Présidence vorace, Cour des Comptes budgétivore…
Comme il est de coutume dans la plupart des pays du monde, à la fin de chaque année, les députés se prêtent à cet exercice qui consiste à étudier et à adopter le budget de l’exercice de l’année suivante. Les députés togolais n’ont pas dérogé à cette règle en fin d’année dernière. C’est ainsi qu’ils ont voté le budget de l’exercice 2012 dont le montant s’élève en recettes à six cent quarante quatre milliards quatre cent soixante deux millions trois cent dix-huit mille (644 462 318 000) FCFA et en dépenses à six cent cinquante six milliards deux cent quatre millions cent trente-huit mille (656 204 138 000) FCFA dégageant ainsi un gap de onze milliards sept cent quarante et un millions huit cent vingt mille (11 741 820 000) FCFA. Une analyse minutieuse permet de notifier des irrégularités et des gaspillages monstrueux au sein de ce budget dans lequel certaines institutions dont la présidence de la République et la Cour des Comptes se taillent la part du lion avec une augmentation de leur dotation respectivement de 34,7% et 45,72 % par rapport à 2011. Doublé de ce constat, plusieurs sociétés et services traditionnellement considérés comme les poumons de l’économie togolaise ou régies financières et qui sont censés apporter des contributions énormes aux ressources de l’Etat ont des quottes- parts qui donnent matière à réflexion.
Le budget de l’Etat ou la loi de finances donne l’état financier du pays et par delà une idée sur la santé économique du pays. Son élaboration est confiée au ministère de l’Economie et des Finances et plus précisément à la direction du budget. Après son élaboration, le gouvernement transmet le projet de loi de finances à l’Assemblée nationale avec l’exposé des motifs. C’est alors que la Commission des Finances et des Echanges de l’Assemblée se met au travail pour étudier de fond en comble le document qui est soumis à leur étude. C’est à cette routine que les députés de la quatrième législature de la Constitution de la quatrième République se sont livrés le mois passé. Ce travail a été sanctionné par l’adoption en plénière le 30 Décembre dernier, du budget dont les composantes en ressources s’élèvent en recettes à six cent quarante quatre milliards quatre cent soixante deux millions trois cent dix-huit mille (644 462 318 000) FCFA et en dépenses à six cent cinquante six milliards deux cent quatre millions cent trente-huit mille (656 204 138 000) FCFA. Pour le commun des Togolais, ces montants ses trouveraient quelque part où il suffit d’aller pour en puiser à sa guise. Une conception erronée puisque les ressources du budget proviennent de l’effort de chaque citoyen et des richesses dont dispose l’Etat. Le budget est un creuset commun où chacun met sa contribution avant un dispatching qui devrait se faire au profit des quelques six millions d’âmes que compte le territoire togolais. Ce partage symbolisé par le volet « dépenses » du budget a été fait de telle manière que certaines institutions se sont vues attribuer des sommes pharaoniques de même que des postes fictifs qui ne riment à rien mais qui depuis des années se sont vues attribuées des dotations. C’est ce qui nous amène à un décryptage du budget
La part du lion pour la Présidence de la République et la Cour des comptes
De neuf milliards cent huit millions cinq cent soixante quatorze mille (9 108 574 000) en 2011, la dotation du Chef de l’Etat passe à douze milliards deux cent soixante neuf millions trois cent quinze mille ( 12 269 315 000) en 2012 soit une augmentation de 34,7 % ; de deux milliards cent sept millions trois cent vingt-trois mille (2 107 323 000) en 2011, celle de la Cour des comptes passe à trois milliards soixante-dix millions neuf cent cinquante et un mille (3 070 951 000 ) soit un taux de progression de 45,72 %. Voilà deux rubriques du budget qui ont connu des progressions exponentielles et inquiétantes à telle enseigne que l’on est amené à se poser la question de savoir l’importance dont jouissent ces deux institutions de l’Etat pour se voir accorder de si grands privilèges. Certains observateurs justifient ces montants faramineux par le fait la présidence de la République est la première et la plus haute administration du Togo et que la Cour des comptes est chargée de vérifier et d’auditer les comptes dans des différents secteurs de l’appareil économique du pays. Ainsi, il faudrait les doter de moyens suffisants pour mener à bien leur mission. Cette vision de la chose ne convainc pas car, en matière budgétaire, l’allocation des ressources se fait conformément aux besoins réels de chaque structure. A en croire certains spécialistes, les montants ainsi alloués à ces deux institutions dépassent de loin leurs besoins. Ils remettent donc en cause ces dotations. Une question se pose dans la mesure où aucun fonctionnaire de la présidence ni aucun membre de la Cour des Comptes ne sont impliqués, selon les procédures, dans l’élaboration ni l’adoption de ce budget. Cette inquiétude trouve sa réponse aussi aisément dans le fait que ces institutions peuvent à distance influencer la prise de décisions en leur faveur. Etant donné que les complicités ne manquent jamais dans l’appareil étatique surtout en matière d’argent. Le budget est élaboré par la Direction des finances qui est sous l’autorité du ministre de l’Economie et des Finances qui est nommé par le Chef de l’Etat. Ce ministre qui est l’ordonnateur principal des dépenses de l’Etat, ne peut que favoriser celui qui l’a amené aux affaires. De surcroît, les parlementaires qui ont voté ce budget sont en majorité acquis à la cause de ces institutions précitées. Voilà quelques raisons qui expliquent le fait ce budget a été voté malgré les irrégularités relevées par les députés de l’opposition qui ont été mis en difficultés compte tenu de leur minorité.
