Refus du scrutin uninominal à deux tours: la preuve par deux que le RPT est hostile au Changement.

 

La 14ème séance du Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation (CPDC) a, comme la précédente, accouché d’une souris. Après plus de neuf heures de discussions ayant essentiellement tourné autour du mode de scrutin, aucune solution n’a pointé à l’horizon. Retrait de certains partis politiques du Cadre par ci, colère et mécontentement d’autres formations par là, tous pointent du doigt le RPT (Rassemblement du Peuple Togolais) considéré comme l’auteur et le maître d’œuvre des malentendus. Et pour cause, ce parti, dont certains annoncent la ‘’mort’’ le samedi 28 janvier prochain, a refusé de se plier à la volonté des autres membres du CPDC qui, majoritairement, ont choisi de faire revenir le scrutin uninominal à deux tours. Par cette action, le RPT vient encore une fois d’étaler sa mauvaise foi sur la place publique.

« Au cours de cette séance, les membres du cadre ont conclu les discussions sur le choix du mode de scrutin à l’élection du président de la République. Une très large majorité s’est prononcée pour le mode de scrutin à deux tours et l’autre partie pour le mode de scrutin à un tour. En tout état de cause, cette majorité des membres du CPDC propose un mode de scrutin à deux tours ». Voilà en quoi s’est résumée la 14ème séance du CPDC. Une séance au cours de laquelle la majorité des membres a opté pour le scrutin uninominal à deux tours. Mais, fidèle à ses comportements anti-démocratiques, le RPT, malgré sa mise en minorité, s’y est encore opposé avec toute son énergie. Il a été encouragé dans sa basse besogne par le REFAMPT (Réseau des Femmes Parlementaires et Ministres du Togo) , une organisation dite de la société civile, mais qui lui est inféodée. Résultat, la séance s’est achevée en queue de poisson, le RPT ayant demandé de manière cavalière l’ajournement des travaux.  À la fin de la séance, plusieurs délégués ont eu à dénoncer cette attitude du parti au pouvoir. Une attitude qui, selon eux, va à l’encontre du règlement intérieur même du Cadre qui stipule que le débat soit clairement tranché, une fois que la majorité s’est prononcée.

Même si certains se disent surpris de la position du RPT, l’attitude de cette formation politique ne semble pas étonner d’autres Togolais. Ceci, au vu du refus catégorique qu’a opposé le parti au pouvoir aux multiples souhaits et tentatives de l’opposition d’appliquer ce mode de scrutin à la présidentielle de mars 2010. Il nous souvient qu’à cette période, le RPT avait usé de tous les astuces et utilisé tous les arguments pour refuser les deux tours. Effectuant une sortie médiatique sur Radio France Internationale le 08 octobre 2009, soit à cinq mois du scrutin de 2010, Gilbert Bawara, alors ministre en charge de la Coopération, actuellement Conseiller spécial de Faure Gnassingbé sans bureau à la Présidence, a essayé de donner les raisons pour lesquelles le Togo, selon lui, ne devait jamais parvenir à un second tour de scrutin.

D’après M. Bawara, la première raison est d’ordre financier. Le Togo sortant d’une longue crise, les besoins en termes de santé et d’éducation sont énormes. Ne disposant pas d’assez de ressources, il valait mieux consacrer le peu qui est disponible à ces secteurs précités plutôt qu’à l’organisation du second tour du scrutin présidentiel de 2010.

Les violentes tournures que les élections ont tendance à prendre depuis des années au Togo constituent l’autre raison jugée valable par Gilbert Bawara pour rejeter l’idée d’une élection à deux tours. D’après ses déclarations, ces violences surviennent toujours après le premier tour parce que les perdants essayent toujours d’ériger toute sorte de blocage et de difficultés qui empêchent la tenue du second tour. Des arguments qui n’ont pas fait l’unanimité au sein de l’opinion publique togolaise.

Une thèse battue en brèche

Même si, de l’avis de certaines personnes proches du pouvoir, les arguments brandis par le ministre Bawara en ce moment tiennent, il n’en demeure pas moins que le contexte a changé  et que le RPT ne peut plus brandir aujourd’hui les mêmes raisons pour s’opposer au retour du scrutin à deux tours. Car, d’une part, s’il est vrai que le Togo sort d’une longue crise, il est également vrai qu’il en a sorti la tête depuis un bon moment. Le chef de l’Etat n’a-t-il pas salué, dans son discours de fin d’année, les nouvelles avancées enregistrées par le Togo sur le plan économique en 2011. Ce n’est donc pas l’organisation d’un scrutin à deux tours lors des prochaines échéances électorales qui plongera le pays dans une faillite financière au point d’empêcher le gouvernement de s’occuper de certains secteurs qu’il juge prioritaires.

