Les audiences de la CVJR et le challenge de réconciliation

 

Les démentis systématiques des accusés compliquent le problème

 

C’est à se demander s’il ne faut pas supprimer le V de la CVJR pour ne garder que la CJR. D’audition en audition, le démenti systématique des accusés est devenu une pratique  banale et généralisée. Tous ceux qui sont accusés de violences et de crimes rejettent en bloc sans la moindre contrition les accusations, certains sont allés plus loin en brandissant la menace de poursuites judiciaires. Malgré tout, Mgr Barrigah et ses collègues continuent leur marche. Pour quelle fin ? La question n’est pas nouvelle mais elle a toujours son sens.

 

Les FAT : de l’arrogance aux recommandations

Le bal des démentis systématiques a été ouvert de façon impudique par les Forces Armées Togolaises. Accusées dans les  crimes de la lagune de Bè et de l’attaque de la Primature, elles ont trouvé opportun et pertinent de réagir par une mise au point à l’allure de menaces et de piétinement de la mémoire des victimes. Dans l’une comme dans l’autre affaire, les FAT n’ont pas pu ou n’ont pas eu le courage historique de faire profil bas ni de montrer de la contrition. Au contraire, elles ont fait dire à leur porte-parole des mots choquants, ignominieux et effrayants.

Pendant que ceux qui croyaient encore au succès de la mission de Mgr Barrigah attendaient que les FAT leur donnent raison en plaidant coupables, promettant que cela ne se reproduira plus, ils ont été abasourdis de constater que c’est un démenti et une dénégation bruyants qui ont répondu aux différentes accusations. Pour les FAT, il n’est pas possible qu’on dise que ce sont des militaires togolais qui ont commis les crimes de la lagune de Bè et de l’attaque de la primature. Qui donc était en face des manifestants et de la garde du Premier ministre Koffigoh en avril et décembre 1991 ? Les optimistes se sont posé la question. « Des manifestants qui ne savent pas nager se sont jetés dans la lagune » et se sont noyés naturellement, « les soldats en poste à la primature ont abattu le commandant Gnassingbé alors qu’il était venu négocier », « des forces étrangères étaient parmi la garde du Premier ministre », voilà les réponses à cette question, selon les FAT.

Emoi, indignation, scandale ont été les réactions et les sentiments des citoyens au lendemain de cette sortie « historique » des Forces Armées Togolaises. Une audience de Mgr Barrigah chez Faure Gnassingbé a été présentée dans la foulée comme le signe évident du drame psychologique jusqu’au sein de la commission et devait amener les FAT au « bon sens ». Avec le recul, on doit dire que c’est seul le ton qui a changé, les démentis et dénégations systématiques n’ont pas pris fin. Au sujet des violences politiques de 2005 à Atakpamé, les FAT ont déclaré que pas un seul rapport n’a signalé une dérive des éléments de la Force élection ni des autres forces de sécurité. C’est symptomatique de la mentalité et des intentions de la hiérarchie militaire vis-à-vis de l’avenir du pays et d’idéal de réconciliation.

 

Les cas Kouloum et Kantchati

Deux autres compatriotes qui se sont illustrés dans le jeu de la dénégation systématique sont le major Kouloum et le ministre Okoulou Kantchati. Ce dernier qui n’a pas eu l’humilité historique d’aller parler lui-même à la tribune de la CVJR a été cité comme bourreau ou commanditaire des violences politiques dans l’Oti. Des témoins et victimes l’ont donné pour responsable des malheurs qui leur sont arrivés ou à leurs proches. Pour toute réponse, comme si les FAT lui avaient montré le chemin, M. Kantachati a fait dire par son porte-parole qu’il n’est ni de près ni de loin lié à ces événements. Il est allé plus loin en promettant de traduire devant les tribunaux. Son collègue de parti, le major Kouloum, reste de loin l’acteur du gros flop des audiences de la CVJR.

Cité par une dizaine de témoins et de victimes comme le grand artisan de la répression sauvage qui s’est abattu sur les partisans du changement en février-avril 2005, le major Kouloum, simple soldat en retraite mais qui a des airs de véritable Préfet de l’Ogou, n’a pas mis de gants pour maculer le linge de la réconciliation. M. Kouloum a estimé que les accusations portées contre lui sont fausses, qu’en lieu et place de tout cela, c’est lui qui est la victime puisqu’il a perdu son hôtel et sa radio. « Les allégations de morts attribuées au RPT sont fausses, d’autant plus que ceux-ci datent du 19 avril 2005, la veille du passage du candidat de la coalition Monsieur BOB Akitani » a laissé entendre le major Kouloum qui annonce son intention de demander justice « Sur ce, je porte plainte contre les auteurs de mes biens pillés, saccagés et incendiés. Je me constitue partie civile et me réserve le droit de me prononcer le jour du jugement » Le compatriote va plus loin en réclamant des réparations financières : « Par ailleurs, je réclame les 2.000.000 F CFA (Deux millions de Francs CFA) que j’ai versés au CHR d’ Atakpamé et à la Clinique Bon Secours d’Atakpamé pour les soins des blessés sans distinction d’appartenance politique ». « L’enfer, c’est l’autre », Sartre l’avait dit.

