Querelles douces autour du sit-in Deckon II
Les restrictions illégales qui confirment le caractère «répressionniste» du gouvernement Ahoomey
Qu’est-ce qui attend les militants et sympathisants du Collectif Sauvons le Togo le mardi 21 août ? Il n’est point aisé d’en dire quoi que ce soit d’exact ou de sûr à ce jour, cependant on peut présager que tout peut arriver. En bien autant qu’en mal étant donné que lors du premier sit-in, les manifestants ont subi gaz lacrymogènes et matraques. Sans cacher son avis sur le lieu du sit-in, le gouvernement ne peut pas se défendre pour autant de ne pas donner dans la restriction illégale du droit de manifester.
Un nouveau sit-in : pour quoi faire?
Au lendemain de la débandade de Deckon le 13 juin dernier, les responsables du Collectif Sauvons le Togo (CST) avaient à maintes reprises remis le disque du sit-in au même endroit. Pour différentes raisons, le rendez-vous n’a pas eu lieu, divers rebondissements découlant du premier coup d’essai ayant réorienté l’actualité politique nationale. De sorte que les nouvelles dates annoncées résonnent beaucoup plus pour ces responsables et pour les militants du collectif comme la tenue de la promesse du Deckon II. Pour cette occasion, le CST a mis en avant une fois encore une batterie de revendications. Selon lui, ces revendications justifient une manifestation de ce genre. Ces revendications sont d’ordre politique, social et électoral, dans une moindre mesure.
Dans une déclaration rendue publique le 16 août en marge d’une conférence de presse, le CST a tenu à rappeler aux populations lesdites revendications qui vont de la mise en œuvre « immédiate » des réformes contenues dans la plateforme citoyenne pour un Togo démocratique à la restitution des matériels de sonorisation, matériels roulants, instruments de musique et autres biens meubles saisis lors des manifestations en juin et juillet en passant par la libération immédiate de Sow Bertin Agba, l’arrêt de l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
Au menu, on peut relever que la marche suivie de sit-in prévue par le CST les 21, 22 et 23 août est destinée d’une part à exiger la mise en œuvre ou la réalisation des réformes constitutionnelles et institutionnelles, préalables évidents à toute élection libre et équitable. Selon le collectif en effet, le Togo ne doit plus organiser d’élections qui se terminent dans l’imbroglio parce que les acteurs ne se seraient pas entendus sur le cadre légal. A cette fin, le collectif souhaite que le gouvernement s’attache à faire faire les réformes pertinentes en vue de permettre au pays d’en finir avec le cycle élections-contestaions-dialogue. Ces réformes sont bien connues de tous puisqu’elles sont à l’ordre du jour depuis des années. Elles sont même la charpente et la justification première de l’Accord Politique Global de 2006. Plusieurs autres dialogues et discussions auraient dû en faciliter la mise en œuvre mais ils ont tous échoué.
Ces réformes concernent le code électoral : le mode de scrutin aux élections présidentielle et législatives, la composition de la CENI ; la composition de la Cour Constitutionnelle et de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication. Elles concernent également le découpage électoral : aux législatives de 2007, le découpage s’est révélé si injuste que 900 000 voix peuvent conférer la majorité confortable à l’Assemblée Nationale avec 50 députés pendant que 1 200 000 voix ne rapportent que 31 sièges. Les réformes doivent corriger dans la mesure du possible mais de façon sensible cette injustice afin de réparer les torts et les disparités.
Un autre volet des revendications prend en compte d’autre part le rapport de la commission nationale des droits de l’homme sur les cas de torture signalés dans le dossier de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat. L’opinion nationale et internationale n’a sûrement pas encore oublié que, au cours du procès du Kpatchagate, des prévenus seraient plaint de tortures dans les geôles de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) et qu’un rapport commis par le gouvernement a révélé la justesse des plaintes. Curieusement, les recommandations formulées par ce rapport sont restées lettre morte. Le sit-in à venir à Deckon trouve ainsi également sa justification dans ce laxisme du gouvernement à exécuter les recommandations dudit rapport.
Le lieu du sit-in fait problème
Comme on pouvait s’y attendre, l’annonce de ce nouveau sit-in a suscité des réactions vives de la part du gouvernement. Les observateurs saluent malgré tout la démarche conviviale du ministre de l’Administration Gilbert Bawara qui a eu l’idée de rencontrer les organisateurs et de discuter avec eux sur leur projet. De ces discussions, il ressort que le gouvernement, tout en ne s’opposant pas à l’idée d’une marche suivie de sit-in, désapprouve fortement le lieu choisi pour cela. D’où la polémique.
