Lettre ouverte à Faure Gnassingbé


 

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur d’affirmer ma citoyenneté  en vous demandant avec une sincérité républicaine de prendre toute la mesure des virulentes protestations contre votre régime et de faire le choix de l’éthique politique pour une sortie honorable d’un pouvoir en pourrissement indéniable. Vous  l’avez conquis dans les conditions les plus désastreuses et les plus effroyables avec des dégâts quasi irréparables. Les circonstances de la succession de votre père sont si noires et la gestion du pouvoir peu apaisante que les ruminations populaires ont atteint un point de non retour pour s’étendre dans une réplique sociale qui érode les fondements de votre régime.

La pesanteur d’un avenir tumultueux de notre nation est de plus en plus perceptible alors qu’elle ne s’est pas encore relevée de sa lourde blessure d’avril 2005 avec son fleuve  de sang. Dans nos populations écrasées par l’étau de la misère, la vie chère, la patience a rompu sa digue. L’exaspération des conditions exécrables d’existence de nos populations a fait le lit à un torrent insidieux de révolte qui risque d’emporter le tissu social encore trop fragile. Les réformes institutionnelles et constitutionnelles sont emmurées dans la ronde des calculs d’épicier sans allure véritablement républicaine. Le soupçon de la mauvaise foi dans les réformes a placé l’opposition parlementaire en situation de rejet du CPDC (Cadre Permanent de Discussion et de Concertation). Le climat politique n’est  nullement poli par le cadre qui devrait en avoir vocation. La Nation est en particules séparables. Ceux qui étaient les principaux acteurs de l’APG (Accord Politique Global) n’apparaissent plus dans leur engagement comme de vrais soutiens à un nouveau départ de notre République. Les balises d’une nouvelle société sont invisibles et ceux qui sont encore au CPDC semblent, aux yeux des Togolais, de simples faire-valoir d’un régime récidiviste avec des intentions manifestes de ne rien céder, d’utiliser toujours des subterfuges pour conserver à tout prix le pouvoir.

Dans ces conditions épouvantables de discussion, l’acte fondateur de décrispation et de renaissance  politique de notre pays, dans un débat sain et républicain ne peut venir que de vous en tant que Chef de l’Etat. Ce manque de courage politique risque de vous coûter très cher. Mais, il n’est pas encore trop tard pour vous décider à agir dans le sens de l’élevation en renonçant sans ambiguïté, à vous présenter à la prochaine élection présidentielle après les deux mandats. Jamais, vous ne vous en sortirez avec l’argument d’une loi, du reste, fort discutable. Car, la fonction de la loi n’est pas de provoquer le désordre social avec tous les accidents mortels dans les populations. La loi juste assure à l’ensemble des citoyens la paix, la sécurité. Si tel n’est pas le cas, il faut lui en trouver un substitut ou une éthique.

D’un autre côté, le peuple peut choisir juridiquement de régler  votre  candidature par les urnes. Mais, le malheur qui nous arrive par notre Cour  Constitutionnelle qui, selon le Tribunal d’Abuja, « méconnaît  le droit » va se répéter. Au regard des réclamations populaires aujourd’hui dans un contexte d’insurrection, les conséquences de votre candidature pourraient être  encore plus dévastatrices que l’étape d’avril 2005. Votre pouvoir a fabriqué trop de mécontents parce que les conditions d’existence des Togolais sont révoltantes et votre course à la légitimité s’est plutôt tournée vers l’extérieur du pays comme si au Togo la population était fantôme. Ce manque de considération pour le peuple togolais a noué un front national contre vous. Même dans les garnisons, nous n’avons plus l’assurance que vous ayez encore beaucoup de fidèles. L’affaire Kpatcha et ses partisans ont renversé vos alliances de départ. Le pays est sur des braises ardentes des réclamations que vous ne parvenez plus à éteindre parce qu’il vous manque la bonne formule, la vraie solution.

Face  à cette épreuve, il n’y a qu’une réponse, celle de votre conscience, de votre devenir politique qui pourrait définitivement mettre un terme au mouvement  d’ensemble des Togolais en ligne nationale contre votre pouvoir. Au nom d’une élévation dans une  éthique politique de renonciation à un nouveau mandat, vous pouvez réaliser un bond salutaire pour votre régime. Les Togolais ne se reconnaissent en aucune manière dans les pages et les lignes tripatouillées de leur Constitution bénie à la puissance souveraine d’un référendum. Votre démarcation dans le contrat social serait une démarche de morale politique, un choix d’équité susceptible de vous reconstruire.

