Tambour autour de l’acte de démission de Comi TOULABOR : Le grand complexe des intellectuels

Tambour autour de l’acte de démission de Comi TOULABOR :

Le grand complexe des intellectuels

 

« Quelque grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes ». Ils se trompent lamentablement comme nous et n’échappent à la condition humaine avec ses grandeurs, ses faiblesses, ses vices, ses vertus. Ces mots de CORNEILLE dans Le Cid décrivent toute la dimension de l’homme, quel qu’il soit, surtout quand il a la prétention d’une primauté sur les autres ou quand il s’estime en tant qu’autorité intellectuelle ou administrative de premier ordre à reléguer les autres dans le mépris de la subordination. La nature de l’homme est une et éternelle parce que nous sommes un mélange d’ange et de bête. En nous se côtoient nos petitesses et nos forces, nos valeurs et nos énormités.

Cette multidimensionnalité de l’être appelle à la prudence, aux délicatesses des qualifications des actes que nous posons et au discernement dans l’appréciation des uns et des autres pour éviter de mettre au mât notre propre naiveté et les conclusions hâtives qui nous exposent à la légèreté mortellement ennuyeuse. Dans les actes et l’engagement de ceux qui ont un bon niveau d’étude pour penser le monde et s’ouvrir sur des solutions les plus vraisemblables dans la résolution des problèmes qui s’offrent à nous, il y a un double complexe.

D’abord, une surestimation de soi, de ses propres capacités forge inexorablement en nous l’illusion de l’intelligence. La volonté de puissance de chaque homme, de tout intellectuel est le piège inextricable de la condescendance qui éloigne les individus de l’acte efficace, de l’acte juste pour les confiner dans une sorte d’autocontemplation, c’est-à-dire, un narcissisme débridé, étouffant et répulsif. Le sentiment d’excellence éprouvé sans la moindre sagesse conduit à un égocentrisme, une attitude à se prendre pour  le centre du monde, pour une référence qui vite borne les yeux des prétentieux d’un prisme d’autosatisfaction.

Ensuite, les prétentieux font toujours des victimes. Ceux qui tombent sous le charme de leurs élucubrations par faiblesse d’esprit et qui se transforment en des fanatiques de leurs idoles. Ils croient en leur infaillibilité par le drame de leur propre naïveté, de leur inculture parce qu’ils sont des demi-lettrés ou ignorent l’histoire de la pensée. Ces fanatiques prennent siège dans la pure propagande avec des idées préconçues qui procèdent d’une amputation grave de leur lucidité. C’est pourquoi nous leur conseillons le livre de Milan KUNDERA, L’insoutenable légèreté de l’être. Il a qualité à édifier en nous le sens réfléchi dans la connaissance de l’Homme avec ses vérités et ses mensonges, ses vérités et ses comédies, ses ordures et ses talents, son génie et ses petitesses, son naufrage et sa grandeur…

Le tintamarre des superlatifs absolus autour de la personne de Comi TOULABOR par les recalés du bon sens est nauséeux. Si le champion des Universités françaises démissionne de l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) pour poser ses valises à l’UFC, le parti de la majorité parlementaire qui soutient l’action du gouvernement avec l’infaillible serment d’appartenir à l’opposition, et qu’il demeure si fécond dans le mutisme sur le positionnement crapuleux de son nouveau parti dont il  éprouve une séduction certaine, des convictions et des valeurs, alors il y a fort à parier sur les motivations douteuses de l’omniscient de la politique. Un parti qui a perdu son âme ne peut impressionner un intellectuel émérite. Nous sommes atterrés par l’admiration que vouent les prétentieux qui s’arrogent des titres de faiseurs d’opinion à cet homme. Nous respectons son choix, mais nous n’acceptons pas que de pauvres gens prennent des Togolais pour des ignares à vouloir les abreuver de niaiseries dégueulées à tue-tête dans des vociférations pitoyables pour les emballer dans des représentations vaines d’une démission.

