Rapport 2016 sur les droits de l’Homme au Togo Corruption, impunité, surpopulation carcérale, favoritisme, etc.
relevés par les Etats-Unis .
« L’adhésion à l’UNIR a conféré des avantages comme un meilleur accès aux emplois du gouvernement »
Depuis quatre décennies, les Etats-Unis publient annuellement un rapport sur la situation des droits de l’Homme dans près de 200 pays. Cette année 2017, et fidèle à cette tradition, les Etats-Unis viennent de publier le rapport sur les droits de l’Homme en 2016. Dans la préface du rapport, le Secrétaire d’Etat américain Rex W. Tillerson a rappelé que la promotion des droits de l’Homme et de la gouvernance démocratique est un élément essentiel de la politique étrangère de son pays. « Ces valeurs constituent un fondement essentiel des sociétés stables, sécurisées et fonctionnelles. Défendre les droits de l’Homme et la démocratie n’est pas seulement un impératif moral, mais c’est dans l’intérêt des États-Unis de rendre le monde plus stable et plus sûr. Les rapports nationaux de 2016 sur les pratiques en matière de droits de l’Homme démontrent l’engagement inébranlable des États-Unis à promouvoir la liberté, la dignité humaine et la prospérité mondiale », a-t-il dit.
Le rapport a tout d’abord dressé un tableau global de la situation des droits de l’Homme en 2016 au Togo, avant d’aborder la question de façon détaillée. En général, le rapport indique que les autorités civiles ont parfois échoué à maintenir un contrôle effectif sur les forces de sécurité. Les principaux problèmes liés aux droits de l’Homme étaient relatifs aux conditions de détention et à la mortalité élevée dans les prisons, la corruption et l’impunité, l’influence de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire, les restrictions liées à la liberté de presse, d’expression et de rassemblement, les violences à l’égard des femmes et des enfants, la discrimination des personnes handicapées, les groupes régionaux et ethniques et les personnes lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles, transgenres et intersexuelles (LGBTI). « Le gouvernement a pris des mesures limitées pour poursuivre ou punir les fonctionnaires qui ont commis des abus. L’impunité était un problème », lit-on dans le rapport.
Du respect de l’intégrité de la personne
Le rapport s’est félicité de l’imprescriptibilité du crime de torture introduite dans le nouveau Code pénal. Mais les manquements ou violations constatés par rapport au respect de l’intégrité de la personne sont en grande partie liés aux conditions de détention dans les prisons du pays. Ces conditions sont décrites comme sévères et potentiellement des causes de décès. La raison ? La surpopulation, la mauvaise hygiène, les maladies et la qualité malsaine des aliments. « Il y a eu des rapports selon lesquels les fonctionnaires des prisons ont parfois retenu le traitement médical des prisonniers », souligne le rapport.
Pour ce qui est des conditions physiques de détention, on retient que « la surpopulation carcérale était un problème. En 2015, il y avait 4.427 prisonniers et prévenus (dont 118 femmes) dans 12 prisons conçues pour contenir 2.720. Les hommes gardaient souvent les femmes. Il y avait 27 mineurs détenus dans la brigade pour les mineurs. Les autorités ont placé les nourrissons de prisonniers et prévenus dans les garderies privées soutenues par le gouvernement. Les fonctionnaires ont détenu des prévenus avec des détenus condamnés. Les installations médicales, les aliments, l’assainissement, la ventilation et l’éclairage étaient insuffisants ou inexistants, les prisonniers n’avaient pas accès à l’eau potable et les maladies étaient répandues. Il y avait 27 décès en détention pour diverses causes, y compris le paludisme ».