Ce qui est mortel en politique, c’est la solitude. Les partis significatifs de l’opposition ont pris de la distance par rapport à l’APG, et par voie de conséquence, par rapport au cadre de discussion. Ils entraînent, de fait, plus de la moitié de la population du débat politique si nous nous en tenons aux suffrages des élus de l’opposition à l’hémicycle.

En outre, ce à quoi nous assistons  à Kara, à Lomé, à Sokodé, à Sotouboua et les nombreuses réclamations sociales en général montrent  que vous n’avez qu’un résidu de voix qui oseraient vous soutenir. Le CPDC aussi a sombré dans une tour de Babel,  et au mieux dans un monologue. Or, un pouvoir est un levier de solidarité nationale. Sans cette exigence, il ne porte  que des espérances fanées. Les espoirs déçus ont pour rôle de tuer le pouvoir. Tout pouvoir qui meurt enregistre des coups de maladresses et provoque des traumatismes sociaux qui le font courir à sa perte. C’est là que réside le danger auquel vous êtes exposé.

Seule par la noblesse d’une action sans tache de héros vous pouvez susciter la confiance populaire avec l’indulgence d’un peuple compréhensif et humain. Il ne faut jamais pousser un peuple dans son dernier retranchement avec la faiblesse d’usage de la force ou des lois injustes. Quand on tient à la cause nationale, face à l’événement, c’est à soi-même que recourt l’homme de caractère. Il est inopportun d’utiliser  l’écran  d’une loi dans laquelle la population ne se reconnaît pas  du tout pour vous faire une raison d’un maintien au pouvoir. Ce n’est que par l’éthique politique que vous pouvez encore vous faire une petite  place dans la conscience nationale des Togolais. Ce n’est pas  NAPOLEON 1er qui nous démentira dans ses Lettres : « La morale politique est le complément naturel de toutes les lois ; elle est à elle seule le code ».

Trouvez-vous normal qu’une seule famille dans une République fasse 60 ans au pouvoir ? Votre  père a régné trente-huit ans durant sur ce pays avec un relevé fort peu élogieux en matière de progrès. Vous lui avez succédé dans des conditions les plus  détestables, avec des tueries jamais connues dans l’histoire de notre pays. Les ressentiments contre votre personne et votre régime sont encore vifs dans les cœurs de Togolais. Le monologue de réconciliation que vous avez initié a des omissions savantes et le peuple se rend compte du jeu de la diversion confié à un prélat volontaire et peut être  naïf. Il est impossible de continuer de se jouer  d’un peuple qui sait très bien où il va. Il y a des penseurs, des politiques de renom et les faits historiques qui étalent devant vous une source  de réponses claires et distinctes. Elle pourrait éventuellement vous aider à prendre la vie et ses épines avec sagesse. Winston CHURCHILL, éminent homme politique anglais, deux fois Premier ministre, écrivain et Prix Nobel de la littérature en 1953 disait : «  Nous devons prendre le changement par la main sinon il nous prendra par la gorge ».

Un pays ne saurait passer dans un domaine privé et être géré par le bon-vouloir d’une famille. Il ne peut y avoir un cadre de discussion digne qui pourrait vous armer d’un argument juridique valable pour réduire six millions de Togolais à la remorque et à la soumission de votre famille. Il n’y a pas que les GNASSINGBE qui sont les plus aptes à gouverner le Togo. Lorsque les maladresses, les médiocrités et les sottises sont habillées par des lois, les cataclysmes sociaux, politiques, économiques et humains surviennent vite. Et le bon sens  veut que les lois injustes soient combattues au nom de la liberté. La fonction de la loi est de faire régner l’ordre, la sécurité et la paix.

