Préparation unilatérale et chaotique des législatives
Que cache l’accélération du processus électoral
dans la foulée des incendies des marchés ?
La coïncidence est saisissante : au moment où les députés à l’Assemblée Nationale levaient la main, tels des élèves, pour prendre une décision aussi sensible que celle de la levée de l’immunité parlementaire de M. Kodjo, la commission électorale de Madame Aguigah franchissait un nouveau palier dans sa marche vers les législatives en vue par l’officialisation d’une date. Une question : faut-il voir dans cette coïncidence la volonté inavouée du pouvoir de mettre hors d’état de nuire les adversaires politiques qui ont promis ouvertement tout faire pour empêcher la tenue de législatives sans un consensus sur les règles ? La tentation est forte, bien évidemment.
De curieuses coïncidences
Beaucoup de gens n’ont pas fait attention à la proximité et même à la concomitance des événements. Cependant, c’est une évidence qu’en faisant un peu seulement attention, on aurait découvert que le processus extraordinairement accéléré qui a abouti à la détention à vue d’Agbeyomé Kodjo s’est déroulé au même moment que le franchissement par la commission électorale d’un nouveau palier, notamment l’officialisation d’une date pour les législatives. Le matin du mercredi 16 janvier en effet, au moment où les députés à l’Assemblée Nationale levaient l’immunité parlementaire de M. Kodjo, président du parti OBUTS, Angèle Aguigah a fait venir des chefs de partis politiques pour leur annoncer que « sa » commission avance inlassablement vers les élections.
Les activités telles qu’elles ont été menées jusqu’ici, ce qui reste encore à faire puis demander l’avis des interlocuteurs sur le tableau dressé afin de mieux faire, voilà l’objectif de la réunion. Beaucoup de partis politiques, notamment ceux du Collectif Sauvons le Togo (CST) et dela Coalition Arc-en-ciel n’ont pas répondu à l’appel de Madame Aguigah, ceux qui étaient présents à la rencontre n’ont pas manqué de relever leur réserve sur le déroulement du processus ainsi que sur la composition sur mesure de la commission. La réunion n’avait pas pris fin quand dans le dossier Agbeyomé Kodjo les choses sont allées si vite que le capitaine Akakpo, encore et toujours lui, a conduit ses hommes au domicile de M. Kodjo pour l’arrêter. Un citoyen dépité fait la remarque drôle certes mais absolument expressive : « la levée de l’immunité parlementaire d’Agbeyomé Kodjo n’avait même pas encore refroidi quand on est allé lui mettre la main dessus ».
Fait suivant : le lendemain de ces deux événements à la chronologie suspecte, le gouvernement choisit de dire à madame Aguigah et à ses collègues dela CENI« vous faites bien, avancez » en leur offrant du matériel roulant : dix véhicules pour un coût de 150 millions de F CFA. Interprétation logique : le gouvernement encourage la commission électorale à poursuivre sa course et à organiser les législatives, n’en déplaise aux détracteurs et aux contestataires.
Une dynamique unilatérale
Au moment où il est constaté l’intervention du diplomate américain dans un rôle de « monsieur bons offices » dans le but d’amener les protagonistes de la politique nationale à admettre la nécessité d’un processus électoral consensuel, les nouvelles des arrestations des militants et responsables d’opposition, sans raison valable, et l’appui évident aux activités de la commission électorale autorisent à penser et à croire que Faure Gnassingbé n’est pas prêt de renoncer à sa logique d’élections à sa seule mesure. Depuis les échecs des différents dialogues l’année dernière, depuis qu’on a constaté que le pouvoir ne veut pas aller aux élections sur la base de règles neutres qui garantissent à tous les participants les mêmes chances au départ, presque personne ne se fait de doute sur la dynamique unilatérale choisie.
Les revendications des adversaires politiques du pouvoir sont connues de tout le monde. De Gilbert Houngbo à Arthème Ahoomey-Zunu, les gouvernements qui se succèdent et qui ont eu la lourde charge de conduire des sessions de négociations avec les forces d’opposition ne sont jamais arrivés à réaliser un accord sur les points de désaccord. M. Houngbo avait donné son corps en garantie pour faire ce que beaucoup avant lui n’ont pas pu faire. Echec et mat pour l’homme du PNUD qui, acculé et désavoué, jettera l’éponge, laissant derrière lui le problème intact. M. Ahoomey-Zunu a déjà dirigé deux sessions de dialogue, la seconde s’est révélée une occasion de honte et même d’humiliation pour lui : pendant qu’il annonçait à ses invités du CST et de la coalition Arc-en-ciel qu’il n’y avait pas de sujet tabou, ce sont des ministres de « son » gouvernement qui le rappellent à l’ordre en précisant les règles de jeu. Monsieur le Premier ministre n’a pu rien dire pour les contredire, il a subi la loi et la volonté de ses ministres, le contraire était la norme.