Tout compte fait, les patrons de ces deux institutions devraient se rendre compte qu’ils ne méritent pas, en toute sincérité, les montants qui leurs ont été alloués, surtout au vu des besoins qui se font sentir dans le domaine socio-économique du pays.
Un budget truffé de rubriques fictives
Depuis plusieurs années, certaines rubriques ne cessent d’apparaître dans la loi de finances du Togo. Ces rubriques ou institutions qui n’existent nulle part dans le pays reçoivent curieusement des dotations. La question qui se pose est de savoir qui empoche les montants alloués à ces rubriques fantômes. Cela suscite une interrogation et les sommités de l’Etat devraient pouvoir donner des explications au peuple dont la contribution fait partie des ressources de l’Etat. Les exemples de ces rubriques qui n’existent que sur papier sont légions. C’est le cas par exemple du Conseil Economique et Social, une institution prévue par la Constitution de la quatrième République promulguée le 14 Octobre 1992. Le parlement a adopté en fin d’année dernière la loi portant création de cette structure. Mais, sans qu’elle ne soit née, un budget de plus de 42 millions lui a été alloué dans le budget de 2011. Cette année encore, une somme de plus de 44 millions lui est allouée. Vivement que cette institution prenne corps.
Un autre cas est celui de la Médiature, une institution qui ne figure que dans les documents de la loi de finances et que les Togolais méconnaissent. Elle aussi absorbe depuis des années des millions de FCFA provenant des efforts des contribuables togolais : plus de 36 millions en 2011 contre 38 millions en 2012. Un autre organisme est le Front national pour la promotion des activités économiques des jeunes dont beaucoup ignore l’existence. Après avoir consommé 120 millions de francs en 2011, cet organisme s’apprête à engloutir 100 millions pour le compte de 2012. L’on ne saurait fatiguer nos lecteurs avec ces exemples. Il leur suffit de consulter la loi de finances pour s’en rendre compte.
Les secteurs prioritaires
Avec les grognes sociales que le Togo a connues en fin d’année dernière et qui continuent de menacer le pouvoir, l’on s’attendait à une hausse considérable des dotations des ministères de l’Education et de la Santé. Mais, le secteur de l’Education n’a connu qu’une hausse de trois milliards tandis que celui de la santé a vu sa dotation diminuer de plus de la moitié passant de 54 à 25 milliards de FCFA. Une chute qui laisse présager des lendemains inquiétants pour les agents de ce secteur et pour la population dans son ensemble puisqu’une grève dans ce secteur aura des conséquences très néfastes sur la vie des Togolais.
Les infrastructures routières quant à elles continueront de connaître des améliorations compte tenu de leurs dotations qui est en croissance.
Le budget est adopté mais l’inquiétude demeure…
Le fort taux d’analphabétisme et le manque de curiosité sont des caractéristiques des pays sous-développés dont le Togo. Le budget vient d’être adopté mais la plupart des citoyens méconnaissent ce document important et son contenu. Même les quelques intellectuels dont dispose le Togo ne se donnent pas la peine de recourir à ce document pour avoir une idée sur la gestion qui est faite des ressources du pays.
Le premier danger qui guette le pays est l’endettement exorbitant dans lequel il s’engouffre. Endettement dû à la mauvaise gestion des ressources du pays. En principe, les députés devraient réclamer au gouvernement des comptes qui leur permettront d’adopter la loi de règlement qui favorise l’évaluation du budget précédent l’année en cours. Mais les années se succèdent, les budgets se votent sans que cet instrument de contrôle ne soit adopté. A croire que les élus du peuple sont complices de la mauvaise gouvernance.
D’où proviennent les ressources du Togo ?
Elles proviennent des recettes propres au Togo et des recettes dites extraordinaires. Pour 2012, les recettes propres sont estimées à 339,8 milliards réparties entre les administrations des douanes, des impôts et du trésor public.
Les recettes extraordinaires qui sont les emprunts, les dons et les appuis budgétaires attendues en 2012 s’élèvent à 298,5 milliards. Ce qui signifie en clair que le Togo aura besoin de recourir énormément à l’extérieur pour satisfaire ses besoins. Ce qui n’augure pas des lendemains meilleurs pour la population togolaise. Le recours aux emprunts est hypothétique pour une économie aussi fragile que celle du Togo. Ces prêts sont assujettis à des intérêts qui sont échelonnés sur des années, ce qui fait que les générations futures paient les dettes des générations passées si celles-ci ne sont pas épongées à temps. Et si les partenaires ne faisaient pas des dons ni n’appuyaient le budget, cela signifie que le déficit serait plus béant et en avant les dégâts socio-économiques.
Le bon sens voudrait qu’il faille assainir la gestion des ressources internes. Les régies financières que sont la Douane, les Impôts et le Trésor public devraient être gérées avec plus de rigueur afin d’augmenter leurs contributions au budget de l’Etat. Une politique de rigueur et de lutte contre les crimes économiques mérite d’être menée afin d’amener le Togo vers une autonomie financière. Le ministre de l’Economie et des Finances qui est autorisé à signer les conventions et accords relatifs aux emprunts et aux dons est convié à une gestion transparente et au sens de partage. Il doit donc prendre ses distance du slogan « tout pour moi, rien pour les autres ». Puisqu’il joue un rôle capital dans l’élaboration des budgets. La dotation de la présidence de la République et celle de la Cour des Comptes mérite d’être analysée avec beaucoup de minutie pour les années à venir si une correction ne peut être apportée en cours d’année.
Jean-Baptiste ATTISSO
L’Indépendant express N° 193 du 10 janvier 2012