 

Une réconciliation sans vérité

A  l’allure où vont les choses à la CVJR, on a toutes les chances de se retrouver avec un bilan tronqué justement parce qu’il ne reflètera pas la vérité et la réalité. Il faut craindre en effet que, au terme des auditions publiques, à huis clos et privées, la commission Barrigah ne dresse un bilan sur la base duquel elle va dresser une liste de recommandations qui pourraient ne pas régler le problème de division et des violences politiques dans notre pays.

L’enjeu est simple : si la commission n’a de cesse de répéter que c’est « uniquement sur la base des informations recueillies au cours des audiences et de ses propres investigations qu’elle fera des recommandations », il va de soi que c’est en tenant compte des dénégations des accusés que le bilan sera fait, idem pour les recommandations. D’où la crainte justifiée que celles-ci soient impertinentes parce que fondées sur des éléments d’appréciation inexacts.

A long terme, si le gouvernement décide de mettre en œuvre ces recommandations, il investira des énergies et de l’argent pour réparer des dommages, sans qu’on soit sûr à 100% que ce sera utile à quelque chose. On proclamera même peut-être au cours d’une cérémonie en grandes pompes la réconciliation des Togolais, annoncera la fin des mangues vertes et des querelles, on n’est pas certain qu’il sera ainsi le cas.

Comme le prévoit la dénomination de la commission Barrigah, la vérité est cardinale dans la marche vers la réconciliation. Il est vital que des accusés et des bourreaux, quel qu’ils soient, avouent et reconnaissent leurs crimes. Suivra logiquement le pardon puisque selon une démarche religieuse bien consacrée, le pardon ne vient qu’après la contrition et la repentance. « Tes péchés te sont pardonnés » ne vient que pour couronner un processus à l’intérieur duquel se trouve la confession. A peu de choses près, la réconciliation dans un pays entre les filles et les fils  ne peut être véritable et fertile que si les uns et les autres ont le courage d’avouer leurs fautes, étant entendu que, à une autre latitude, « une faute avouée est à moitié pardonnée ».

Curieusement, dans notre pays, c’est un schéma singulier et négativement original qui se dessine : on veut et on va faire la réconciliation sans la vérité. Or, les analyses ci-haut établissement nettement qu’il ne saurait y avoir de réconciliation sans vérité. Dans une lettre adressée à Mgr Barrigah, la Plateforme Citoyenne Justice et Vérité a exprimé la même inquiétude, en écrivant notamment « La crédibilité de votre commission dépend de signaux forts favorables à la vraie réconciliation nationale. Convaincue que la manifestation de la vérité et l’expression du pardon constituent le soubassement même de la réconciliation, la Plateforme citoyenne justice et vérité voudrait en appeler donc à votre savoir faire pour trouver les voies et moyens pour que certains présumés auteurs cités par les victimes interviennent publiquement pour demander pardon ».

Va-t-on alors dépenser des dizaines de milliards pour tromper les apparences ? Si rien ne change, sous réserve que la CVJR soit suffisamment perspicace pour éviter le piège de ceux qui rejettent en bloc toutes les accusations portées contre eux. Au cas contraire, notre pays va apporter la preuve une énième fois qu’il ne réussit jamais ce que d’autres ont réussi avant lui. La démocratisation a ainsi réussi dans plusieurs pays voisins avec une logique inébranlable d’alternance politique, il n’en est rien dans notre pays. Si tant est que Faure Gnassingbé a créé la CVJR pour que les Togolais se réconcilient vraiment, il est de son devoir d’arrêter très vite le major Kouloum et les FAT dans leur logique de dénégation et de remise en cause du processus de réconciliation. S’il ne le fait pas, on comprendra qu’il est en train de jouer le jeu comme on en a l’habitude pour abuser de la crédulité ou de l’impuissance des citoyens. Dans ce cas, la CVJR doit tout arrêter pour que cesse la comédie. C’est une question d’honneur et de bon sens.

 

Nima Zara

Le Correcteur N° 295 du 24 octobre 2011