Louis Michel joue au griot sous les tropiques

 

« La CEDEAO n’a pas dit que les députés exclus doivent être réintégrés »

 

La 22ème session de l’Assemblée parlementaire paritaire ACP/UE s’est ouverte lundi à Lomé sur fond de crise parlementaire dans le pays. Le Togo accueille ce rendez-vous des parlementaires des pays d’Afrique, des Caraïbes, du Pacifique et de l’Union européenne alors que neuf députés régulièrement élus et membres de l’opposition au régime de Faure Gnassingbé font toujours les frais d’une décision scandaleuse prise le 22 novembre 2010 par le bureau de l’Assemblée nationale et avalisée par la Cour constitutionnelle retirant à ces derniers leur mandat.  Malgré la décision de l’Union interparlementaire (Uip) conseillant l’Etat togolais de respecter les droits de ces députés en les réintégrant, malgré la décision retentissante de la Cour de Justice de la CEDEAO demandant de « réparer » le préjudice causé et de « payer » des dommages intérêts aux députés, rien n’y est fait.

Mais à peine arrivé sur le sol togolais, l’ancien Commissaire européen au développement et à l’action humanitaire, le Belge Louis Michel et ami « intime » du régime togolais a trouvé matière à polémiquer. Il a tronqué sa blouse de président de l’Assemblée ACP/UE contre celui de juge en estimant que ces députés ne peuvent plus espérer retrouver leurs sièges, étant entendu qu’ils auraient été élus sur la liste de leur ancien parti, l’Ufc. Le Belge retrouve là le rôle dans lequel il a toujours excellé, le griotisme avec certainement à la clé, des valises de… à emporter à la fin des travaux.

Lorsque l’ancien Premier ministre belge Louis Michel met pied au Togo, il ne rate pas d’occasion pour attirer l’attention du public sur sa personne, et toujours en mal. Depuis dimanche, le co-président de l’Assemblée parlementaire paritaire ACP/UE est à Lomé dans le cadre de cette session des ACP/UE qui se tient en territoire togolais du 19 au 23 novembre 2011. Et comme à l’accoutumée, le Belge n’a pas résisté à l’envie morbide qui le rongeait d’injurier l’intelligence du peuple togolais. L’homme s’est donc lâché sur les ondes d’une radio de la place et a usé de tout son talent de griot « nègre » -l’homme est plus nègre dans ses raisonnements que blanc- dans le but inavoué, de frapper dans l’œil, plutôt, dans les oreilles des tenants du système suranné qui régente le Togo, des hommes qui ne manqueront pas de récompenser le zèle de ce « Nègre-Blanc » le moment venu.

Dans cette interview qu’il a accordée aux journalistes togolais, le Belge ne s’est pas empêché de se lancer dans des explications difficilement acceptables par des esprits bien imprégnés de la situation politique togolaise. « Moi ce qui m’étonne dans ce sujet, dérape-t-il d’entrée de jeu, et là je ne vais pas prendre la défense de personne en disant cela –une phrase qui trahit sa gêne, ndlr- mais ce qui m’étonne c’est que dans le fond on rejette la responsabilité de cette situation sur soit le président, soit la majorité parlementaire ».

C’est à se demander si cet homme, une figure emblématique d’une Europe qui se veut démocratique et respectueuse des lois, sait de quoi il est en train de parler. Si le président de l’Assemblée nationale –on croit bien que c’est de lui qu’il parle-, n’est pour rien dans cette crise, qui est alors à l’origine de cette situation ubuesque que traverse le Parlement togolais depuis un an ?

Dans sa décision du 7 octobre 2011, la Cour de Justice de la CEDEAO n’avait-elle pas épinglé Abass Bonfoh pour son non respect du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, notamment à son article 6 qui exige que le président écoute au préalable les députés dont il a reçu des lettres de démission avant d’engager la procédure de leur remplacement ? Abass Bonfoh l’a-t-il fait ? Certainement que Louis Michel ignore cet aspect de la chose, ou n’a pas voulu chercher à savoir, ayant déjà une idée bien arrêtée sur la situation togolaise.