Une loi qui trouble la paix civile a besoin d’une transgression dans un sens où elle restaure tout un peuple dans sa dynamique de progrès. Cette nécessité de mettre la loi au service de la communauté emmène SAINT-THOMAS  dans La Somme théologique à écrire : « La seule manière de rester fidèle à l’esprit de justice est de transgresser la lettre de la loi ». On voit donc que la vraie justice n’est pas réductible à la pure légalité comme certains tentent de vous le faire croire. Elle est une intelligence pratique, une vertu de clairvoyance qui permet de trouver la solution la plus équilibrée possible pour concilier les lois en général, c’est-à-dire, la légalité avec les subtilités des situations particulières. C’est en cela que la notion d’équité vient comme une valeur morale, une dimension de grandeur, un supplément d’âme à la loi quand cela est nécessaire et pour l’intérêt  de la collectivité. L’équité vient comme un agent moral pour pallier les insuffisances et les lacunes de la loi. Le peuple togolais n’a jamais choisi que le chef de l’Etat puisse jouir de plus de deux mandats. Dans ses réclamations actuelles, vous commettrez plus qu’une erreur voire une faute grave en voulant sous l’écran d’une quelconque loi qui n’est pas de son ressort, lui imposer, la force des armes, plus de deux mandats.

Vous avez impérativement le devoir de veiller à ce que ce pays ne sombre plus dans les déchirures et les massacres qui ont servi à vous établir au pouvoir. Si votre candidature devrait en être l’élément moteur, le danger, il faut en avoir une conscience claire. L’entêtement est de toutes les passions celle qui affaiblit le plus le jugement. Il nous enterre dans la caverne des ruses pour nous salir et nous faire responsable de toutes les sottises. N’ayez  jamais l’illusion que vous êtes soutenu par des amis. Vous n’avez aucun ami ; vous n’avez que des suiveurs qui tiennent dans leurs mains  des calculettes de vérifications de leurs propres privilèges et répondent à la question lancinante de Cheick Amidou KANE dans L’aventure ambiguë : « Ce que nous gagnons vaut-il mieux que ce que nous perdons ? » N’oubliez jamais que quand le cratère de la contestation tourne en une irruption volcanique, le premier responsable n’est autre que vous. Un peu plus à l’Ouest du Togo, l’actualité vous édifiera dans une situation de choix.

Il y a dans la population togolaise une indigeste exaspération de votre gouvernance. La minorité qui vous a porté au pouvoir dans des conditions dramatiques s’est effilochée avec des  regrets divers parce qu’elle a sous le bras des centaines de cadavres. Votre parti de provenance se montre véritablement frileux à servir de gage dans vos choix vu la distance en guise de reconnaissance que vous lui marquez. Votre parti annoncé à cor et cri par des troubadours est en situation inquiétante d’attente. Le Nord qui est votre base électorale se mêle à l’étincelle d’un soulèvement estudiantin dans une explosion de réclamations, de rejets et d’insurrections quasi affirmée contre vous. Au Sud, des partis politiques, des parents des étudiants de l’Université de Lomé appellent la population à la solidarité avec les étudiants.

Le panorama peu luisant d’une tension sociopolitique effervescente a besoin d’un brin d’injustice pour que l’embrasement généralisé gorge encore notre terre de sang. C’est pour cette raison qu’il nous semble qu’une loi inique que l’artifice d’un débat républicain a soigneusement évitée est un piège qui, à tout moment, peut être le pied d’appel d’une émeute. En Tunisie, en Egypte, en Lybie, au Yémen, en Syrie… le mécontentement couvé a pris des débordements incalculables à la moindre incartade. Les faits sociaux ne distinguent ni les races ni les pays. Ils ont les mêmes déterminismes.

La grande leçon à tirer de votre règne en pointillé est que vous avez réussi à construire en si peu de temps deux autoroutes qui mènent les Togolais en enfer. Celle de l’injustice et celle de la prédation de l’éducation. Or, s’il y a quelque chose de très fort dans le cœur d’un peuple, telle la foi du catéchiste qu’il ne faut jamais toucher, c’est son avenir. L’avenir se construit dans la justice et par l’éducation. Le devenir des nations dépend de ce dont elles se nourrissent.

A la merci des résultats de votre gestion, le peuple togolais décide de mettre fin à ses propres souffrances. Avec discernement et dignité, Monsieur le Président, face à la décision qui se forme d’elle-même dans la conscience nationale avec des preuves patentes, nous vous prions de renoncer à une nouvelle candidature qui servirait de provocation inutile de votre pays bien-aimé.

Didier Amah DOSSAVI

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