Du côté de l’administration, le rapport souligne que la tenue de dossiers était insuffisante. « Il n’existe aucune alternative à l’incarcération, même pour les prisonniers non violents. Beaucoup de personnes en détention provisoire ont le droit d’être libérées en vertu d’une disposition prévoyant la libération d’un détenu qui avait déjà purgé la moitié de la peine correspondant à l’accusation, mais parce que les administrateurs de prison n’avaient pas tenu compte des accusations portées contre des détenus, les fonctionnaires ne savaient pas quels détenus étaient admissibles à la libération. Il n’y avait pas d’ombudsman (personnalité indépendante ou médiateur chargé d’examiner les plaintes des citoyens contre l’administration, Ndlr) pour aider à instruire les plaintes des prisonniers et des prévenus. Bien que les autorités aient autorisé les prisonniers et les prévenus à présenter des plaintes sans censure et à demander des enquêtes sur des allégations crédibles de conditions inhumaines, les autorités judiciaires enquêtaient rarement sur les plaintes et, lorsqu’ils l’ont fait, n’ont pas publié de conclusions. Le gouvernement a rarement surveillé et enquêté sur des allégations de conditions inhumaines des prisons et des centres de détention. Détention préventive : une pénurie de juges et d’autres membres du personnel qualifié, ainsi que l’inaction des autorités ont souvent entraîné la détention provisoire pour des périodes dépassant la peine que les détenus auraient purgée s’ils étaient jugés et condamnés. Les délinquants prévenus et les personnes en détention préventive étaient au total 2.800 personnes, soit 63% de la population carcérale totale », lit-on dans le rapport qui estime que l’ouverture, le 21 septembre 2016, de la prison civile de Kpalimé, devra aider à soulager celle de Lomé.
Les violentes et meurtrières répressions dans la ville de Mango en novembre 2015 ont été citées dans ce rapport où le rôle de l’appareil de Police et de sécurité a été dénoncé. « En novembre 2015, les forces de sécurité ont réprimé violemment les manifestations dans la ville de Mango au nord du pays. Cette violence a été suivie d’affrontements entre des agents de maintien de l’ordre et des manifestants qui ont entraîné la mort d’au moins sept manifestants et d’un agent de Police. L’intervention des forces de sécurité a duré une journée au cours de laquelle un manifestant supplémentaire a été tué », rappelle le rapport.
Le comportement des forces de l’ordre et de sécurité a été également remis en cause. « La corruption et l’inefficacité étaient endémiques à la Police et l’impunité était un problème. Il y a eu des rapports selon lesquels les policiers abusaient de l’autorité d’arrestation à des fins personnelles. Les abus commis par les forces de sécurité doivent faire l’objet d’enquêtes disciplinaires internes et de poursuites pénales par le ministère de la Justice, mais une telle action s’est rarement produite. Le gouvernement n’a généralement ni enquêté ni sanctionné effectivement ceux qui ont commis des abus. Il n’y avait aucune formation ou d’autres programmes pour accroître le respect des droits de l’Homme. Bien que la loi stipule que les juges spéciaux mènent une enquête préliminaire pour examiner l’adéquation des preuves et pour décider de la libération sous caution, les autorités ont souvent détenu des prévenus sans caution pendant de longues périodes indépendamment de la décision d’un juge. Les procureurs et les membres de la famille ont le droit de voir un détenu après 48 à 96 heures de détention, mais les autorités ont souvent retardé et parfois refusé l’accès. Tous les prévenus ont droit à un avocat et le barreau a parfois fourni des avocats aux indigents accusés d’infractions pénales. La loi confère aux prévenus indigents le droit à une représentation juridique gratuite, mais le gouvernement n’a fourni qu’un financement partiel pour la mise en œuvre », dit le rapport.
Les arrestations arbitraires ont eu lieu au cours de l’année 2016. C’est le cas de l’arrestation, le 1er avril 2016, de deux manifestants à Dapaong. C’était « pour avoir critiqué les célébrations de la fête nationale et avoir réclamé la justice pour les sept personnes tuées lors des affrontements de novembre 2015 entre les forces de sécurité et les manifestants à Mango ».
Après plus de deux mandats au pouvoir, Faure Gnassingbé et son administration contrôlent toujours les décisions de justice. Les exemples sont légion et dans le rapport on note que « bien que la constitution prévoie un pouvoir judiciaire indépendant, le pouvoir exécutif a continué à exercer un contrôle sur le pouvoir judiciaire et la corruption judiciaire était un problème. Il y avait une perception répandue que les avocats ont soudoyé les juges pour influencer l’issue des cas ».
