LIBERATION DE PASCAL BODJONA AU TOGO

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LIBERATION DE PASCAL BODJONA AU TOGO

  Le début d’une détente politique ?
Publié le mercredi 10 avril 2013
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Qui est Pascal Bodjona ? C’est l’ancien ministre de l’Administration territoriale, un homme orchestre, influent, de tous les gouvernements successifs, au Togo, depuis la prise de pouvoir par Faure Gnassingbé. A Lomé, avant ses déboires judiciaires, Bodjona faisait peur. Homme de confiance, intime du président Faure, ici, tout le monde le disait indéboulonnable. L’homme qui se pose en victime sacrificielle du régime togolais, aujourd’hui, fut dans le passé, un expert en basses œuvres, coups tordus, en tous genres, dans l’unique dessein de plaire à Faure, son jeune mentor. Certains avaient même fini par les comparer à deux frères siamois.

Mais en septembre 2012, mêlé à une sombre histoire d’escroquerie d’un homme d’affaire émirati, Mohamed Abbas Youssef, il est incarcéré, comme le Français Loïc Le Floch-Prigent, ancien patron d’Elf. Cette ténébreuse affaire est loin de nous avoir encore révélé tous ses secrets. Wait and see.

Depuis avant-hier, Bodjona, l’homme qui savait « casser » de l’opposant, a été remis en liberté provisoire, en attendant, un jour, la tenue d’un procès équitable, si procès il y a lieu. Mais peut-on se borner à analyser cette libération provisoire uniquement sous un angle strictement judiciaire ? Evidemment non, et ce serait manquer l’essentiel de ce qui ressemble fort à une descente politique aux enfers d’un homme qui ne cachait plus son ambition présidentielle. L’histoire politique du Togo, c’est l’histoire d’une confrontation totale entre deux familles, les Olympio et les Gnassingbé, deux familles qui ont pris le destin du peuple togolais en otage. Entre ces deux familles, le combat politique a vite fait de tourner à la haine totale, puisqu’il s’enracine dans un meurtre originel, celui du premier chef de l’Etat du Togo, Sylvanus Olympio, par un commando de soldats démobilisés d’Algérie, et dirigé par le sergent Eyadéma Gnassingbé. Désormais, jusqu’à la disparition de ce dernier, toute la vie de la nation togolaise, se cristallisera autour de catégories comme la culpabilité, la haine, la vengeance, le ressentiment. Bref, un piège sans fin.

Et, tout se passe comme s’il n’existait plus d’hommes politiques capables de gouverner le Togo, en dehors de ces deux familles. Avec sa libération, Bodjona découvre qu’il est donc facile de voir ses erreurs et basses besognes passées quand il s’est retrouvé lui-même en état d’insécurité. Il découvre soudainement que le Togo de Faure, reste un pays, où la vie politique est rythmée par des règlements de compte entre élites politiques.

Ici, il existe bel et bien , et comme on le voit partout sur le continent africain, une prééminence du politique sur le juridique. Certes, tout Etat manifeste sa puissance par la justice. Mais au Togo, depuis son arrivée au pouvoir, à défaut de ressusciter l’unanimisme totalitaire qui fondait le régime de son père, Faure a choisi de mener une politique de criminalisation des opposants. Les opposants ne sont pas toujours reconnus comme des partenaires ou des adversaires politiques, mais considérés et traités comme des ennemis ou des traîtres. Et, il est interdit à quiconque de son entourage d’exprimer la moindre critique, encore moins de nourrir une saine et juste ambition politique. En Afrique, rendre justice aux citoyens reste une chose bien compliquée. Evoquant la France qui avait manqué sa rénovation politique et morale, après la libération, du fait d’une instrumentalisation arbitraire de la justice, Albert Camus s’indignait : « les nations ont le visage de leur justice. La nôtre (la France) devrait avoir autre chose à montrer au monde que cette face désordonnée ». Or, ce que le régime actuel togolais continue à montrer au monde, c’est un système politique marqué par l’impunité. Nombre de dossiers dits judiciaires ont des conséquences négatives sur l’image du Togo, en Afrique et dans le monde. Faure en est conscient.

Longtemps, ce pays fut juridiquement, un espace d’anomie, et politiquement, un sanctuaire de la violence d’Etat. Aujourd’hui, le Togo est à la recherche d’un nouveau pacte politique. Ce qui signifie que Faure doit enfin solder le lourd héritage politique de son père, et opérer avec celui-ci une vraie rupture. Car les Togolais sont divisés, mais aspirent à un vivre-ensemble, à travers la diffusion d’une culture démocratique et l’instauration d’un Etat de droit, lui-même fondé sur une réelle séparation des pouvoirs.

Faure devra donc apprendre à avoir le courage de reconnaître les raisons de ses rivaux et concurrents politiques. Car, la reconnaissance de l’Autre, c’est aussi une occasion d’être plus soi-même. Le dialogue politique, quand il repose sur la sincérité et la confiance, n’affaiblit pas l’identité et l’unité nationales, mais au contraire, il les renforce. Il instaure un climat social favorisant la paix civile et le bien-être des citoyens ; bref une réelle harmonie sociale. Le peuple togolais est lassé de se laisser gouverner par des dirigeants démagogues qui manipulent habilement l’appareil judiciaire pour faire taire toute voix discordante. Une classe dirigeante, mieux éclairée, et assumant le passé politique du pays, doit voir le jour, pour le sortir, enfin, du faux pluralisme véhiculé par le régime actuel. Sinon, le citoyen togolais ne se retrouvera jamais et le Togo continuera à perdre son âme. En définitive, le problème politique central de ce pays, c’est l’édification d’un Etat démocratique, c’est-à-dire un espace public où il est possible de débattre et de s’opposer. Mais qui dit démocratie, dit autonomie. Chaque Togolais doit être considéré comme un sujet de droit, à l’instar de Bodjona. Etre sujet de droit, estime Antoine Garapon, « c’est se voir destiner une parole : celle qui sépare, celle qui accompagne, celle qui réconcilie ». En aucun cas, l’état de transition vers la démocratie, ne doit conduire, ici, à l’avènement d’un régime d’exception. Il faut donc espérer que l’élargissement de Pascal Bodjona participe d’une réelle volonté de décrisper le climat sociopolitique au Togo.

« Le Pays »