Dès lors, en restant sourd à tous les appels et à toutes les invitations au bon sens, le pouvoir de Faure Gnassingbé affiche sa volonté manifeste d’aller aux élections sur la base des règles qui lui garantissent une « victoire » mécanique du fait du découpage électoral injustement favorable et de l’instrumentalisation des institutions intervenant dans le processus électoral. C’est pour cela qu’il refuse et s’arc-boute sur le découpage électoral qui est tel que des sièges de députés lui sont acquis de facto, même avant les élections. C’est pour cela aussi qu’il ne veut pas que la commission électorale soit équilibrée dans sa composition afin de donner des chances d’un suivi consensuel du processus. C’est une obstination qui devient déjà morbide, c’est peu de le dire.
Du jusqu’au-boutisme inutile!
Pour certains observateurs, Faure Gnassingbé semble déterminé à aller jusqu’au bout de sa logique unilatérale. Contre tout bon sens et comme s’il faisait des législatives un challenge personnel, il ferme les oreilles à toutes les sollicitations et avance droit vers le mur. Ces observateurs appréhendent la dernière mise à disposition de la commission électorale des 10 véhicules comme l’expression d’un désir de recourir aux finances nationales pour couvrir les frais liés aux législatives.
On soutient que, faute de bénéficier de la subvention habituelle de Bruxelles, le pouvoir togolais se prépare à mobiliser des fonds propres à l’interne pour financer les élections. Le budget de 10 milliards annoncé pourrait donc être couvert sur la base de ces fonds internes, à défaut de l’argent de l’Union européenne. On se rappelle que, au cours d’une réunion début novembre 2012, les pays de l’Union européenne avaient renoncé à accompagner le processus électoral tel que conduit par le pouvoir au motif qu’il n’est pas consensuel. Recommandation avait été faite en ce temps au gouvernement togolais de revoir le processus et de faire les retouches nécessaires afin de garantir la participation de l’opposition. Visiblement, cette recommandation est balayée du revers de la main, le pouvoir trouvant que la caution de Glchrist Olympio suffit pour faire accroire à la transparence du processus. De ce côté, c’est une certitude que le pouvoir se trompe puisque même dans le camp de M. Olympio, des voix – des brebis galeuses ?- reconnaissent le déséquilibre de la commission électorale en faveur du pouvoir.
Que gagnerait Faure Gnassingbé à s’accrocher à une telle logique jusqu’au-boutiste ? Il pourrait faire les élections comme il les veut, contre vents et marées puisque l’objectif est de garder entre ses mains le gouvernail de l’Assemblée Nationale dans la perspective de 2015. Mais le problème togolais trouvera-t-il solution et fin ? Pour les analystes habitués de la politique togolaise, Faure Gnassingbé emboîte le pas à son feu père Gnassingbé Eyadèma. Ayant refusé en son temps d’ouvrir le procesus électoral, il avait organisé des élections à sa mesure pour ensuite être contraint d’aller faire profil bas à Bruxelles pour se voir imposer ce qu’on a appelé les 22 engagements. Si donc son fils Faure Gnassingbé s’inscrit dans la même logique, il n’est pas impertinent de supposer qu’il ne gagne rien du tout à organiser des élections non consensuelles. Au risque de donner une fois encore raison à ceux qui le classent depuis très longtemps dans la même catégorie que les dictateurs dinosaures comme feu Mobutu, Eyadèma, Faure Gnassingbé a intérêt à donner par exemple une chance à l’initiative de bons offices de l’ambassadeur Whitehead. La persistance du problème politique aggrave la misère des populations. Permettre que cela continue encore est une marque d’insensibilité et de manque de responsabilité vis-à-vis des populations.
La politique doit être faite pour les hommes et non le contraire. De même, les élections doivent servir à résoudre des problèmes, non à en créer ni à les approfondir. Tous les politiciens responsables le savent naturellement bien.
Nima Zara
Le Correcteur N° 406 du 2& janvier 2013