Depuis qu’il a pris le pouvoir dans le sang en 2005, Faure Gnassingbé peine toujours à se départir de cette étiquette de dictateur qui lui a été collée. Malgré certaines de ses initiatives, dont la Commission vérité, justice et réconciliation (Cvjr) pour se racheter et son grand discours de 2010 à Atakpamé, « Plus jamais ça sur la terre de nos aïeux », au fil des années et des événements sociopolitiques, les faits et gestes du fils du dictateur, le Général Etienne Gnassingbé Eyadema prouvent à suffisance qu’un animal rampant n’engendre pas de volatiles.
Selon le dictionnaire universel, la dictature est un régime politique autoritaire, établi et maintenu par la violence, à caractère exceptionnel et illégitime. Elle surgit dans des crises sociales très graves, où elle sert soit à précipiter l’évolution en cours (dictatures révolutionnaires), soit à l’empêcher ou à la freiner (dictatures conservatrices). Il s’agit en général d’un régime très personnel, mais l’armée ou le parti unique peuvent servir de base à des dictatures institutionnelles.
La dictature se définit aussi comme un régime arbitraire et coercitif, incompatible avec la liberté politique, le gouvernement constitutionnel et le principe de l’égalité devant la loi.
La concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un individu, d’une assemblée, d’un parti, organisation politique ainsi caractérisée, est aussi une dictature.
En effet, en analysant les termes des définitions sus-citées, l’on peut facilement se rendre à l’évidence que le Togo des Gnassingbé n’est pas loin d’être appelé une dictature puisqu’il respecte les critères principaux qui caractérisent ou qui définissent un Etat dictatorial. On peut citer entre autres critères, la restriction des libertés publiques, la prédominance des violences physiques volontaires et des violations massives des droits humains, l’accumulation des pouvoirs dans les mains d’une seule personne. Au Togo, le constat, c’est que Faure Gnassingbé semble avoir tous les pouvoirs. Les exemples sont légion et les faits parlent d’eux-mêmes.
Restriction des libertés publiques
En prenant exemple sur les manifestations pacifiques publiques du Cst, on remarque que cette restriction est d’autant plus observée aujourd’hui avec la répression des marches et sit-in, malgré le respect des procédures légales dans la tenue desdites manifestations. Or, la Constitution togolaise du 14 octobre 1992, en son article 14 dispose : « L’exercice des droits et libertés garantis par la (…) Constitution ne peut être soumis qu’à des restrictions expressément prévues par la loi et nécessaires à la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé publique, de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui ». Bien plus, le pouvoir Rpt/Unir a lui-même voté la loi N°2011-010 du 16 mai 2011 portant sur les manifestations publiques donnant libre cours aux manifestations, même en semaine, ce qui n’était pas possible, il y a quelques années. Cependant, cette loi fixe les conditions d’exercice des libertés de réunion ou de manifestation, notamment à son article 14 : « Les observations, recommandations et constatations de l’autorité administrative compétente sont notifiées aux Organisateurs, par remise en main propre contre récépissé, par télécopie ou par tout autre moyen équivalent avec accusé de réception au plus tard (72) heures avant la date prévue pour la ténue de la réunion ou de la manifestation ». De l’esprit de cet article, Il en résulte que non seulement l’interdiction de manifestation doit émaner d’un acte administratif trois jours avant la tenue de l’événement, mais également comporter que toutes les observations, recommandations et constatations de l’autorité administrative compétente. A Lomé, cet acte administratif ne peut qu’être délivré par le président de la délégation spéciale de la commune, jouant le rôle du Maire. Mais quelle ne fut la surprise que le Ministre de l’Administration Territoriale s’arroge les attributions du Maire, arguant, éhonté, que ce dernier relève de son département. Par un communiqué rendu publique la semaine dernière, le Ministre à tout faire décide : « Les membres du gouvernement ont à cet égard, souligné les risques sérieux de violences et de dégradation des biens et des édifices publics et privés qui sont encourus par l’ensemble des citoyens lors des sit-in et autres manifestations organisées dans des emplacements où sont concentrées les activités commerciales et où le trafic est intense. Il en est ainsi en particulier de la place dite Déckon, de même que des abords, périmètres et autres endroits contigus au marché.…Dans le souci de prémunir l’ensemble des citoyens non concernés par les manifestations contre les risques d’incidents et en vue de leur permettre de vaquer librement à leurs occupations, le ministre de l’Administration Territoriale, des collectivités Locales et ses collègues ont indiqué à la délégation du CST l’interdiction d’organiser dorénavant les manifestations publiques notamment les sit-in dans les endroits précités ». Cette décision viole systématiquement les deux lois précitées. Le pouvoir tente ainsi de donner force à un communiqué qu’à une loi votée à l’Assemblée Nationale. Bel paradoxe ! Et quand le peuple tient à prouver l’illégalité des décisions, on fait recours à la force militaire pour réprimer les manifestants. Du machiavélisme à l’état pur et dur qui rejoint la première définition de la dictature citée plus haut, où on parle de régime politique autoritaire, établi et maintenu par la violence, qui intervient dans les crises sociales en se fondant sur l’armée servant de base pour des dictatures institutionnelles.
