Les sapeurs pompiers sous-équipés, le pouvoir surarmé en matériel de répression et de guerre

Les sapeurs pompiers sous-équipés, le pouvoir surarmé en matériel de répression et de guerre

Un témoin : « Ce sont plutôt les pompiers togolais qui ont aidé leurs collègues ghanéens à éteindre le feu »

 

C’est ce qu’il convient d’appeler une série noire. Après le grand marché de Kara au petit matin de jeudi, c’est le tour du grand marché d’Adawlato à Lomé de connaitre le même sort samedi. En effet un incendie s’est déclaré au petit matin de ce jour dans l’immeuble principal, consumant tout sur son passage. Un seul terme suffit pour apprécier le bilan : lourd. Au lever du jour, c’était la désolation chez les commerçants qui voient ainsi leurs marchandises et leur argent, des investissements issus de prêts contractés auprès des banques pour la plupart, partis en fumée. Il a fallu une bonne douzaine d’heures aux secouristes pour arriver à bout de l’incendie. Au-delà des pertes enregistrées et du drame engendré, ce nième incendie révèle le sous-équipement des sapeurs-pompiers togolais, ou mieux, la volonté du pouvoir Faure Gnassingbé de ne pas donner à ce corps les moyens pour remplir leur mission. A contrario, le comportement change quand il s’agit d’acquérir du matériel de répression.

Triste récupération politique

Décidément, le pouvoir Faure Gnassingbé est en mal d’amour du peuple, et toutes les occasions sont bonnes pour se faire un peu d’audience. Déjà à la survenue du sinistre de Kara, le Prince de la République a fait montre d’une sollicitude inhabituelle. Revenu de la Kozah où il était pour un conseil des ministres décentralisé qui n’a jamais eu lieu, et « malgré son emploi du temps très chargé », il s’est donné la peine d’y retourner pour réconforter les victimes. Là, pour l’une des rares fois depuis son braquage du fauteuil présidentiel, il a parlé en live à la presse. C’est un père de famille très touché par le malheur et super attentionné envers ses enfants que les téléspectateurs ont vu. Mais personne n’est dupe, derrière cet air de compassion désintéressée, se cache une tacite récupération politicienne, bien plus manifeste dans le cas du marché d’Adawlato.

Contrairement à Kara, Faure Gnassingbé n’a pas trouvé nécessaire de faire le déplacement du grand marché de Lomé, le plus grand du Togo et le centre névralgique du commerce, pour aller constater de visu l’étendue des dégâts et présenter de vive voix sa compassion aux commerçantes. Ce sont au contraire les victimes qui se sont déplacées pour aller requérir chez lui. Lomé n’est pas Kara, dites-vous ?

A en croire la présidente des Nana Benz et porte-parole de la délégation des commerçantes, Mme Dédé Creppy, elles étaient très consolées (sic) avec les propos de compassion tenus à leur endroit par Faure Gnassingbé. Des victimes ayant perdu des millions voire des milliards de FCFA, inconsolables pour la plupart quelques minutes plus tôt, mais qui retrouvent le sourire après avoir rencontré le Prince miséricordieux, il n’est pas superfétatoire de faire remarquer que les paroles de Faure Gnassingbé ont des vertus curatives que devront explorer les chercheurs pour l’avancée de la médecine. La triste récupération politique à son profit a été beaucoup plus assurée par l’inénarrable Directrice générale de l’Etablissement public autonome pour la gestion des marchés (Epam), Mme Ayelegan Folly Sessi, membre de l’UNIR, qui s’est permis de déclarer que les femmes togolaises « soutiennent le PR et son gouvernement », et de remercier Dieu pour sa…vie !

Sapeurs pompiers ou sapeurs pom-pom ?

L’incompétence des sapeurs pompiers togolais est un secret de Polichinelle, et ce dernier incendie aura permis de la mettre davantage en exergue. On pouvait encore comprendre que le feu n’ait pas été très tôt maitrisé à Kara, car c’est Lomé qui abrite le siège des sapeurs pompiers, et donc tout l’équipement pour ce faire y est concentré. Mais samedi dernier à Lomé, les pompiers togolais ont été IN-CA-PA-BLES de maitriser le feu et sauver les affaires des commerçants, et donc une partie de l’économie togolaise.

