24 avril 2005 – 24 avril 2013
Quel bilan pour Faure Gnassingbé en 8 ans ?
Fulbert Sassou ATTISSO
Le 24 avril 2005, Faure Gnassingbé prêta serment devant la Cour Constitutionnelle comme président de la République à l’issue d’une élection présidentielle décriée et émaillée de fraudes massives. Le monde entier assista au scénario ahurissant de soldats courant et emportant sous les bras des urnes remplies de bulletins. La répression qui a suivi la contestation a été noyée dans le sang. Bilan : 500 morts selon la Commission des Nations Unies et 811 selon la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme. La coalition à la tête de laquelle se trouvait Bob Akitani, candidat unique de l’opposition, a été déclarée battue par le candidat du RPT Faure Gnassingbé. Véritable paradoxe ! Qui pouvait croire et admettre que le fils de Gnassingbé Eyadéma peut gagner des élections au Togo. De surcroît, il a été proclamé vainqueur devant une opposition coalisée et après qu’il ait perpétré avec le soutien de l’armée un coup d’Etat à la mort de son père, le 5 février 2005. En dépit des protestations et contre la volonté du peuple, Faure Gnassingbé prit le pouvoir. Et 5 ans plus tard, on était en 2010, il se fera renouveler son mandat à l’issue d’une élection toute aussi contestée que la première. Depuis, Jean-Pierre Fabre et ses partisans sont dans la rue pour contester la réélection de Faure Gnassingbé. 8 ans après ces évènements politiques qui continuent d’empoisonner la vie politique, il y a lieu de faire le bilan de Faure Gnassingbé. En fait de bilan, il s’agit d’analyser la situation du pays, sur le triple plan politique, économique et social afin de répertorier les avancées et faire la comparaison entre ce que le pays était au jour du 24 avril 2005 et ce qu’il est devenu 8 ans après.
D’entrée, il faut revenir sur la boutade que Faure Gnassingbé a faite quand il arrivait au pouvoir : « lui c’est lui, moi c’est moi ». Il voulait signifier qu’il était différent de son père et qu’il allait gérer le pays autrement. Beaucoup avaient cru qu’il était animé de l’esprit de rupture, c’est-à-dire noué avec des méthodes de gestion autres que celles qui avaient cours depuis 38 ans. Les militants du RPT/UNIR n’ont pas attendu les premiers pas du régime pour dire de Faure Gnassingbé qu’il est un esprit nouveau. Il est vrai qu’au-delà des conditions exécrables dans lesquelles il a pris le pouvoir à la mort de son père, Faure Gnassingbé avait soulevé de l’espoir parce qu’il présentait un bon profil. On a dit de lui qu’il était sorti des universités françaises et américaines, qu’il a séjourné en Occident, bref qu’il était démocrate et avait des qualités. Beaucoup, y compris ceux qui ont pourfendu le coup d’Etat du 5 février 2005, attendaient de le voir à l’œuvre. 8 ans après, les attentes sont déçues et la boutade est restée sans effet : la rupture tant attendue n’a pas eu lieu. Au contraire les méthodes de l’ancien régime ont été maintenues, renouvelées et même affinées. Dans aucun secteur de l’Etat, Faure Gnassingbé ne peut revendiquer de bons points, puisque la gestion du pays n’a pas changé, elle a plutôt empiré. Ce qui aurait pu montrer la volonté de rupture de l’actuel régime aurait été le retour à la Constitution de 1992 qu’Eyadéma avait révisée et taillée pour assurer sa permanence au pouvoir. Le fils a préféré laisser la situation en l’état parce que çà l’arrange, surtout que la Constitution lui permet de se représenter à l’élection présidentielle autant de fois qu’il le voudra. Il gère un héritage plutôt que de le transformer, alors que l’actif de son père est contesté et son bilan des trente huit ans est un désastre. Sur tous les plans, la rupture ou le renouveau tant attendu n’a pas eu lieu.