Prédominance des violences et violations des droits de l’homme
Depuis 2005, le pouvoir de Lomé II s’illustre dans des tortures, violences et violations sans précédent des droits humains. Le nombre 500 à 1000 morts selon le rapport des Nations Unies et de la Ltdh, est révélateur du caractère vampirique du régime en place. Aujourd’hui, comme on l’évoquait depuis peu, les manifestations et revendications qui sont des droits constitutionnels sont foulés au pied et le pouvoir se plaît à martyriser son peuple. Plus de mouvements d’humeur sur le territoire togolais sans que la police, la gendarmerie et l’armée n’interviennent pour réprimer sauvagement les manifestations, tirant des gaz ou grenades lacrymogènes, des balles en caoutchouc et parfois des balles réelles. Aujourd’hui, le Togo est champion dans les arrestations et détentions arbitraires, dans les traitements inhumains et dégradants et dans des inculpations fantaisistes. Les preuves sont là et il suffit simplement de les énumérer.
D’abord le Kpatchagate ou le complot d’atteinte contre la sûreté intérieure de l’Etat. Dans cette affaire, plusieurs personnes ont été arrêtées, jugées et lourdement condamnées. Même s’il est prouvé plus tard que plusieurs détenus ont fait des aveux sous le coup de « violences physique et morale à caractère inhumain et dégradant », reconnus par le rapport de la Commission nationale des droits de l’homme (Cndh), la révision du procès le mois dernier, n’a rien trouvé d’extraordinaire pour libérer du moins ceux qui ont subi des violences volontaires. Pire, ceux qui ont été nommément cités dans le rapport de la Cndh comme ayant participé aux violences sur les détenus, le Général Mohammed Titikpina, le Colonel Alex Yotroféi Massina…se nourrissent encore de l’impunité et sont même dans les bonnes grâces du régime en place. Le Colonel Yotroféi Massina a été lui décoré par Faure Gnassingbé. Plus cynique, marque des grandes dictatures, lorsque le peuple de Faure Gnassingbé, ce peuple qu’il estime lui avoir renouvelé la confiance avec plus de 63% des suffrages lors des présidentielles de 2010, lorsque ce peuple a subi des bavures policières les 21, 22 et 23 août derniers dans les quartiers de Lomé et ses environs, la question n’a été abordée en conseil des Ministres du 23 août 2012 que dans les divers. Une preuve flagrante du mépris qui caractérise le pouvoir de Lomé II et la grande légèreté dont fait montre Faure Gnassingbé lorsque son peuple subit des violences quotidiennes.
Les crises universitaires des mois de mai et novembre 2011 caractérisées par une répression aveugle et sauvage des étudiants en grève tant à l’Université de Lomé qu’à l’Université de Kara à travers des arrestations arbitraires, des passages à tabac, détentions à répétition d’étudiants sans charges valables alors qu’ils luttent pour la satisfaction de revendications dont la légitimité a été reconnue par le gouvernement, est aussi une preuve que le pouvoir togolais ne fait pas sienne la promotion des droits humains.
