Surréalisme politique au Togo

Du brigandage politique aux simulacres des civilités

 

« L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut dans la foule », expliquait André BRETON dans  son Second manifeste du surréalisme. Tout ce à quoi on assiste au Togo, de père en fils, est parfaitement logé dans des bizarreries conceptuelles et peut-être réductible à une ivresse d’actes désadaptés dont la finalité est la criminalité. L’illusion de la puissance par des abominations s’étend, grandiose, dans la durée, et les déclarations de bonnes intentions meurent sitôt qu’elles sont émises parce que, qui a ses aises dans le vice ne peut s’accommoder à la vertu.

Mais, c’est l’ignorance qui fait rêver ceux qui croient que l’autorité s’acquiert de l’autoritarisme et que la seule manière de s’imposer, c’est de transgresser les règles normatives, la décence et les lois républicaines. Il est clair que le péché originel de Faure GNASSINGBE dans  sa prise de pouvoir et les flots de sang qui tiennent son fauteuil dans l’orage de toutes les violations ne sauraient offrir à son régime bon vent pour atteindre le cap de l’espérance qu’il s’est fixé : garder le pouvoir à n’importe  quel prix et selon la « volonté testamentaire » du père : « Si le pouvoir vous échappe, vous allez courir après ce pouvoir sans jamais le rattraper ». Dans cette confidence du Prince, il y a un réflexe du crime, du viol et de la forfaiture et nos institutions, instrumentalisées, fonctionnent dans la logique du non sens pour célébrer le crapuleux de ces rêves.

La Cour constitutionnelle, la justice et tous ses organes sont perçus par les Togolais comme des  armes fatales de prédation du droit ; ce qui, du reste, ressort des observations de l’UIP (Union Interparlementaire) et de la Cour communautaire de la CEDEAO. Au Togo, la justice tue les citoyens parce qu’elle méconnaît, même dans ses hautes instances de régulation le droit. Le rôle de la justice au Togo n’est que le bras qui porte le bouclier de la criminalité du régime. La pacotille de culpabilité imputée aux députés ANC (Alliance Nationale pour le Changement) pour les exclure de l’Assemblée nationale a fini par convaincre le monde entier que ce pays est à l’envers, dans un surréalisme de brigandage.

Aujourd’hui, les travaux de la CVJR (Commission, Vérité, Justice et Réconciliation), dans ses  menaces, son mensonge et ses demi vérités, sont auréolés d’un feu d’artifice au surréalisme de réconciliation parce que la méthode cathartique de guérison des maladies de l’âme telle que FREUD l’a instaurée n’admet jamais des omissions, des résistances et des défenses. Ces trois manquements à la vérité provoquent nécessairement ce que Sigmund nomme des rechutes. La preuve  en est que Laurent GBAGBO, dans sa prise du pouvoir dans des conditions calamiteuses, a organisé le même monologue de réconciliation dont la togolaise est sa réplique. Deux ans après, la rébellion est née. La suite est à l’appréciation de chacun. Les  simulacres d’un « plus jamais ça » avec tant d’omissions et de mensonges jettent la poudre aux yeux aux crédules et aux imbéciles heureux.

Les réformes institutionnelles et constitutionnelles depuis sept ans sont au stade zéro de leur exécution, dans un subterfuge de dialogue aux obscurités surprenantes. Or, c’est justement l’intelligence et la clarté des réformes qui peuvent servir de point de départ à la Réconciliation.

Du surréalisme politique au brigandage  étatique, comment dire non à ce régime pour que le pays reconquière son âme, sa dignité, sa valeur ?

1) Surréalisme étatique du régime

Faure GNASSINGBE aurait fait ses études dans des Universités américaines. Mais ces réactions sont plutôt dans la logique du Far-West vu son transit spectaculaire, en une seule nuit, du gouvernement à l’Assemblée nationale et de l’Assemblée au fauteuil présidentiel. En outre, les massacres des populations, 811 Togolais tués, selon les organisations de défense des droits de l’Homme, en faveur de son hold-up électoral, illustrent   bien le registre de sa personnalité. Son regard absent et froid, pour tous ceux qui ont une maîtrise de la caractérologie, entretient des calculs véreux. Tous ceux qui ont dans le regard des relents d’autisme marquent une grande distance avec l’instant présent pour s’emmurer dans des objectifs lugubres de leurs rêveries et ne considèrent jamais autrui comme une humanité, mais comme un moyen, un marchepied pour réaliser  des plans les plus dangereux à leur seul profit.