Les quelques camions citernes déployés sur les lieux n’ont servi à rien. Une fois encore, l’incompétence des sauveteurs togolais a été mise en exergue. Des témoins racontent même qu’ils ne sont arrivés sur les lieux que plus d’une heure après les premiers appels au secours. Le matériel déployé par le camp principal s’est révélé insuffisant, et même l’intervention du service incendie de l’aéroport international de Lomé réputé mieux équipé s’est révélée vaine. Au-delà de la vétusté ou de la défaillance des équipements (tuyaux troués…), le mode opératoire même laissait à désirer. L’eau convoyée dans la poignée de camions-citernes à contenance réduite et dont une bonne quantité s’échappait d’ailleurs à travers les nids- de-poules (sic) sur les tuyaux, finissait aussitôt l’opération commencée, et nos « vaillants » hommes du feu étaient obligés de retourner parfois au siège, et parfois à Cacavéli, pour s’approvisionner. Le temps de revenir (on parle d’une heure presque), le feu continuait de se propager. Ils étaient obligés de se jucher sur des échelles de fortune et soulever les tuyaux afin que l’eau atteigne une partie du feu. C’était tellement traditionnel et artisanal que tout le monde pouvait être sapeur pompier. Certains de ces secouristes étaient même visibles en culottes et en sandalettes.

Les malheureux agents qui étaient déployés sur le terrain en ont eu plein leurs oreilles. « Chuan »« incapables !», « Vous n’êtes forts que lorsqu’il s’agit de lancer des grenades lacrymogènes et matraquer les manifestants du CST »,« Est-ce que vous êtes capables de faire comme vos collègues ghanéens ?», voilà des propos de rage qui leur étaient adressés par la foule. Quoi de plus normal que les Togolais n’aient pas confiance en eux. Illustration, certains commerçants du marché de Bè ont dû aller évacuer leurs marchandises des magasins pour les amener chez eux. Leurs camarades de Hédzranawoé, eux, en ont été empêchés par un déploiement des corps habillés, et les portes du marché étaient fermées.

Thanks Ghana Fire Service !

Le feu, il a fallu une bonne douzaine d’heures pour le maitriser, ou plutôt pour l’empêcher d’ atteindre les bâtiments avoisinants du principal, après qu’il y a tout consumé. Et là aussi, c’était grâce à l’intervention des sapeurs pompiers ghanéens appelés au secours. Si l’on devrait faire avec les seuls pompiers togolais, Dieu seul sait si l’incendie serait circoncis jusqu’à ce jour.

« Ce sont plutôt les pompiers togolais qui ont aidé leurs collègues ghanéens à éteindre le feu ». Cette phrase d’un compatriote pour caricaturer la part des pompiers locaux dans l’opération dont il a été témoin de bout en bout, peut bien prêter à confusion. Mais bien comprise, elle peint idéalement bien la situation. Car d’habitude, même si elle s’avère toujours décisive, surtout lorsqu’au bout il y a du succès, l’aide d’un tiers ne vient qu’en appui à au maximum d’efforts déployés par le requérant. Mais dans le cas présent, ce sont les pompiers ghanéens qui ont fait le plus gros du travail. Un euphémisme pour ne pas dire tout le travail. On dirait que c’est à Accra que le feu s’est déclaré. Leur bravoure a séduit plus d’un témoin. Le confrère koaci.com les a vus « plus habiles et visiblement plus rompus à la tâche » que leurs collègues togolais. Avec leur lance-eau très puissants, ce sont eux, promptement arrivés sur les lieux, qui ont pratiquement éteint le feu tout seuls. Au-delà des équipements modernes et idoines, on sentait tout simplement du professionnalisme de leur part. Et la foule de victimes et de curieux n’a pas manqué de le leur rendre. « Ghana oyé !!! », les entendait-on crier. Et au même moment, les sapeurs pom-pom togolais en prenaient pour leur grade.

Ce service rendu a été d’un secours inestimable, et la décence voudrait que les pompiers ghanéens soient honorés pour ce geste par les officiels. Mais ils ont été oubliés par le gouvernement dans son communiqué pondu sur le sinistre de Lomé. Pas un seul mot sur l’intervention du Ghana Fire Service. Et, tenez-vous bien, ils ne sont pas venus d’Accra, mais d’Aflao. Preuve donc que les dirigeants du voisin de l’ouest sont des hommes responsables et ont prévu des camps de sapeurs pompiers un peu partout sur le territoire. Ce silence du gouvernement togolais est sans doute stratégique et vise à éviter de se faire taxer d’irresponsable par les populations togolaises. « …Les moyens déployés pour circonscrire le sinistre se sont révélés insuffisants par rapport à l’ampleur et à la violence des flammes », écrit le gouvernement, comme pour dire qu’il n’en est pour rien et que les pompiers togolais se sont quand même battus.