Les privilèges des médiocrités servies peuvent-elles bander les yeux aux Togolais et leur faire renoncer aux valeurs auxquelles ils sont attachés pour refaire la République dans la droiture et la loyauté républicaine ?

Avons-nous au Togo un complexe devant les intellectuels rivés à leurs pauvres ambitions personnelles ?

1)      Intellectualisme et fautes politiques

Il ne suffit pas d’avoir un parchemin, d’enseigner dans une Université pour devenir le meilleur artificier des stratégies politiques. En politique, la réalité du terrain, la maîtrise des  événements, la loyauté et la vision de la grandeur pour son peuple sont les vraies déterminations par lesquelles les mutations et les innovations se réalisent pour édifier dans les acteurs des reconnaissances historiques. Nous ne disons pas qu’il est possible d’avoir le flair politique et l’efficacité de l’action politique avec une nullité de niveau comme ce fut le cas dans notre pays dont l’expérience du reste, nous a plongé dans le dédale des identités meurtrières et nous coûte jusqu’à ce jour le positionnement de la lanterne rouge à l’intérieur d’une région où s’effectuent des évolutions spectaculaires.

Aussi, notre propre histoire récente et celle de l’Afrique nous suggèrent-elles une retenue et un sens analytique des données politiques accouchées par nos intellectuels avec des fortunes diverses. Il est malsain et peut-être idiot de croire que le label intellectuel suffit à produire des miracles en politique, des mutations positives qui répondent aux attentes des populations. Plusieurs Togolais offrent leurs têtes à couper sur cette vérité que ce Comi TOULABOR n’est pas plus intellectuel qu’Edem KODJO. Nous l’avons tous vu et suivi son parcours politique. Nous ne sommes pas sûrs que beaucoup de Togolais veuillent en faire une référence. Il lui a manqué du cran politique surtout dans la majorité parlementaire de l’opposition en 1994. Nulle part dans le monde, un intellectuel n’a commis la faute politique pour prendre le poste de Premier ministre en étant minoritaire dans la configuration des voix dégagées par des législatives. Des générations entières reviendront sur cette faute lourde de M. KODJO.

Il faut avouer que le même cas de figure de la majorité parlementaire de l’opposition s’était dessiné au Togo à la suite des élections de 1958 avec le CUT et la JUVENTO. Les Français voulaient éliminer Sylvanus OLYMPIO du poste de Premier ministre pour le remplacer par le grand Anani SANTOS. Avec l’administration française, il a tenu un langage de vérité pour faire triompher l’éthique politique en disant aux Français si ce coup est faisable dans un pays d’Europe. Trente six années après la droiture républicaine d’Anani SANTOS, c’est M. KODJO qui est  tombé dans ce traquenard avilissant tendu par EYADEMA, chassé de la classe du CEI après deux années pour insuffisance de travail comme le décrit François-Xavier VERSCHAVE dans son livre, La Françafrique, le plus grand scandale de la République.

Hors de nos frontières, au Sénégal, Abdoulaye WADE intellectuellement cousu n’a mieux fait que d’imiter la pègre politique togolaise avec des velléités dynastiques pour imposer une succession monarchique au nez et à la barbe de ses compatriotes. Ce banditisme politique et cette perception minable du pouvoir ont coûté la vie à des Sénégalais dans une ligue nationale contre l’indigence éthique et morale de WADE.

Une qualification, un parchemin, un poste d’enseignant à l’Université, un titre intellectuel ne constituent en rien une panacée en politique. La primauté dans la puissance politique réside dans le bon sens appliqué aux réalités du terrain avec une saine évaluation des circonstances, du temps, du moment qui tienne compte des valeurs, celles qui offrent le quitus d’un accompagnement populaire dans la dignité des peuples. Lorsqu’un intellectuel joue des coudes avec une mauvaise conscience pour s’asseoir dans des ruines morales, il perd son âme et devient pire qu’un vulgaire ignorant. Il s’écroule vite, et piteusement, sous la chaleur d’une aversion républicaine. Alfred de MUSSET prête la parole à un faux-génie dont la confession dans ses Poésies donne à réfléchir aux autres : « J’ai perdu jusqu’à la fierté qui faisait mon génie ».