Aussi pouvons-nous citer l’affaire Bertin Sow Agba du nom du Directeur de la société OPS sécurité arrêté le 7 mars 2011 dans son bureau par les éléments de l’Agence nationale de renseignements (Anr) dirigée à l’époque par le Lieutenant- Colonel Alex Yotroféï Massina. Les conseils de Bertin Sow Agba ont plus tard affirmé que leur client a subi des traitements inhumains et dégradants à l’Anr. Cette affaire suscite d’ailleurs d’autres interrogations concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Qu’à cela ne tienne, toutes les analyses faites se vérifient bien dans la deuxième définition de la dictature : Un régime arbitraire et coercitif, incompatible avec la liberté politique, le gouvernement constitutionnel et le principe de l’égalité devant la loi.
Accumulation des pouvoirs dans les mains d’une seule personne
L’affaire Sow Bertin Agba démontre à suffisance que la justice togolaise n’est pas indépendante. Malgré le versement du cautionnement de 150 millions le 25 juin 2012 suite à une décision de la Chambre judicaire de la Cour Suprême de le libérer provisoirement, le Directeur de OPS Sécurité croupit toujours dans les geôles de la prison civile de Tsévié, il y 65 jours. Derrière cette détention arbitraire, se cacherait la main du Président de la République, en témoigne la rencontre qu’il a eue avec l’icône des défenseurs des droits de l’homme au Sénégal, Président de RADDHO, Alioune Tine. «Nous étions préoccupés par le fait qu’Agba Bertin doit être libéré parce que c’est une décision de la Cour Suprême du Togo… Rien ne justifie la présence d’Agba Bertin en prison, et nous l’avons dit au Président Faure. Il nous a dit qu’il y a maintenant quelques procédures qu’il faut faire et après on va procéder rapidement à la libération d’Agba Bertin. Nous estimons aujourd’hui que la libération d’Agba Bertin est liée, selon le gouvernement, à une audition de Pascal Bodjona. Nous-mêmes, nous avons estimé qu’il n’y a aucun lien. Quant à la Cour suprême, qui est l’institution judiciaire suprême de ce pays, je pense que la moindre des choses pour un Etat de Droit, est de respecter la décision de cette institution parce que les autorités publiques n’ont pas quand même à décrédibiliser la décision d’une institution de cette posture », a-t-il déclaré dans une interview accordée il y a quelques semaines à nos confrères de Kanal K, une radio basée en Suisse, après sa visite au Togo.
En se référant à cette interview, il y a matière à s’interroger. Est-ce que c’est Faure Gnassingbé qui doit décider de la libération ou non d’un détenu ? Si tel est que Bertin Agba est encore en prison parce que le gouvernement a décidé d’auditionner Pascal Bodjona, là, il en ressort que le pouvoir judicaire est sous les bottes de l’exécutif. Après s’être emparé du pouvoir dans les conditions peu orthodoxes, Faure Gnassingbé l’exerce sans contrôle et sans limite. C’est un secret de Polichinelle, la justice est manipulée à des fins politiques. Les conseils de Pascal Bodjona ont fait l’amère expérience le 10 août dernier, lorsque leur client allait être gratuitement inculpé, c’est-à-dire comme personne présumée coupable dans ce dossier, sur lequel il était simplement cité comme Témoin, la fiche verte de l’inculpation étant préétablie. Ceci est encore révélateur d’une machination du pouvoir puisqu’il conditionne la libération de Bertin Agba à l’audition de Pascal Bodjona. Une fois inculpé, alors les deux peuvent maintenant finir en prison. Encore une preuve de dictature, la dernière définition. La concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un individu.
Les principaux critères qui définissent une dictature ayant été tous réunis, il ne reste qu’à proclamer urbi et orbi que le Togo de Faure Gnassingbé est une des pires dictatures au monde. Et, à l’exemple de son père, le Général Etienne Gnassingbé Eyadema, Faure Kodzo Essozimna Gnassingbé, est un véritable dictateur.
Sylvestre Beni
Actu Express N°209 du 28 août 2012