le
terrain, dans leurs fiefs d’origine, pour convaincre – acheter disent certains – les électeurs aux frais de la
république.
Mais s’ils ont suivi le bulldozer présidentiel, c’est aussi parce que les temps ont changé. Finies les tueries de
vant même l’élection présidentielle du 25 avril au Togo, ce militant des droits de l’homme proche de
l’opposition affichait son scepticisme sur l’issue du scrutin. ” Il faudrait, disait-il, un miracle pour que
cela se solde par une alternance du pouvoir. ” Dimanche 3 mai, lorsque la Cour constitutionnelle a
http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/protege/20150507/html/1202779.html Page 1 sur 2
Journal Electronique 06/05/2015 14:37
masse ou les exécutions sommaires. Le tableau est loin d’être rose. Dans son dernier rapport, Amnesty
International s’inquiète de ” l’usage excessif de la violence par les forces de sécurité – et – de la torture.
L’ONG note aussi qu’en 2014 ” des menaces pesaient toujours sur la liberté d’expression “.
Du fond de sa cellule où il croupit depuis plusieurs mois, Pascal Bodjona, un ancien ministre très proche de
Faure, pourrait témoigner de cette inflexion. ” Bodjona a des ennuis judiciaires pour des affaires de droit
commun mais c’est son ambition politique qui lui a été fatale. En d’autres temps, il aurait disparu “, confie
un proche de la présidence togolaise. Dit autrement, cela s’appelle un prisonnier politique. ” C’est un signal
envoyé à tous ceux, politiques ou officiers qui, de l’intérieur, voudraient s’attaquer à ce régime militaro-civil
“, explique Primus Guénou, analyste politique.
Ils ne sont pas légion ceux qui osent s’y attaquer, à l’exception d’une opposition cantonnée à son champ
politique et des syndicats. ” Il n’y a pas beaucoup d’avenir si l’on se place en dehors des cercles du pouvoir
“, explique un homme d’affaires. D’autant que l’Etat reste le principal donneur d’ordre à l’heure où le
président a lancé le pays sur la voie du développement (extension du port de Lomé, construction de routes,
électrification des foyers, modernisation de la gouvernance…).
Mais son grand chantier, celui qui permettra au président d’asseoir la légitimité démocratique après laquelle
il court, portera sur les réformes institutionnelles. Il a ainsi promis de rétablir une élection présidentielle à
deux tours – contre un seul actuellement, système qui pénalise l’opposition –, de limiter le nombre de
mandats et de décentraliser les pouvoirs. Autant de dossiers sur lesquels il est attendu mais qui pourraient
scier la branche sur laquelle lui et sa famille sont assis depuis près d’un demi-siècle. Le voudra-t-il ? Le
pourra-t-il ?
Christophe Châtelot