Ceux qui encore demeurent dans l’ivresse des chimères et qui mentent en sanglots sur l’infaillible compétence de Comi TOULABOR ne rendent aucun service à leur champion totalement déparé par les frasques et les niaiseries politiques de l’UFC. Quand on saute de la fenêtre sans être sûr de tomber dans un tas de sable mou, il faut être honnête avec soi-même pour envisager sa propre mort. Les fondements du bon choix sont dans notre éducation, dans le recul que nous avons de notre histoire personnelle, c’est-à-dire, de notre expérience et dans les valeurs que nous défendons. Ceux qui applaudissent vite aux petites choses, et des deux mains, sont ordinairement incapables d’avoir le sens des exploits qui renversent dans une révolution copernicienne les tâtonnements ennuyeux et les statuts creux. Ce sont les mêmes qui applaudissaient Gilchrist OLYMPIO dans sa marche solitaire pour un marché de dupes avec le RPT/UNIR. Aujourd’hui, ce sont les signataires de  cet accord comme Djovi Gally et ses camarades qui prennent leur distance en dénonçant la plaisanterie politique qui revêt l’apparentement de leur parti avec RPT/UNIR. Gilchrist OLYMPIO est pourtant sorti de la crème des Universités du monde dont Oxford en est une cerise aux senteurs des compétences.

 Au Ghana, le seul intellectuel, professeur à Oxford qui a coulé son propre pays dans une désarticulation sociopolitique et socioéconomique inqualifiable pendant vingt cinq années, c’est Kofi BUSIA. Il a chassé plus de cinq millions d’Africains de son pays dès qu’il a pris le pouvoir. Ils étaient intégrés dans les rouages de la production dans les différentes activités. Le gros des migrants de l’ancienne Gold Coast était constitué par des Nigérians. En 1969, les expatriés au Ghana ont été dépouillés et chassés du pays. Beaucoup ont marché du Ghana pour rentrer au Nigéria. Ils mouraient de faim et de soif le long du cordon littoral togolais jusqu’à Sanvee-Condji. Quand la valeur morale n’est pas dans un intellectuel, quand il est vidé de tout soupçon d’éthique, il n’est qu’un vampire. Le complexe que certains ont des intellectuels d’amphithéâtres et des intellectuels tout court nous étonne. Le quitus éthique n’est pas dans un parchemin. C’est en cela qu’il faut répéter après NAPOLEON 1er : « C’est le succès qui fait les grand hommes ».

2)      Les enseignements d’un tintamarre

Quelques fois, le génie est plus dans un enfant que dans un intellectuel. Les intellectuels, après avoir butiné à la connaissance, sont capables d’avoir mauvaise conscience dans les actes qu’ils posent au nom du profit et de renverser la logique. PLATON nous en parle abondamment avec Protagoras, le  sophisme personnifié.

En outre, aucun cas politique ne se règle entièrement dans les théories. Il faut à chaque situation du  pragmatisme et du réalisme politique, c’est-à-dire, une combinaison intelligente des données de tous les paramètres qui concourent à l’acte de bon sens. Il est indécent, au regard du versant que prend l’UFC, de placer par l’alchimie des rêveries et des songes Comi TOULABOR dans les perles du réalisme politique et des valeurs.

