Prélèvements sur les consommations téléphoniques et sur les frais au Port pour financer les élections

Prélèvements sur les consommations téléphoniques et sur les frais au Port

Une manœuvre pour lever des fonds afin de financer les élections sur fonds propres

 

Alors même que les citoyens n’ont jamais su la suite qui a été donnée aux augmentations des prix du ciment, des boissons entre autres dans la perspective de la coupe d’Afrique 2010, ils sont informés de nouveaux prélèvements sur les consommations téléphoniques ainsi que sur les activités de « fret » au port. A quoi va servir tout cet argent ? Question légitime qui taraude logiquement l’esprit des Togolaises et des Togolais.

Une mesure impopulaire

Jusqu’à ce que le Premier ministre Ahoomey-Zunu explique lui-même le contenu de l’initiative, beaucoup d’observateurs et de citoyens ont cru qu’il s’agit d’une énième action d’arnaque des sociétés de téléphonie mobile. A présent que l’intervention du Premier ministre clarifie la situation et indique qu’il s’agit d’une décision au sommet de l’Etat, il convient de souligner que, en dépit de cette officialisation, la mesure demeure très décriée et très impopulaire.

L’alerte est partie d’un message tombé dans les boîtes SMS des abonnés Togocel. Les clients de Moov et Togo Telecom recevront le même message plus tard. Dorénavant, pendant plus d’un mois, chaque communication entraînera un prélèvement de5 FCFA pour, a –t-on dit, soutenir les Eperviers. Bizarre sur le moment, étant donné que, à l’instant où le message faisait chanter les téléphones mobiles des clients, les Eperviers du Togo achevaient leur parcours à Rustenburg, après l’élimination en quart de finale à Nelspruit. Pour les citoyens et les citoyennes, il doit être question d’une escroquerie puisque l’équipe est déjà éliminée. A y voir de près cependant, on peut supposer que lesdites sociétés de téléphonie mobile, en accord avec le gouvernement, auraient sûrement avancé de l’argent dans le cadre de la mobilisation de fonds pour la coupe d’Afrique. Les prélèvements seraient alors destinés à récupérer l’argent mis à la disposition du comité de mobilisation de fonds.

La soupe à grimaces est aussi à l’ordre du jour au port autonome de Lomé. Au grand dam des usagers de ce port, une mesure de mobilisation de fonds a été prise qui ne convient visiblement- naturellement,  à personne. Plus que les5 Fsur les consommations téléphoniques, les usagers du port  sont obligés de payer2000 FCFA pour tout conteneur de20 piedsqui est sorti,4000 FCFA lorsqu’il s’agit d’un conteneur de40 pieds. De la même manière, tout camion qui quitte l’espace du port autonome de Lomé est astreint au paiement de frais de2000 FCFA. Pour les Eperviers. Cela fait grincer les dents.

Une manne considérable

En plus d’être incomprise et de susciter naturellement réprobations et condamnation, la mesure de prélèvements donnera in fine une manne d’argent considérable. Imaginez que pour les deux sociétés de téléphonie mobile qui revendiquent chacune le million de clients au moins, dans le cas où chaque client émet un appel minimum le jour, on se retrouve avec un pactole 300 millions. Si le nombre d’appels émis est multiplié par 10, le pactole se décuple et devient une enveloppe de 30 milliards F CFA, au bas mot. En considérant les aléas liés à l’incertitude sur le nombre d’appels émis par client, le montant peut être  réévalué par défaut autour de 20 milliards F CFA. Un butin de guerre.

Du côté du port, le calcul peut être aussi simple. Si 1000 conteneurs de 20 et40 piedssont traités la semaine, on obtient une somme de 2 millions et 4 millions F CFA la semaine, pour 8 et 16 millions F CFA le mois. Selon des sources crédibles, les prélèvements au port courront jusqu’en juin. Il en résulte un pactole de 40 millions et de 80 millions F CFA, au bas mot. Ces montants augmentent selon que le nombre de conteneurs augmentera. Quid des camions dont des centaines quittent au quotidien le port ? Sur la base  d’une estimation à 100 camions le jour, il se dégage une recette de200 000 FCFA le jour, 1 million F CFA la semaine et 4 millions F CFA le mois, soit 20 millions F CFA sur la période. Il peut y en avoir plus. Tout cet argent va-t-il servir  à rembourser les décaissements faits dans le cadre de la mobilisation des fonds pour la coupe d’Afrique ?

