Lettre ouverte à Maître Yawovi Madji AGBOYIBO

Lettre ouverte à Maître Yawovi Madji AGBOYIBO

 

 Monsieur le Président Fondateur du CAR

Nous avons lu l’interview que vous avez accordée à une presse en ligne, reprise par certaines publications. Vous semblez tirer des inférences importantes sur les péripéties d’application escamotée de l’Accord Politique Global (APG) sans identifier les coupables de premiers rangs qui ne savent jamais respecter leurs engagements. Leurs principes d’évolution ont un cachet particulier en  effraction, en transgression et en parjure depuis que le combat pour la démocratie s’est emparé du peuple togolais.

Nous sommes renversés de stupéfaction du simple fait que vous n’avez pas trouvé nécessaire de mettre en relief tous les subterfuges de relégation de cet Accord à une nullité déclarée par le Président de la République en personne à Accra, et antécédemment par le Président de la Cour Constitutionnelle et par le ministre de l’Administration territoriale, de la décentralisation.

Du sursaut de votre sommeil juridique, vous tombez dans une contemplation narcissique de  légitimation presque paternelle de la réalisation de l’APG, puisque le réflexe d’affirmation d’en avoir été le maître ayant conduit de bout en bout les assises détermine, selon  vos propres dires, votre autorité d’intervention et  de clarification autant sur les circonstances que les finalités que tout le monde connaît, du reste, de ce consensus républicain de réhabilitation du vivre-ensemble. L’APG est un contrat social de réparation du viol de la loi fondamentale acquise sous le sceau référendaire et place la République dans une logique coercitive de rectifications pour remettre la République sur ses pieds, garantir à tous la sécurité, la paix civile et conjurer le mal des élections au Togo.

A notre sens, tout contrat librement consenti a une puissance ce coercition pour les contractants. Il est du devoir de tous ceux qui ont la prétention d’appréciation juridique sur les points manqués d’application du contrat de condamner ceux qui ont failli à leurs engagements après en avoir identifié les coupables. Aucun juriste qui tient à apporter son expertise ne peut convaincre son auditoire avec une technique de dissimulation et une faiblesse morale de protection des contrevenants torpilleurs d’un pacte social.

Si aujourd’hui un devoir de clarification vous incite   à d’autres évasions dans une littérature juridique, il faut bien constater que vous avez lourdement raté les précautions de contraintes et des périodicités à l’intérieur desquelles la matérialisation de l’APG devrait impérativement et absolument se réaliser. La charte de transition au Faso comporte en elle-même la nature, les termes, la monture des réformes à opérer. De même l’ingéniosité du Mgr BARRIGAH BENISSAN  a intégré dans les recommandations 5 et 6 les points saillants du retour à la paix définitive au Togo dont le point focal est le retour de l’article 59 de la Constitution de 1992 dans sa forme originelle. Avec ces précisions claires et nettes, nous n’avons plus jamais vu le prélat se trouver sur un podium d’éclairage du travail bien accompli.

Il apparaît clairement une somnolence d’esprit dans une sclérose du talent qui a conduit l’APG. La préséance réclamée dans l’élaboration de ce traité de réparation de l’abîme démocratique étale plutôt un gouffre conceptuel. La mollesse d’esprit qui a présidé à cet accord expose de nouveau le pays à une nouvelle chute du fond des âges, c’est-à-dire, à une asocialité. L’errance juridique de rattrapage d’un accord mal ficelé répand une désolation encore plus terrible sur un peuple qui affirme sa souveraineté pleine et entière dans une Constitution qu’il ne cesse de réclamer à bon droit. Si la finalité de l’APG se conçoit comme le retour de la paix civile, c’est elle qu’il faut sauver avec des arguments juridiques de poids pour restaurer la confiance et offrir des gages de sécurité à cet accord de survie pour le peuple togolais.

La droiture et la loyauté à un peuple transparaissent dans les œuvres que les hommes de qualité   accomplissent au nom de ce peuple. La qualité de la personnalité de Mgr BARRIGAH-BENISSAN qui, du reste, ne se vante de rien dans les prouesses réalisées lors des assises de la Commission Vérité-Justice et Réconciliation, tranche en efficacité avec ce gribouillis d’APG dont les termes des réformes saillantes sont laissés au cirque  du débat. Cette légèreté cruelle est la source du danger qui expose le pays à une nouvelle hécatombe. Comment pouvez-vous vous dépasser des garde-fous transcendants et contraignants d’application d’un accord avec les interlocuteurs et des contractants que vous avez si longtemps connus, pratiqués en des circonstances similaires ? La grandeur intellectuelle est surtout dans l’ordre et dans la méthode et non dans la récitation de perroquet de ce qu’on a appris. L’originalité d’efficacité est la forme achevée d’exercice d’intelligence. Elle aurait pu vous dispenser d’une obligation d’intervention pour l’éclairage d’un accord qui se révèle plutôt comme une dissonance de la logique qu’intègre le pacte de reconstruction de la paix civile définitive.