Dans un communiqué publié quelques temps après la rencontre avec la délégation des organisateurs, le gouvernement a indiqué avoir informé les responsables du CST de la mesure d’interdiction concernant les sit-in en des lieux tels que le carrefour Deckon. Le communiqué dit en substance que « dans le souci de prémunir l’ensemble des citoyens non concernés par les manifestations et en vue de leur permettre de vaquer librement à leurs occupations, le ministre de l’administration territoriale et des collectivités locales et ses collègues ont indiqué à la délégation du CST l’interdiction d’organiser dorénavant les manifestations publiques notamment les sit-in dans les endroits précités ». Autrement dit, le gouvernement ne veut pas de sit-in à Deckon parce que cela peut avoir des conséquences économiques et financières sur les activités des commerces et des services installés aux différents flans au carrefour.
Intox et manipulation, répond-on au CST. Dans la déclaration évoquée plus haut, le CST bat en brèche l’argumentaire gouvernemental. Il y voit une « dérive mensongère qui est la marque de fabrique du régime de Faure Gnassingbé » ainsi qu’une simple manœuvre pour « démobiliser la population et (…) semer la confusion au sein de l’opinion. » Le CST oppose à la mesure gouvernementale l’article 14 de la constitution qui stipule que « l’exercice des droits et libertés garantis par cette constitution ne peut être soumis qu’à des restrictions expressément prévues par la loi et nécessaires à la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public, de la santé publique, de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui». Pour le CST en somme, tout en dénonçant la tentative d’entrave à la liberté de manifester, « le carrefour Deckon reste et demeure le point de chute de la marche et du sit-in des 21, 22 et 23 août 2012 ».
Une décision arbitraire et liberticide
L’argumentaire gouvernemental contient en lui quelque chose de vraisemblable mais il est loin de dissiper le soupçon de restriction illégale du droit de manifester. En effet, lorsque le gouvernement soutient que le sit-in du CST à la place DECKON peut avoir un impact économique sur les établissements de commerce et les services installés dans le voisinage, il est dans le vrai. Une manifestation de ce genre est sans doute de nature à ralentir voire à arrêter tout simplement les activités commerciales, c’est évident. Malheureusement pour le gouvernement, il ne lui est pas possible de prendre lui-même une telle décision, en dehors de toute disposition légale.
En vérité, à en croire l’article 14 de la constitution du 14 octobre 1992, le droit de manifester, l’un des droits garantis par la constitution, ne peut être restreint que par une loi en cas de nécessité. Cela veut dire que si aujourd’hui le gouvernement sent le besoin et la nécessité de retenir des lieux et espaces comme interdits d’accueillir des sit-in, il aurait dû l’insérer dans la loi Bodjona. Pour ne l’avoir pas fait, il se trouve dans l’impossibilité légale d’empêcher la marche du CST de chuter à Deckon, à quelque prétexte que ce soit. S’il le fait, il tombe sous le coup de l’entrave manifeste à un droit garanti par la constitution de la république togolaise. Car en vérité, les observateurs peuvent reconnaître au gouvernement le mérite de se soucier de l’intérêt des citoyens qui seraient à Deckon et qui ne seraient point intéressés par la manifestation du CST sans pour cela omettre de souligner qu’il n’a aucun motif légal pour empêcher le CST de faire chuter sa marche en ce lieu et d’y organiser un sit-in.
Sous réserve de voir ce que le gouvernement va faire concrètement le 21 août, les observateurs et analystes notent dès l’instant que le gouvernement Ahoomey-Zunu s’inscrit peu ou prou dans la même dynamique que celle de Houngbo II. Ceux-ci ne comprennent pas jusqu’à ce jour le silence de ce gouvernement face aux événements scandaleux de Kara. Le CST, encore, a été empêché avec force violences et menaces, de tenir un meeting d’explication sur un terrain de jeux dans la ville supposée le fief des fiefs du pouvoir. Malgré le scandale socio-politique que constitue cet événement et surtout les conséquences immédiates et lointaines qu’il peut engendrer, ne serait-ce que dans le cœur des uns et des autres, il est curieux de constater que le gouvernement n’en a rien dit. Un silence coupable sans doute qui résonne comme une caution tacite aux fauteurs de trouble et à l’entrave aux libertés publiques. Si en plus de cela, le gouvernement se permet d’user du faux et de l’arbitraire pour empêcher des citoyens de jouir et d’exercer leur droit constitutionnel, il faut craindre un recul des libertés ainsi que le dit le CST dans sa déclaration en rappelant l’interdiction arbitraire en 1994 des «manifestations les jours ouvrables à Lomé et dans les villes de l’intérieur du pays ».
Toutes proportions gardées, au-delà de l’argument attaquable de l’éventuel impact économique du sit-in, en quoi le projet du CST gêne-t-il vraiment le gouvernement de Kwesi Ahoomey-Zunu et de Faure Gnassingbé ?
Nima Zara
Le Correcteur N°368 du 20 août 2012