Le gouvernement actuel, malgré l’effervescence du front social, n’est toujours pas disposé à régler les problèmes posés par les enseignants et les étudiants. Il continue à user du dilatoire et de menaces pour tenter de contenir la contestation.
Alors qu’on refuse de déployer les moyens pour améliorer les conditions de travail des contestataires, les tenants du pouvoir distribuent de l’argent à des meneurs ciblés en vue de casser l’ardeur des mouvements. Au cours de la semaine dernière, des ministres et barons du régime se sont rendus dans leurs préfectures respectives dans le nord du pays pour parler aux jeunes. Des rencontres ont été organisées avec les “frères étudiants”.
Officiellement, il s’agissait de parler aux petits frères et de les calmer. Mais en fait, il s’agissait d’une vaste campagne de manipulation et de clochardisation des étudiants comme cela se faisait à l’époque du général président qui s’appuyait sur l’AMENTO (Amicale des Etudiants du Nord Togo) pour faire croire que les revendications pour de meilleures conditions de vie pour tous seraient dirigées contre une partie du pays.
La vieille méthode
Rappelons qu’au temps fort des contestations au début des années 90, des barons qui parrainaient des amicales d’étudiant sur le campus, avaient organisé des réunions tribales dans les préfectures, réunions aux cours desquelles les étudiants contestataires identifiés et arrêtés avaient été humiliés et fessés devant leurs camarades pour servir d’exemple à ceux qui tenteraient de leur emboîter le pas.
Le général Eyadèma lui-même avait organisé une réunion régionaliste à son domicile à Pya le 1er septembre 1990. Au cours de cette réunion, qui avait l’allure d’un procès, les étudiants Djobo Adjayé Baolé, Nabine Ouyi Mensah, Alpha Boda Rahim et Karakoro Bitchinidi, activistes du mouvement estudiantin ayant provoqué le soulèvement du 05 octobre, avaient été humiliés et soumis à la vindicte de leurs camarades en présence de leurs parents. Ce jour là, Eyadèma qui dans ses discours officiels ne manquait pas de rappeler que du nord au sud, de Est à l’ouest les Togolais sont liés par le même destin, s’en était violemment pris à ces étudiants du fait qu’ils étaient originaires du nord à faire partie du mouvement.
Aujourd’hui, la donne a changé et les nostalgiques de la vieille époque ont affaire à des jeunes éveillés, ouverts sur le monde et qui vivent les mêmes problèmes que leurs camarades originaires d’autres localités du pays. A Kara aujourd’hui, personne n’a peur de dire les choses telles qu’elles sont. Même les irréductibles “fauristes” critiquent sévèrement le régime.
De fait, les rencontres initiées à des fins de manipulation n’ont pas produit l’effet escompté. Des étudiants n’ont pas manqué de rabrouer publiquement leurs aînés. Dans l’ensemble, ces barons et nouveaux riches du pouvoir sont perçus par les étudiants comme des imposteurs qui cherchent à les sacrifier pour préserver leurs avantages. Ces aînés en mauvaise posture, ont perdu leur latin devant les jeunes étudiants très remontés d’autant plus que ce sont les mêmes qui les avaient réunis lors des campagnes électorales pour leur faire des promesses mirobolantes au nom de Faure Gnassingbé. “Cette fois, la tache n’est pas facile parce que la nouvelle génération de jeunes n’a plus d’égard pour les ainés”, affirme un témoin d’une rencontre qui souligne “qu’on a affaire à des rebelles difficiles à manipuler”.
Dans l’ensemble, les étudiants de la partie septentrionale considèrent que les autorités togolaises ne font rien pour leur permettre d’étudier dans de bonnes conditions. Ils se remplissent les poches, leurs enfants étudient dans les meilleures écoles à l’étranger. “On les connaît. Ils ont attendu qu’on se révolte avant de venir nous raconter des histoires pour nous faire taire. Ils font le malin. Ils n’ont qu’à retourner dire à Faure d’accéder à nos revendications ; nous aussi nous sommes Togolais. Nous n’avons pas les avantages qu’ils offrent à leurs enfants mais au moins qu’on nous donne le minimum auquel nous avons droit “.
En ce qui concerne les enseignants, selon un accord signé sous la menace de licenciement par certains délégués des enseignants, ceux-ci se seraient engagés à privilégier le dialogue, la concertation en vue de trouver les solutions aux autres problèmes en suspens. Mais la majorité des enseignants au parfum des méthodes utilisées par le gouvernement ont plus d’un tour dans leur sac. Conscient que le mot dialogue signifie dilatoire au Togo, les enseignants ne sont pas disposés à se laisser enfariner comme d’habitude. En contact avec leurs collègues d’autres pays, ils sont à même de faire voir de toutes les couleurs au gouvernement en usant de nouvelles stratégies de revendications.
Que ce soit au niveau des enseignants que des étudiants, la manipulation à coups de billets de CFA entreprise par les émissaires de Faure Gnassingbé ne fera qu’aggraver la situation car déjà les meneurs sont désavoués par la base au fur et à mesure qu’ils faiblissent. Ce qui fait que ceux qui reçoivent de l’argent n’ont aucune influence et sont soit obligés de laisser la place à d’autres encore plus déterminés, soit contraints de maintenir leur position pour ne pas se faire discréditer.
En tentant de toujours semer la division parmi les enseignants et les étudiants, le gouvernement aggrave plutôt son cas puisqu’il aura affaire à de nouveaux meneurs porteurs des mêmes revendications et lorsqu’il n’y aura pas de responsables à la tête des mouvements, ils n’auront plus d’interlocuteurs et bonjour les dégâts.
Les moyens existent, pour satisfaire les revendications légitimes des enseignants et des étudiants si l’on considère l’enrichissement supersonique des tenants du pouvoir.
LR
Le Regard N°764 du 21 décembre 2011