Tous ceux qui l’ont aidé dans l’aventure sanglante pour prendre le pouvoir sont tenus à distance dans le meilleur des cas, ou sont mis aux arrêts dans des conditions qui toujours, restent à élucider. Aujourd’hui, le Prince se défend d’avoir été candidat lors des tueries. On peut en inférer qu’il ne se sent pas mêlé aux évènements meurtriers et criminels d’Avril 2005. Cet argumentaire surréaliste ne lui confère le moindre écran d’innocence. C’est bien lui qui avait mis en toute conscience l’armée dans la situation d’allégeance à la mort du père. Il est ainsi le candidat de l’armée qui a marché sur les corps des Togolais pour le porter au pouvoir après qu’il eut perdu l’élection. Il a utilisé toute l’armée en ses fins dans une complicité active ou passive. Le « petit » ne peut tromper personne en se mettant un bandeau phosphorescent sur les yeux pour marquer sa distance imaginaire face aux crimes jamais commis dans l’histoire du Togo. Si sa conscience lui en disait davantage dans l’innocence proclamée, il devrait simplement renoncer à prendre le pouvoir dans une situation de crimes contre l’Humanité pour prouver à la face du monde la qualité éthique qui l’habiterait. Les rapports onusiens n’ont d’ailleurs pas exclu la participation active des membres de sa famille qui lui étaient proches dans ce qu’il convient d’appeler la « Catastrophe togolaise ». La raison de Louis BOULDALQUE dans son Sermon sur la fausse conscience peut servir de point de départ pour le Prince à servir son argumentaire d’innocence qui ne vaut pas un sou : « Un chemin étroit ne peut jamais avoir de proportion avec une conscience large ». Les Togolais prient pour le Grand Jour de la Vérité et de la Justice, loin de toutes les plaisanteries d’une réconciliation au surréalisme criard.

Chaque homme est une conscience libre capable d’opérer des choix qui l’engagent devant l’histoire. Et chaque homme devant l’événement, en tant que conscience libre, doit recourir à lui-même, s’il a du caractère, pour poser des actes humainement défendables et en faveur de la grandeur. La faillite à cette exigence de notre propre conscience devant l’histoire est une culpabilité.

Le vrai problème du mal togolais est à proprement parler, la question morale ou l’éthique de nos choix. C’est la seule question qui déchire le Togo, notre pays, du RPT à Faure. Le brigandage pour prendre le pouvoir est une absence d’éthique, confisquer les procès-verbaux et les ordinateurs des opposants est une question morale, instrumentaliser les institutions n’est pas moins une question d’éthique politique… C’est l’interprétation surréaliste de la politique par le régime RPT et ses suiveurs qui a abîmé l’émancipation de notre peuple. Ce pays est en lambeaux parce que le brigandage politique nous a installé dans une «civilisation de la mauvaise foi et du soupçon » si bien que le minimum de confiance qui puisse nous contraindre à la solidarité nationale est déclaré absent. Jamais, aucune réconciliation n’adviendrait au Togo sans que nous n’ayons réglé la question morale, parce que l’éthique en tant que contrainte, est un gage de confiance et de liberté. Ce sont les vertus, plus que les lois qui sont les gardiennes de la cité. La politique au Togo ne véhicule pas des valeurs. Les monologues, les duperies pour les roublardises ont enfermé la politique togolaise dans la caverne des idioties pour détruire la sensibilité citoyenne en nous. Les conséquences sont si désastreuses qu’il faut envisager une rééducation de l’homme togolais aujourd’hui enfoui dans le culte du privilège particulier  et de l’enrichissement illicite. La grande Université de la médiocrité morale à la fanfare de ceux qui ont géré le pays en quarante-quatre ans, a déformé nos concitoyens qui n’ont de repères nationaux que de mauvais exemples : mensonge, corruption, viol, vol, meurtres, tueries, sexe… Paul VALERY semble nous conforter dans notre constat lorsqu’il affirme dans Variété : « L’école n’est pas seule à instruire les jeunes. Le milieu et l’époque ont sur eux autant et plus d’influence que les éducateurs ».

