Rafles d’opposants dans les quartiers de Lomé

Rafles dans les quartiers d’« opposants »

Amateurisme des forces de sécurité, paranoïa chez les gouvernants

 

Descentes policières inopinées dans des quartiers et embarquement de toute âme errante, c’est la mode ces derniers temps. Dans la nuit du 14 juillet dernier, c’étaient les habitants de Hanoukope et Kodjoviakope qui étaient la cible des patrouilleurs. Munis de pièces d’identité ou pas, tous les riverains qui avaient le malheur de passer près du Terrain des Cheminots communément appelé Akassimé ont été interpellés, sans autre forme de procès. Et pourtant, il ne sonnait que 21 heures. Pas de distinction de statut social. Nous l’avions rapporté, le Secrétaire général du Parti des Travailleurs, Claude Ameganvi, qui avait l’habitude d’emprunter cette voie, a été aussi appréhendé. Tous ses efforts pour présenter sa carte d’identité ont été vains. Il n’a été relâché que par le concours de circonstances heureuses. Quinze (15) jours plus tard, c’est le tour des habitants d’Attikpodji de goûter à la nouvelle trouvaille des forces de sécurité.

Le week-end dernier, vendredi nuit pour certains et samedi nuit pour d’autres, nombre d’entre eux ont été aussi embarqués, direction gendarmerie où ils ont passé la nuit. Selon les témoignages des victimes, ils ont été parqués sur un terrain de handball, comme des prisonniers de guerre, sous le froid jusqu’au lendemain, avant d’être relâchés. On rapporte qu’une dame venue aux nouvelles pour son garçon arrêté a été aussi gardée. Et avant de relâcher tout ce beau monde, ils sont photographiés, avec ardoise sur la poitrine où sont écrits leurs nom et prénoms, à la manière des criminels.

Dans ces deux cas, ce sont des raisons sécuritaires qui sont avancées par les corps habillés pour justifier ces rafles. Ces quartiers visités sont fichés comme des repères de bandits, et cela donne le droit d’embarquer tout le monde, même les honnêtes citoyens. « C’est pour vous protéger qu’on vous a amenés ici », a dardé un supérieur hiérarchique aux appréhendés d’Attikpodji. Certaines sources évoquent des débarquements d’armes dans le pays, et c’est dans la perspective de dénicher leurs caches que cette opération a été entreprise dans le quartier Attikpodji.

C’est vrai que lorsque la sécurité des citoyens est menacée,  c’est aux corps habillés qu’il revient d’agir. Même si ces arguments sécuritaires sont fondés, l’opération ne fait que révéler l’amateurisme des forces de l’ordre et de sécurité, du moins leur manque de professionnalisme. Peut-on se permettre d’arrêter tout citoyen que l’on croise dans la rue, fût-il dans la nuit, même ceux qui avaient sur eux leurs pièces d’identité, sous prétexte qu’on a eu vent d’une menace de sécurité ? Le faire ainsi c’est prendre tout le monde pour des bandits. « Même si des repères de malfrats existent dans ces quartiers visités, ce qui est bien possible parce que dans la société il y a tout, c’est du devoir des forces de sécurité de mener des enquêtes pour les dénicher. C’est à ça qu’elles ont été formées, et c’est le contribuable qui a supporté ce coût. Se mettre à arrêter tout le monde c’est de l’amateurisme. C’est comme si le contribuable a investi de l’argent pour rien et nos policiers et gendarmes n’ont rien appris…Les rafles sont légitimes lorsqu’il est décrété un Etat d’urgence ou un couvre-feu ; et là aussi ce sont des cas de force majeure. Mais il ne s’agit nullement de ces cas à Hanoukopé et Attikpodji. C’est déplorable, le traitement que les corps habillés réservent aux citoyens », s’emporte un juriste.

Au-delà de cet amateurisme manifeste, il y a comme un air de paranoïa chez les gouvernants. « Même les paranoïaques ont des ennemis. C’est vrai, mais les paranoïaques schizophrènes en ont deux fois plus », écrit Hervé Le Tellier dans Guerre et plaies. Nous le signalions tantôt, certaines sources ont avancé l’argument de débarquements d’armes dans le pays, et c’est dans le but de dénicher ces caches que les rafles ont été entreprises. Soit. Mais lorsqu’on scrute un peu les quartiers victimes de ces rafles, ce sont ceux estampillés opposants : Kodjoviakopé, Hanoukopé, Attikpodji. Et ce n’est pas la première fois qu’ils sont visités. Cela se passe souvent les jeudis, lorsqu’il y a un peu d’accrochage entre les forces de répression et les militants de l’Alliance nationale pour le changement (Anc) autour du domicile de Jean-Pierre Fabre à Kodjoviakopé, les habitants subissent la colère des corps habillés à la nuit tombée. Voici depuis des mois que ces descentes sont entreprises dans ces quartiers opposants (sic), mais jamais on n’a trouvé de planques d’armes à montrer au peuple. Si ce n’est simplement de la paranoïa chez les gouvernants, cela y ressemble presque.

 

Tino Kossi

Liberté N° 1022 du 03 août 2011