De l’argent pour organiser les élections ?

En considérant les estimations faites ci-haut, on peut se demander si autant d’argent a été dépensé pour les Eperviers en Afrique du Sud. Si le budget total ne dépasse pas 5 milliards, pourquoi faire lever une trentaine de milliards F CFA sous ce prétexte ? La question fait vite de soulever des hypothèses de toutes sortes.

La plus répandue des hypothèses concerne l’organisation des législatives autour desquelles la classe politique se déchire. Elle soutient que la décision des prélèvements tous azimuts vise, au-delà de l’alibi des Eperviers, à amasser un butin de guerre susceptible de servir à quelque chose. Les tenants de l’hypothèse expliquent que, du fait de la réticence des partenaires, l’Union Européenne en premier lieu, à financer les élections législatives, le gouvernement togolais cherche des moyens financiers pour faire comme bon lui semble.

Deux événements sont évoqués en appui à l’hypothèse. Le premier prend en compte l’intention à peine voilée du gouvernement d’organiser les législatives selon les règles qui lui conviennent et qui lui permettent de les gagner, en vainquant sans péril. Plusieurs dialogues ont échoué, les recommandations substantielles des rapports de mission d’observation électorale sont contournées ou oubliées juste parce qu’elles ne permettent pas d’atteindre l’objectif de la victoire sans péril. Dans ce sens, il est rappelé les dix véhicules offerts à la commission électorale par le gouvernement lui-même alors que naguère c’est l’Union Européenne qui s’en chargeait.

Le deuxième événement est le récent voyage du Premier ministre en Europe. En même temps que l’intention d’aller contre vents et marées vers des législatives verrouillées, le gouvernement ne semble pas évoluer en toute sérénité. Cet énième déplacement dans les pays européens est vu dès lors comme une énième tentative pour convaincre Bruxelles de s’engager dans l’organisation des législatives. Pour ce voyage, les médias officiels ont évoqué pêle mêle de sollicitation pour la reconstruction des marchés brûlés, de discussions sur les aides à l’économie nationale et d’élections. Un journal concurrent a rapporté les propos d’un député européen selon lequel avec ou sans toutes les forces politiques, les élections doivent bien se dérouler. Le Premier ministre a-t-il réussi à forcer la main à Bruxelles en vue du financement des législatives ? On ne l’a pas dit.

Toutefois, le montant élevé des estimations des prélèvements sur les consommations téléphoniques et les frais au port de Lomé inclinent les analystes à croire que la tournée européenne n’a pas produit les résultats escomptés. De sorte qu’il faut sauter sur l’aubaine dela  Couped’Afrique des Nations de football pour amasser les milliards nécessaires à l’organisation des législatives. Le contraire reste à prouver.

Devoir d’expliquer

Hormis tout ce que la situation créée par les prélèvements annoncés autorise à penser et à dire, il est important de souligner que la responsabilité est à présent dans le camp du gouvernement. Pourquoi de tels prélèvements en ce moment ? Il est important que les citoyens soient informés et éclairés sur le bien-fondé desdits prélèvements. A moins de donner raison, par le silence habituel, à tous ceux qui établissent une relation de causalité entre les prélèvements et les législatives, Arthème Ahoomey-Zunu et son équipe sont obligés de communiquer. Expliquer, justifier et rassurer, voilà les tâches pertinentes à accomplir.

            Le défi majeur sera d’expliquer pourquoi visiblement le montant des prélèvements, compte tenu des estimations faites plus tôt, est si volumineux mis en rapport aux dépenses réelles engagées pour la campagne des Eperviers. Si l’on a mobilisé 2 milliards F CFA, quel sens y a-t-il à prélever dix fois plus d’argent ? Les citoyens ont le droit de le savoir.

Nima Zara

Le Correcteur N° 412 du 11 février 2013