Que cache la militarisation à outrance du Togo sous Faure Gnassingbé ?

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Ambassades, Administration, Sociétés d’Etat, Institutions de la République

Que cache la militarisation à outrance du Togo sous Faure Gnassingbé ?

 

L’histoire nous apprend que quelques années seulement après son indépendance, le Togo a connu le règne d’un militaire autocratique pendant près de quatre (4) décennies. De 1967 à 2005, Gnassingbé Eyadèma puisque c’est de lui qu’il s’agit a dirigé le Togo d’une main de fer et sans partage. Contrairement à ce que l’on tente de faire croire aux jeunes générations, son règne a été marqué par des violations massives des droits humains. Ses proches collaborateurs jouissaient d’une impunité révoltante face aux crimes économiques et humains dont ils se rendaient coupables. Conscient de sa volonté de s’éterniser au pouvoir et de ne point lâcher prise jusqu’à sa mort, Eyadèma a eu pour stratégie la militarisation de tous les aspects de la vie sociopolitique du Togo. Cette manière de conduire le pays est d’ailleurs un des fondements de l’armée clanique dont dispose le Togo aujourd’hui car Eyadèma s’était arrangé pour que le commandement ne soit  exclusivement réservé qu’aux officiers d’un milieu donné. Excepté quelques rares têtes à l’instar de Améyi Mawulikplimi et Tépé Kossi qui ont été d’ailleurs assassinés en 1991, rares sont les officiers de la partie méridionale du Togo qui ont eu de poste de commandement dans l’Armée sous Eyadèma.

A sa mort en 2005, son fils Faure Gnassingbé s’est fait installer sur le trône par l’armée représentée par son Chef d’Etat-Major de l’époque, le Général Nandja Zakari. Depuis lors, malgré les discours conciliateurs et apaisés du nouveau leader, les agissements du régime héréditaire des Gnassingbé ne laissent aucun doute sur les intentions réelles du Prince qui entend faire du Togo une monarchie constitutionnelle. Et pour y parvenir, la même stratégie que son défunt père est mise en branle : la militarisation de tous les compartiments susceptibles d’oxygéner un tant soit peu la vie sociale. A ce jour, la vie politique togolaise serait animée par des officiers. Mais il est important de faire remarquer comment au Togo de Faure Gnassingbé qu’on dit démocratique, beaucoup de galonnés ont beaux yeux dans l’administration, les Ambassades, les sociétés d’Etat et autres institutions de la République. Le Colonel Ouro-Koura Agadazi, ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de l’Hydraulique cumule son poste avec celui du Directeur Général de l’Agence Nationale de la Sécurité Alimentaire (ANSAT). Le Général Béréna Gnakoudè est Directeur de l’Agence Nationale de la Salubrité Publique. Le Contre-Amiral Fogan Adégnon est Directeur Général du Port Autonome de Lomé, poste qu’il cumule avec celui du Président de la Délégation Spéciale de la Ville de Lomé. L’Agence Nationale de l’Aviation Civile est pilotée par le Colonel Dokissime Gnama Latta. Le Colonel Madjoulba Batossie Calixte est Ambassadeur du Togo en France. Sur le plan local décentralisé, le Colonel Bakali Bawoubadi après la direction des douanes sous Eyadèma est actuellement préfet de la Kozah. Après les tueries de Mango, la solution du gouvernement a été de remplacer le préfet-colonel Awadé Hodabalo par un autre officier, le Colonel Ouadja Gbati. Dans le Dankpen, c’est le Colonel Maganawé qui est préfet. De même que le Colonel Djato dans le Moyen-Mono. Le 3 février dernier en conseil des ministres, plusieurs officiers ont été encore nommés préfets : Colonel Kouma Biténéwé à l’Est-Mono, Colonel Mompion à Tchaoudjo, le Commandant Soufouloum dans la sous-préfecture de la Plaine de Mô. Le garage central administratif est sous les commandes du Colonel Tchakorom Kodjo. De même que le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) Sylvanus Olympio sous le contrôle du Colonel Adom Wiyaou. La Cour Constitutionnelle est présidée par un brigadier de la Gendarmerie reconverti en magistrat. Même la fédération togolaise de football vient de passer sous les ordres du Lieutenant-Colonel Akpovy Kossi qu’on a présenté comme l’homme du pouvoir. Les Togolais se demandent finalement ce qui explique la forte représentation des militaires dans la gestion des structures étatiques alors que les compétences n’ont jamais fait défaut dans ce pays. Ils sont des milliers formés chaque année par l’Ecole Nationale d’Administration (ENA). Certains pensent bien entendu à tort que seuls les militaires peuvent redresser des secteurs qui sont en piteux état. L’exemple de l’intendant militaire de Souza qui a passé de longues années à la tête de la Direction des Impôts en est une illustration. C’est sous sa direction que des sociétés entières étaient exonérées d’impôts pour la simple raison que le supérieur hiérarchique en a voulu ainsi.

L’arrivée de dame Ingrid Awadé avait permis malgré tout, de constater que les impôts étaient versés non pas dans les caisses de l’Etat mais dans les poches de certains barons du pouvoir. Le passage du Général Gnofame à la tête du Comité National Olympique du Togo et à la Fédération Togolaise de Football a laissé de mauvais souvenirs pour bon nombre de sportifs togolais. La récente débâcle du Colonel Rock Gnassingbé à la FTF doit permettre de relativiser la compétence des militaires togolais en matière de gestion. Il en est de même pour le Général Séyi Mèmène et le Général Nabédé Poutoyi.  Où est donc la rigueur ? Somme toute, il convient de rappeler que suivant la Constitution de la quatrième République, le Président de la République est le Chef Suprême des Armées et par conséquent dispose d’un droit de commandement sur tous les officiers. L’Armée est un corps névralgique de la vie du pays et dispose d’une mission précise et claire. Dans un pays où le chômage bat son plein, à quoi sert finalement l’Ecole Nationale d’Administration face à cette propension de nominations tous azimuts des militaires ? Au moment où la pression se fait  de plus en plus forte pour l’organisation des élections locales et les réformes institutionnelles et constitutionnelles, que cache cette militarisation du Togo?

 

Kossi Ekpé

LE CORRECTEUR N°676 DU15/02/2016