D’autre part, l’organisation d’une élection apaisée en 2010 a prouvé que le Togo commence à sortir du cycle élection-violence. C’est dire qu’il n’y a plus de raison de faire appel à l’argument de la violence post-électorale pour s’opposer au retour du scrutin uninominal à deux tours.

Dès lors, pourquoi et sur quoi se base le RPT pour refuser le retour d’un tel mode de scrutin alors qu’il a été mis en minorité au CPDC ?

 De l’avis de certains analystes, deux hypothèses peuvent expliquer cette attitude. La première est que, sachant qu’il s’est retrouvé en minorité, le parti au pouvoir est dos au mur et n’a d’autres choix que de se servir de « la raison du plus fort » pour imposer sa position aux autres. La seconde hypothèse, et la plus probable, est que le parti que Faure Gnassingbé entend dissoudre fait ce dilatoire au CPDC le temps de permettre à ses ‘’laborantins’’ de trouver une formule intermédiaire qui l’arrange. Il pourra par exemple, au cours de la séance de jeudi prochain, proposer que le scrutin à deux tours ne commence à être appliqué qu’à partir de la présidentielle de 2020 ou 2025. Comme ce fut le cas lors des discussions sur le nombre de mandat présidentiel, le RPT ayant réussi à tirer son épingle du jeu avec une formule qui permet à l’actuel chef de l’Etat d’être aux affaires jusqu’en 2020 ou 2025.

Pourquoi l’opposition présente au CPDC rénové gesticule-t-elle ?

L’attitude affichée jeudi dernier par le parti au pouvoir a offusqué certaines formations de l’opposition présentes au CPDC rénové. Si certains ont préféré ne pas réagir officiellement, d’autres par contre ne l’ont pas entendu de cette oreille. C’est le cas de la Convention Démocratique des Peuples Africains (CDPA) de Léopold Gnininvi qui a été le premier à donner le ton en annonçant son retrait du Cadre. Pascal Adoko, membre du bureau du parti et représentant de cette formation au CPDC, n’a pas mâché ses mots : « Nous avons été surpris de la manière cavalière dont cette réunion a été ajournée. Et nous tenons à manifester notre mécontentement par rapport à cela. Notre objectif en allant au CPDC est de participer aux réformes pour que le Togo puisse avancer. Et nous essayons donc de travailler parfois dans des conditions difficiles. Il faut le reconnaitre. Et je puis vous assurer que depuis qu’on a commencé ces travaux, toutes les réformes constitutionnelles sont terminées, sauf le mode de scrutin  du président de la République qui est contenu dans notre Constitution. Et nous avons le sentiment après cet ajournement  cavalier, qu’on fait du dilatoire. Si tel est le cas, c’est dommage. Car, nous savons qu’au niveau de la sous-région, il existe des  mécanismes qui empêchent par exemple de toucher aux réformes à 6 mois des élections. Si l’objectif est de garder le statut quo, je crois que le gouvernement et le pouvoir RPT courent de graves risques », a-t-il indiqué.

La CDPA sera suivie quelques heures plus tard par le Parti Démocratique Panafricain (PDP) de Bassabi Kagbara qui a également suspendu provisoirement sa participation aux travaux du CPDC pour les mêmes raisons. Quant au Parti du Renouveau et de la Rédemption (PRR) de Nicolas Lawson, il a dénoncé l’attitude dangereuse du parti au pouvoir mais a préféré resté au CPDC pour éviter la politique de la chaise vide.

Mais, au-delà de ces réactions, la question se pose de savoir pourquoi les opposants présents au CPDC gesticulent-ils aujourd’hui ? Pourquoi jouent-ils les étonnés face au comportement du RPT ? N’ont-ils pas conscience que le pouvoir n’a aujourd’hui aucun intérêt à opérer des réformes ? De telles interrogations méritent d’être posées au regard de la manière cavalière dont ces formations, que d’aucuns qualifient de dépouilles mortelles politiques, ont accédé au CPDC rénové malgré les protestations de certains de leurs collègues. En plus, comment se fait-il qu’étant majoritaire au sein du Cadre, ils peuvent encore se laisser dominer par le RPT ? C’est dire qu’ils ne font pas le poids devant le parti au pouvoir et que l’interlocuteur ou les interlocuteurs valables ne sont pas encore à la table.

Tout compte fait, Faure Gnassingbé doit être conscient du fait qu’il est l’artisan des réformes qui sont en train d’être opérées au Togo. Soit ces réformes sont bien faites et proprement, soit on ne veut pas les faire et on les laisse tomber. Il n’y a pas de formules intermédiaires. Le Chef de l’Etat n’a donc aucun intérêt à laisser son parti poursuivre le désordre qu’il organise au CPDC au risque d’apparaitre comme une personne de mauvaise foi aux yeux de l’opinion nationale et internationale.

Isaac Mawuvi
Indépendant Express N°194 du mardi 17 janvier 2012