Pour quelles raisons vous dépouillez-vous de votre habit politique pour parler de l’APG exclusivement à titre de juriste ?  Voulez-vous vous excuser de vos erreurs politiques dans la signature de cet accord qui s’apparente à une trahison du peuple Togolais ? Un homme politique a trois qualités essentielles : la saine appréciation des situations, la capacité de penser en homme d’action et de battre le fer quand il est chaud. De plus, un juriste qui se passe de garanties dans un accord est une légèreté exceptionnelle, un doux rêveur. Le droit sans la coercition est une distraction de cabaret. Les tours et les détours autour de la forme des réformes, de leur monture nous condamnent à l’impasse. Elles auraient été acquises à la signature de l’APG que nous aurions franchi une étape majeure de correction de l’abîme politique qui gangrène l’équilibre de notre société.

Faure GNASSINGBE, devant le monde entier affirme sa responsabilité d’opérer les réformes avant la présidentielle de 2010. Vous ne trouvez pas à redire de ce faux-serment. A Accra, quelques années plus tard, il jura de respecter la Constitution tronquée en vigueur dans toute sa rigueur. Il y a une  capricieuse performance juridique à donner quitus d’évolution aux fautifs, à ceux qui renient leurs propres engagements et à punir les innocents. Même les dilettantes de la première année de la faculté de droit connaissent la valeur du contrat d’un traité et ce qui attend les contractants qui en font un parjure.

Vous affirmez : « … La non-rétroactivité se conçoit pour le premier mandat que le Président Faure  GNASSINGBE a exercé de 2005 à 2010. Elle ne peut en revanche s’appliquer au second mandat que le Président en exercice a débuté en 2010 et qui n’est pas révolu à ce jour ».

Maître Yawovi Madji AGBOYIBO, il y a plus de deux cents (200) ans que le droit à lui tout seul ne résout plus le problème de droit. Toutes les questions de droit vont  avec l’équité. Le carcan  juridique exclusif n’est qu’une tyrannie. Il y a une éthique et une morale dans la formation du jugement sur le droit. C’est pour cela que le droit est en interdisciplinarité connectée avec des sciences annexes comme la caractérologie, la psychologie, la psychiatrie, la sociologie, la psychosociologie, l’histoire…Comment peut-on raisonnablement permettre à quelqu’un qui est en flagrant délit de parjure, qui s’est mêlé à un coup d’Etat constitutionnel, militaire, électoral et qui se justifie par des enseignements que son père défunt leur aurait donnés avant sa mort de ne jamais laisser échapper le pouvoir, de continuer à exécuter le testament dont il se réclame dans une République qui a réalisé un consensus de retour à l’ordre constitutionnel par un traité et par des assises de la réconciliation ?

              La tyrannie juridique est une anarchie qui valide un cirque de subterfuges pour ignorer la valeur d’un contrat social. L’esprit de justice tient absolument compte des circonstances particulières, mais surtout de la personnalité des fautifs et de leur histoire  personnelle. Une chose n’est pas juste parce qu’elle est légale ; elle doit être légale parce qu’elle est juste. On peut se couvrir de la légalité en étant un parfait criminel en série. La légalité ne suffit pas à fonder l’acte juste.  MONTESQUIEU  qui a livré une réflexion profonde sur L’Esprit des lois nous le confirme dans Les lettres persanes : « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi, elle doit être loi parce qu’elle est juste ».

            Maître Yawovi Madji AGBOYIBO, êtes –vous prêt à défendre une loi qui prescrit à un peuple un suicide collectif ? Votre sortie malencontreuse d’onction à l’effraction à une volonté populaire de réclamation de la Constitution de 1992, manifestée massivement dans l’APG et confirmée dans les recommandations de la CVJR est une dissociabilité active contre notre peuple. Elle équivaut aux actes des malfrats, des bandits et des sales voyous qui s’emploient avec tant d’esprit à détruire des acquis de leur propre société. 85% des togolais veulent l’alternance ici et maintenant selon les derniers sondages.

            Vous êtes en situation scandaleuse de destruction du travail noble accompli par la Commission Vérité, Justice et Réconciliation dont les membres désignés sont pour la plupart du côté du pouvoir, teintés de quelques activistes de la société civile.

            Pourtant, c’est Maître Dodji APEVON, Président officiel du CAR qui a été le premier à évoquer les réformes avec le concept d’ «effet immédiat », traduisant ainsi l’esprit de l’APG sur lequel le régime organise une amnésie volontaire et pour lequel la CVJR a échafaudé la monture principale des réformes en appelant au retour de l’article 59 de la Constitution du peuple togolais massivement votée à 99, 17%. Le paradoxe juridique au CAR, c’est bien la marque du désordre. Le fondateur du CAR, passé derrière le rideau est devenu le grand souffleur que ses poulains ne savent plus répéter. Alors, il passe avec fracas sur la scène, dans une contemplation morbide de lui-même et prescrit à tous ce qui vaut le mieux. Aucune grandeur ne peut œuvrer pour une rechute d’un peuple dans la bestialité. Jean ROSTAND nous le souligne dans Pensée d’un biologiste lorsqu’il affirme : « La grandeur, pour se faire reconnaître, doit consentir à imiter la grandeur ».