Le démarcheur poursuit dans ses dérives en soutenant que puisque les neuf députés chassés du parlement avaient été élus sur la liste de leur ancien parti l’Ufc, s’ils doivent démissionner de ce parti, ils devront impérativement quitter les bancs de l’Assemblée nationale. En somme, l’illustre parlementaire européen soutient que dans le cas togolais, l’interdiction par la majorité des constitutions du monde, dont celle du Togo, du mandat impératif, ne joue pas. Tout député qui ne partagerait plus la nouvelle ligne politique imprimée par son parti –dans le cas présent, le président de l’Ufc, Gilchrist Olympio avait rejoint avec armes, bagages et les emblèmes du parti, le camp du régime en place-, devrait être chassé manu militari de l’Assemblée, semble dire celui qui s’est autoproclamé expert des questions africaines. « Vous m’excuserez, mais si je ne m’abuse, ces neuf députés ont eu un problème avec leur parti avec lequel ils ont été élus. Ils ont été élus sur des listes Ufc. A un moment donné, ils ont fait dissidence. L’Ufc a fait valoir des lettres de démission qu’ils avaient signées préalablement. Qu’a dit la CEDEAO ? Ils devraient être indemnisés. Elle n’a rien dit d’autre. Elle n’a pas par exemple dit qu’ils devraient être réintégrés », ânonne le Belgo-togolais.

A l’analyse de ces mots du député européen, il ressort une troublante similitude entre la position défendue par le gouvernement togolais et celle qu’avance aujourd’hui cet avocat du diable. « La Cour de justice de la CEDEAO n’a jamais exigé la réintégration des députés, elle a seulement demandé de leur payer la somme de trois (3) millions F CFA », c’est ce qu’ont soutenu bec et ongle, les thuriféraires du pouvoir au lendemain de la décision.

Louis Michel en bon élève, a donc appris par cœur sa leçon et n’a fait que la réciter comme un perroquet devant les micros des journalistes, sans prendre la peine de réfléchir au véritable sens de tout cela. Dommage pour cet Eurodéputé, qui en principe, devrait être un exemple pour ses pairs du continent.

D’après Wolou Komi, Agrégé de Droit à l’Université de Lomé, il ressort des analyses de la Cour de justice de la CEDEAO « qu’aucune lettre de démission n’a été présentée au président de l’Assemblée nationale par les requérants ». Or, insiste-t-il, c’est cette prétendue démission qui fonde l’exclusion des députés. « Les faits constatés par la Cour s’imposant aux parties, on en déduit que les députés exclus n’ont en réalité jamais perdu leur qualité de député. Réparer un dommage, c’est faire en sorte qu’il n’ait pas existé et rétablir la situation antérieure », souligne le professeur de Droit.

Ce n’est malheureusement pas la même analyse que fait l’ancien commissaire européen. Celui-ci pousse son zèle jusqu’à insinuer que ses collègues de l’Union interparlementaire et les juges de la Cour de la CEDEAO avaient eu tort de condamner l’Etat togolais dans cette affaire. L’homme défend là, la même position que le ministre togolais de la Justice qui soutenait il y a quelques jours que la Cour de Justice de la CEDEAO s’était trompée dans l’appréciation des faits.

De toutes les façons, l’homme n’est pas à ses premiers dérapages sur le cas togolais et africain. Les mauvaises langues avancent que c’est là son fond de commerce. En 2010, l’homme s’était déjà fait remarquer en félicitant Faure Gnassingbé pour sa « brillante réélection » quelques heures seulement après la proclamation provisoire des résultats. Quand il s’était rendu au Burkina Faso la même année, un journaliste l’avait enquiquiné sur ses accointances avec le pouvoir de Lomé. Le chantre belge très gêné, ne trouva mieux que de couvrir son embarras par une grosse colère. « Dans chaque pays africain, on me prête des choses extravagantes. Au bout d’un certain temps, on commence à en avoir marre », s’était-il défendu.

Bref, ce sont seuls les esprits naïfs qui se feront encore embobiner par ces discours dithyrambiques du député européen. Les Togolais, dans leur grande majorité savent à quoi s’attendre avec ce « Yovo » à la mentalité tropicalisée. Alors circulez, il n’y a rien à voir !

 

O.A.

Liberté N° 1099 du mercredi 23 novembre 2011