Humainement, l’ANC ne peut que regretter qu’il ait perdu un membre parce qu’un parti a besoin d’un grand rassemblement pour vivifier, diffuser ses idéaux, agir efficacement pour répandre partout l’espoir. Mais, il est clair que dans un parti personne n’est indispensable en ce que les cimetières sont remplis d’hommes indispensables et la vie continue. Un parti ne s’arrête pas à un homme, même s’il intègre tous les principes et les valeurs du combat politique. Les grossissements inutiles et vils des griots éveillent des jugements fort peu louables sur leur champion décoiffé de la pertinence d’un choix pour une misère de parti inféodé sans remords au banditisme politique et la pègre électorale. Ceux qui font de la propagande à la criée  sur les ondes de la démission de leur professeur émérite anciennement à ANC n’ont qu’une approche minable de l’homme et parlent de ce qu’ils ne connaissent pas avec une ferveur idiote. Pour NAPOLEON 1er dans ses Lettres : « Presque toujours, l’homme n’agit par acte naturel de son caractère, mais par une passion secrète du moment, refugiée dans les derniers replis du cœur ». Le sermon d’hécatombe à l’ANC du Curé des éloges à l’endroit de TOULABOR est une grande naïveté qui frappe de honte tout esprit de discernement.

L’histoire du monde s’écrit par des alliances et des ruptures. Il ne faut pas offenser le bon sens et la pudeur en prenant pour des surhommes ceux qui, à un moment donné, choisissent la voie qui leur semble raisonnable sans y intégrer les grandes valeurs pour lesquelles se battent les opprimés de la terre dont notamment la justice, la dignité, le respect de l’autre, l’équité.

Seuls ceux qui sont intellectuellement des mineurs et des minables érigent leurs résidences dans l’archipel de la haine avec une fragilité éthique à vouloir embrigader les Togolais dans des schémas de leur imagination en nous prenant pour des ignares à qui, ils peuvent donner des leçons sur les pensées politiques, l’évolution des sociétés, les grands professeurs, avec un mépris souverain des politiques du terrain qui sont dans un combat de tous les jours pour les valeurs qui font dignement les Républiques.

En outre, il est des gens qui n’ont d’équilibre que dans l’inconstance. Ils s’usent quand ils ne peuvent plus prendre des libertés et peut-être faire parler d’eux. Ce sont eux qui perdent tout parce que l’inconstant n’est pas du tout patient ni laborieux pour laisser grandir ce qu’il a ensemencé et le moissonner à la maturité. L’expression française « moissonner le blé en herbe » en dit davantage. Nous n’en voulons pas aux inconstants et aux impatients. Ils ont le droit de vivre leur personnalité, leur liberté. De grâce, que personne n’en fasse naïvement des exemples à suivre. Charles NODIER, dans le Léviathan le long disait ; « Tous les hommes qui s’ennuient dans une planète passent leur pauvre vie à aller chercher une autre ». Laissons les gens dans leur univers, dans leur choix libre, même dans leurs excentricités pour voir les résultats qu’ils produisent. Seulement, les excentricités qui ne réussissent pas ont des goûts amers d’une folie.

La conjecture, le verbiage et le tapage autour d’une démission à laquelle on donne la dimension de l’arche de Noé est étonnamment une propagande et mieux encore, une avarie intellectuelle pour ceux qui ont le gros complexe des intellectuels. L’intellectualisme n’est pas un titre, c’est une vie. Elle se sclérose et périt sitôt qu’on en use à l’envers et sans les grandes valeurs d’éthique, de justice, de respect de l’humain-patron… Chaque moment de la vie est une équation autant que chaque acte politique est une épreuve. La raison dans son autonomie, quand elle est bien ordonnée peut trouver des réponses. Mais, il faut y adjoindre des valeurs parce que le parcours politique d’un homme est en même temps son parcours existentiel. Il ne peut vouloir le bien et la liberté pour lui sans le vouloir pour les autres. Il y a l’obligation morale de semer l’espoir pour exister.

Didier Amah DOSSAVI

L’Alternative N° 189 du 13 novembre 2012