            C’est toujours au CAR qu’on entend de la bouche de son secrétaire Jean KISSI : « Le peuple demande : rendez-nous notre Constitution ! ». L’illuminé de Kouvé « lavé du sang de Jésus » a une clairvoyance extraordinaire de convoyer ce peuple qui a tant souffert au désastre. Dans ce monde, le mystère de la foi transforme les adeptes de Dieu à vocation tardive en des monstres et des criminels. Une aventure juridique d’explication, de clarification qui se moque de la souveraineté d’un peuple est une rébellion d’un captif de la défaite qui se venge contre tout un peuple. Les exploits à rebours de vos slaloms ont brisé la confiance que les Togolais ont accordé innocemment et par naïveté à votre personne, à votre parti désormais confiné à des merveilles cantonales de votre origine de provenance.

            Il faut être franchement d’un esprit retors pour demander aux citoyens togolais d’accepter un moignon de Constitution, leur souveraineté tronquée pour laquelle ils ont perdu un millier de membres de la famille nationale. A quoi aurait-elle servi leur mort, leurs sacrifices suprêmes ? Nous avons nos martyrs de la Constitution. Il faut se souvenir d’eux, respecter leur mémoire, ce qu’ils ont faits pour nous et pour l’avenir   de la terre qui nous a vu naître.

            On se demande si c’est votre aventure juridique ou politique de clarification de l’APG qui vous autorise à apprécier avec désinvolture la stratégie unitaire de l’Opposition en affirmant : « Dans le contexte actuel, la candidature unique est une stratégie erronée pour parvenir à l’alternance ». Tout le triomphe de l’absurde est au zénith dans cette mauvaise conscience. En 2005, Bob AKITANI n’avait-il pas gagné la présidentielle dans les mêmes conditions d’une Constitution tronquée ? Pourquoi Maître APEVON, président du CAR a-t-il été le premier à se faire désigner comme le tout premier candidat à la candidature unique de l’Opposition ? Comment pouvez-vous aligner des faussetés sans un frémissement de votre conscience morale ni le moindre aiguillon de discernement qui font la différence spécifique entre nous et les autres êtres de la terre. Vous prêchez sournoisement une pléthore de candidatures à l’Opposition pour émietter les suffrages qui lui seront accordés et ouvrir le boulevard à un candidat, peut-être trop bienfaiteur, de passer haut les mains au premier tour.

La rationalité et la morale sont des principes d’identité des grands hommes qui ont autorité à indiquer l’avenir des peuples. La vraie question que le peuple majoritairement démocratique du Togo vous pose est la suivante : Quelle stratégie AGBOYIBO a-t-il ficelée pour faire revenir plus d’un million d’électeurs de l’Opposition  dans les bureaux de vote, soit plus de 20% de l’électorat togolais ?  C’est le peuple démocratique qui demande à l’Opposition de s’unir pour être crédible, constituer une puissance à accompagner pour l’alternance. Pour mener un peuple, il faut être avec lui, sous sa direction. Juste une question de bon sens !

Dans ce monde en boutique de verre, il est impossible de voir un intellectuel de renom, un politique de célébrité avérée sans lui reconnaître les fondements idéologiques, éthiques, moraux, politiques, humains qu’il défend. Emile ZOLA a la primauté de donner des orientations au peuple français à travers la justesse de son esprit dans l’affaire Dreyfus et dans Germinal. En mai 1968, on a vu SARTRE, Simone de BEAUVOIR et autres intellectuels s’opposer à de GAULLE et donner un coup de massue au gouvernement pour provoquer une Renaissance de la République. L’avocat William BOURDON est aujourd’hui une référence pour toute la société française pour le combat qu’il mène avec efficacité pour le respect des Droits humains. Un éclaireur a des constantes en valeurs. Longuement, nous avons cherché les jalons conceptuels, intellectuels, éthiques, politiques, moraux du parcours du fondateur du parti des déshérités pour découvrir que son confinement cantonal résulte de l’opportunisme primaire de sa stratégie exhibitionniste fleurie d’un égocentrisme outrancier. On ne saurait défendre les déshérités sans avoir un respect obséquieux pour la mémoire de ceux qui sont injustement et froidement massacrés, pour les parents, les familles qui ont perdu leurs enfants. Nous sommes convaincus que la pauvreté matérielle, quoiqu’insoutenable, est encore moins grave que la pauvreté de l’esprit. Ce peuple vit en sanglots sur ses souffrances intimes. Il n’accepte pas qu’on joue avec ses blessures.

Didier Amah DOSSAVI