2) Le chemin de l’Humanité politique

Comment refaire le chemin de l’humanité politique pour reconstruire la personnalité togolaise et porter le progrès ? La première urgence au Togo est de nous affranchir des « prête-noblesses », c’est-à-dire de nous abstenir de nous refugier dans un ailleurs pour fonder nos actes politiques, de nous accrocher à une mendicité de reconnaissance internationale ou de la communauté internationale dans le but de polir nos sottises, de faire avaliser nos âneries politiques. En quarante cinq ans bientôt, cette stratégie ne nous a jamais sorti du trou. Le vernis sur nos croutes morales offre l’image craquelée de notre pays avec toutes les désolations. C’est à nous-mêmes que revient  un travail de fond, d’honnêteté intellectuelle et morale, de civisme et d’amour pour le pays qui est le nôtre. Il est pour nous question de sortir de la déliquescence morale pour une régénérescence éthique au nom de la patrie et du développement. A chaque togolais, à tous les partis politiques et associations, la défense de la justice s’impose. C’est elle l’enjeu principal de notre existence et de notre coexistence, c’est-à-dire, de notre solidarité, l’ancre du partage. La politique ne consiste pas en des manœuvres de la phagocytose ou de la démolition. Elle est une science des libertés qui protègent les institutions et les citoyens. Cette équité favorise la sensibilité nationale pour nous préserver des identités meurtrières et des guerres de propriété, de succession…

La tendance qui ne laisse aucune chance à notre pays de se réconcilier avec lui-même est la perversion de l’autorité à vouloir écraser le citoyen, le violer intellectuellement, moralement et physiquement, à fouler au pied toutes les lois dans un mépris de la personne humaine. Cette perversion de l’autorité favorise toutes les stratégies du profit, de la corruption, de l’enrichissement illicite sur lesquels le pouvoir étend son parapluie de protection. En sept ans de prédation de la richesse nationale, le train du « club du petit » et de tous ceux qui gravitent autour du cercle est une injure aux aspirations et à la sueur de notre peuple. Pas un seul des prédateurs n’est inquiété, pas de comptes à rendre à qui que se soit. Ce surréalisme en brigandage de gestion s’évertue à se perpétuer par tous les subterfuges et les manèges de civilité en s’ouvrant à une « reconnaissance internationale ».Sacrilège ! Est-ce de cette manière  immorale que fonctionnent les institutions des autres pays ?

Il est d’une nécessité apodictique d’exiger, pour sortir de nos immondices politiques, un bilan régulier sur l’état de notre nation avec la plus grande transparence qui puisse forger à nouveau la force motrice de la confiance et de la solidarité sans lesquelles la réconciliation n’est qu’une chimère. Si le pouvoir se met à jouer franc-jeu avec toutes les forces nationales, sa rigueur morale pourrait contaminer les populations, les prédisposer à s’écouter, à se comprendre, à se pardonner pour tracer ensemble une nouvelle trajectoire pour une renaissance nationale. Ainsi s’imposera d’elle-même la réconciliation.

Pour nous, toutes les crises politiques ne sont qu’une accumulation des crises morales et toutes les crises morales et toutes les crises économiques ne sont que des manquements graves à l’éthique. NAPOLEON 1er dans ses Lettres nous en donne la certitude : «  La morale politique est le complément naturel de toutes les lois : elle est à elle seule le code » C’est elle qui sauve les pays des crises pour les remettre sur des courbes ascendantes.

Mais, nous savons que nulle part la morale ne se décrète. Elle est une vie en nous. Elle suppose une intériorisation des principes, un apprentissage, un mécanisme qui puisse asseoir sur l’individu une transcendance. C’est pourquoi nous proposons pour le Togo une brigade d’éthique composée de spécialistes d’horizon multiples et divers qui pourrait se donner un temps de réflexion pour définir les normes éthiques dans les biens et services  qui intègrent la communauté nationale. Elle pourrait rappeler tous les citoyens à l’ordre éthique et au besoin de renvoyer devant l’autorité judiciaire. La puissance publique peut à cet effet prendre des lois.

Nous voulons, dans tous les cas, sauver notre pays, notre avenir par une rupture radicale avec nos abominations morales, éthiques, nos masques pour une culture de dignité, de respect mutuel, de justice, du mérite pour une reconstruction d’un nouveau type de Togolais. C’est seulement à ces conditions que la brigandage politique pourrait faire face à l’élection, à la grandeur, à la sensibilité civique, au sens de la justice et de l’équité, à la réconciliation nationale.

Didier Amah DOSSAVI

L’Alternative N°105 du 22 Novembre 2011