Matériel de répression OK, équipement de secours NON !

« La ville de Lomé possède aujourd’hui de nombreux Immeubles à grande hauteur (Igh). Cela voudrait donc dire que si ces immeubles prenaient feu, les sapeurs pompiers togolais n’étant pas équipés de lance-eau suffisamment puissants, il va falloir à nouveau attendre l’arrivée des sapeurs pompiers ghanéens ! »« Lomé est au bord de l´océan ; mais non seulement nos sapeurs-pompiers sont mal équipés, mais en plus ils arrivent avec des tuyaux secs sans eau. Que dire alors des villes qu’aucun cours d´eau ne traverse ? Plus choquant, on n´a pas une scie métallique mécanique ou électrique ou autre moyen rapide pour couper les quelques barres de fer sur les murs du bâtiment pour créer une place pour le passage de la bouche du tuyau, et il a fallu des coups de cailloux pendant des heures afin d´y parvenir… ». Ces réactions de compatriotes togolais illustrent une situation qu’il urge de faire ressortir : le sous-équipement des pompiers togolais. Un aspect qui est sans doute à l’origine de leur inefficacité devant les sinistres.

Parlant justement d’équipement de sauvetage, il nous revient que le service des sapeurs pompiers n’existe que de nom au Togo, car le matériel est presqu’inexistant. Lors des défilés à l’occasion des célébrations du 13 janvier, ou depuis récemment du 27 avril, il est loisible de voir déambuler des véhicules flambant neufs ; mais les opérationnels se compteraient au bout des doigts. On parle d’une demi-dizaine à peine. Et encore de capacité de leurs camions-citernes très faible – à peine 3000 litres, dit-on. Selon les informations, la hiérarchie a même dû rappeler à Lomé l’un de ces camions convoyé jeudi sur Kara pour éteindre l’incendie connu par cette ville. Mais cela n’a pas suffi. Et même le service incendie de l’aéroport que l’on dit mieux équipé, n’a pas été d’un grand secours. Ce sous-équipement s’explique-t-il par un manque de moyens pour s’en procurer ?

NON ! Cette situation n’est que le fruit d’un manque de volonté du pouvoir d’équiper ce corps pour rendre ce service purement social à la population. A contrario, on préfère investir l’argent du contribuable dans les secteurs et activités où on pourrait tirer des dividendes politiques. Comme les campagnes électorales, les achats de consciences (électeurs, leaders de l’opposition, journalistes), les marches de soutien à la gloire du Prince et les manœuvres politiciennes. Aucun sacrifice n’est trop grand lorsqu’il s’agit d’acheter du matériel de répression et de l’armement de guerre. C’est vite fait quand il s’agit d’acquérir les grenades lacrymogènes de dernière génération et non conventionnelles, les lance-grenades multi-bouches, les balles en caoutchouc, les matraques et autres équipements de répression. Depuis la présidentielle de 2010, les grenades étaient lancées avec les premières manifestations du Front républicain pour l’alternance et le changement (Frac) ; et depuis avril 2012, avec la création du Collectif« Sauvons le Togo », c’est une pluie de gaz qui s’abat sur le quartier de Bè presqu’à chaque manifestation de protestation. Un petit calcul permettrait de se faire une idée des frais mis en jeu pour l’acquisition de ce matériel. L’approvisionnement en armement de guerre continuerait aussi à la même cadence, selon les sources. Des investissements en somme inutiles, car le Togo n’a jamais été confronté à une guerre, si ce n’est la guerre psychologique faite tacitement aux populations pour les dissuader de s’opposer au pouvoir. Ces frais engagés auraient pu servir à équiper les sapeurs pompiers que les milliards FCFA de ces pauvres commerçants seraient sauvés, et Faure Gnassingbé n’aurait pas un problème de plus à gérer. Cette vérité sèche, presque tous les témoins du sinistre ont eu à l’assener aux émissaires du Prince descendus sur le terrain et aux (pauvres) sapeurs pom-pom togolais. Ces incendies vont-ils servir de leçons au pouvoir et l’aider à rectifier le tir ? Question pour un champion.

Tino Kossi

www.liberte-togo.com 

Article du 13 janvier 2013