Outre son influence sur les décisions de justice, le gouvernement togolais est aussi réticent dans le respect des décisions des juridictions régionales et internationales. « La constitution et la loi prévoient des recours civils et administratifs pour les actes répréhensibles, mais le pouvoir judiciaire n’a pas respecté ces dispositions et la plupart des citoyens ne les connaissaient pas. Certains cas passés soumis à la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont abouti à des décisions que le gouvernement n’a pas mises en œuvre ».
Du respect des libertés civiles et politiques
Dans cette catégorie, le Togo n’est pas non plus un bon élève. Le gouvernement, souligne le rapport, a restreint la liberté d’expression et de presse. Il en est de même de la liberté de mouvement interne, les voyages à l’étranger, l’émigration et le rapatriement. La Police de son côté s’illustre dans le rançonnement systématique des automobilistes sur « des accusations de violation du droit de la circulation pour solliciter des pots-de-vin ». Le rapport révèle la mainmise de l’Union pour la République (Unir) sur tous les leviers du pouvoir et dans l’accès à l’emploi. Il note que « le parti UNIR a dominé la politique et a maintenu un contrôle ferme à tous les niveaux du gouvernement. L’adhésion à l’UNIR a conféré des avantages comme un meilleur accès aux emplois du gouvernement. Seulement 17,6% des parlementaires étaient des femmes (16 sur 91). Les membres des groupes ethniques du Sud restent sousreprésentés au gouvernement et au sein des forces armées ».
La corruption et l’impunité ont le vent en poupe
En 2016, le gouvernement n’a pas mis en œuvre la loi sur la lutte contre la corruption de manière efficace et les fonctionnaires se sont souvent livrés à des pratiques de corruption en toute impunité. La preuve, l’organe officiellement responsable de la lutte contre la corruption qui est « la Commission nationale pour la lutte contre la corruption et le sabotage économique (CNLCSE) a continué à manquer d’un mandat juridique anticorruption spécifique et était inactif. Les autres entités de l’Etat, telles que le Bureau de la comptabilité du gouvernement et l’Inspection des finances ont enquêté et audité les institutions publiques, mais leurs ressources étaient limitées et elles ont montré peu de résultats. La corruption au sein des fonctionnaires a été très grave parmi les responsables des prisons, les policiers et les membres de la magistrature »
En outre, « bien que la loi prévoie l’accès du public à l’information, le gouvernement ne répond pas toujours aux demandes. De nombreux documents n’étaient disponibles que sur papier ».
Du droit du travailleur
En ce qui concerne le droit du travailleur le rapport épingle l’inaction du gouvernement dans le renforcement de la législation afin de mieux protéger les enfants. « Les employeurs ont soumis les enfants au travail forcé dans les exploitations de café, de cacao et de coton, ainsi que dans les carrières, le service domestique, les distributions de rue et la mendicité. Les employeurs ont exploité les hommes pour le travail forcé dans l’agriculture et exploité les femmes dans le service domestique et ont forcé la prostitution à l’étranger. Le gouvernement n’a pas appliqué efficacement les lois sur le travail des enfants. Les sanctions légales étaient insuffisantes pour dissuader les violations. Les inspecteurs du ministère ont imposé des exigences d’âge uniquement dans le secteur formel dans les zones urbaines », lit-on dans le rapport qui s’est appuyé sur celui publié par l’UNICEF en 2015.
Les travailleurs brimés sont aussi des adultes. Selon le rapport, la loi autorise les travailleurs à se retirer de situations qui mettent en danger la santé ou la sécurité sans craindre pour leur emploi, mais les autorités n’ont pas efficacement protégé les employés dans ces situations. « Des accidents industriels ont eu lieu, y compris une explosion dans une usine de ciment à Tabligbo en juin 2015 qui a tué six personnes. Le ministère de la Justice a déposé des plaintes pour homicide involontaire contre le directeur de l’usine en octobre 2015 et, le 6 octobre, a condamné la société à payer 279 millions de francs CFA aux familles de cinq employés tués et à deux millions de francs CFA en tant que dommages et intérêts, et le gérant a été condamné à une peine de huit mois avec sursis. La Confédération syndicale internationale a signalé des violations des normes de santé et de sécurité au travail dans les Zones franches économiques », indique le rapport.
Géraud A
Liberté N° 2424 du 25 Avril 2017