Le bilan politique
Le bilan politique de Faure Gnassingbé est un fiasco retentissant. La preuve est faite par l’ébullition du front politique avec les manifestations populaires permanentes de partis ou de groupes réclamant des réformes politiques. En effet, les réformes substantielles qui auraient permis au Togo de relancer son processus de démocratisation n’ont pas été faites par Faure Gnassingbé. La Constitution qui laisse à peine entrevoir le régime politique est gelée, les institutions de l’Etat ( la Cour Constitutionnelle, la Cour des Comptes, la HAAC, le Conseil Supérieur de la Magistrature, etc.) sont instrumentalisées par le pouvoir qui en use pour se conserver. L’administration n’est pas représentative de la pluralité ethnique du pays , en dehors de la gabegie et des maux qui la minent, la justice est un instrument de règlement de compte entre les mains du pouvoir, et les forces de défense et de sécurité sont au service du parti UNIR qui les utilise pour garder le pouvoir. Les élections sont de simples formalités pour permettre à ce parti de se revêtir d’un semblant de légitimité pour un nouveau départ. Elles se déroulent dans l’iniquité et ne laissent aucune chance aux partis adverses qui n’ont d’ailleurs jamais gagné. Les problèmes politiques se sont multipliés dans le pays depuis 8 ans et leur expression est la manifestation récurrente de l’opposition qui dénonce le refus de l’alternance politique mais aussi la mauvaise gestion.
Le bilan économique et social
Il est aussi négatif et peut-être plus que le bilan politique. A ce niveau, tout comme sur le plan politique, des réformes étant nécessaires pour aller vers la bonne gouvernance et une gestion assainie de l’Etat. L’éternel problème de l’Etat togolais c’est la mauvaise gestion avec son corollaire les détournements d’argent, les surfacturations et les marchés gré à gré. Ces maux empêchent l’Etat de mobiliser les ressources afin de faire face aux nombreux défis du développement. Pour y arriver, le chef de l’Etat devrait montrer l’exemplarité à travers le refus des fastes et la diminution du niveau de vie de l’Etat. Il devrait surtout s’interdire la pratique qui consistait, sous l’ancien régime, à convoyer furtivement de l’argent à la présidence plutôt que de le déposer au Trésor public. Cette pratique avait cours sous le règne du père et a continué sous celui du fils. L’Etat n’a pas diminué son niveau de vie, au contraire il l’a augmenté. En 2005, la présidence de la République s’est donné un budget d’à peu près 5 milliards ; en 2012, ce budget s’est élevé à 11 milliards. Le chef de l’Etat s’adonne aux fastes : il s’offre des voyages privés aux frais de l’Etat et s’est acheté une Mercédès Maybach au pris avoisinant le milliard. Ses collaborateurs lui ont emboîté le pas ; la plupart se sont enrichis sur le dos de l’Etat et mènent la grande vie pendant que les populations tirent le diable par la queue. La conception de l’Etat qui est perçu comme une mine d’or que ceux ayant en charge sa gestion doivent prendre leur part et le ramener dans leur famille, tribu ou ethnie, n’a pas quitté les dirigeants. En 8 ans de pouvoir de Faure Gnassingbé, le pays a eu de nouveaux milliardaires qui viennent tous de son entourage et parfois de sa communauté ethnique. Bref, la conception de la gestion du pouvoir n’a pas varié de Gnassingbé père au fils ; l’esprit et les méthodes n’ont pas changé. Le peu de progrès (réaménagement de routes pour l’essentiel) reste insuffisant et en deçà de ce qu’on pouvait attendre du chef de l’Etat actuel. Les institutions de régulation de la gestion de l’Etat (Cour des comptes, Inspection d’Etat, Commission des marchés,…) n’existent que de noms, et lorsqu’elles sont sollicitées pour intervenir dans une situation, c’est souvent pour régler les comptes politiques. La mal gouvernance a induit une insuffisance de moyens pour faire face aux demandes sociales auxquelles les corps sociaux sont confrontés. La grogne des travailleurs qui revendiquent de meilleurs salaires et des conditions de vie décentes est l’illustration de la faillite économique de l’Etat sous le règne de Faure Gnassingbé.
Les 8 ans de règne de Faure Gnassingbé consacrent un bilan négatif, aussi bien sur le plan politique, économique que social. La rupture qu’il a promise à son arrivée au pouvoir à travers sa formule « Lui c’est lui, moi c’est moi » est restée une promesse de gascon et les attentes diverses, des espoirs déçus. Ce constat est conforté par la contestation qui se déploie sur les fronts politique et social.
La Cause de la Nation N° 008 du 29 avril 2013