Faure Gnassingbé et la limitation de mandat
Depuis la reprise des discussions au sein du Cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC) rénové, Les Togolais attendaient avec impatience les résultats qui seront issues des débats concernant l’article 59 de la Constitution relatif au nombre de mandat présidentiel au Togo. Depuis la semaine dernière, ils ont une réponse. Réunis jeudi 1er décembre dans le cadre de leur neuvième rencontre hebdomadaire, les membres du CPDC ont décidé de la proposition de relecture de l’article 59 de la Constitution qui fixe désormais la durée du mandat présidentiel à Cinq ans renouvelable une seule fois. Toutefois, les fervents défenseurs de l’alternance n’ont pas de raison de se réjouir. Puisque le Cadre tant décrié par l’ANC et le CAR a également décidé de prendre des dispositions en vue de la non-rétroactivité de la nouvelle loi. Hélas, le changement tant attendu n’est donc pas pour demain. Le pouvoir donne par la main droite et reprend tranquillement par la main gauche : refus systématique de l’alternance.
L’article 59 de la Constitution togolaise toiletté en 2002 par le parlement acquis au RPT (Rassemblement du Peuple Togolais) stipule que le mandat présidentiel est illimité. Autrement dit, cet article donnait au chef de l’Etat la possibilité de se représenter aux scrutins présidentiels le nombre de fois qu’il le souhaite. Et bien, il n’en sera plus ainsi. Du moins dans un futur proche. « Réunis dans le cadre de leur neuvième réunion hebdomadaire, les membres du Cadre permanent de dialogue et de concertation ont décidé d’une proposition de relecture de l’article 59 de la Constitution togolaise. Désormais, le contenu de cet article devra être libellé comme suit : ‘’le chef de l’Etat est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois’’ », peut-on lire dans le communiqué final issu de la rencontre.
A priori, cette proposition a de quoi réjouir les Togolais épris d’alternance et de changement. Puisqu’elle ne vient que confirmer leur volonté et le choix démocratique qu’ils ont opéré en optant massivement pour la Constitution de la Quatrième République adoptée par Référendum le 27 Septembre 1992 et promulguée le 14 Octobre 1992.
Toutefois, et c’est là que le bât blesse, l’alternance dont le peuple a toujours rêvé ne sera pas pour maintenant. Ceci, dans la mesure où, à la fin de son communiqué, le CPDC a laissé entendre qu’il « propose l’adoption d’une disposition transitoire de clarification, pour préciser que les dispositions de l’article 59 relatives à la limitation de mandat présidentiel ne sont pas rétroactives ». Voilà qui bouche toute issue à l’alternance et permet à Faure Gnassingbé de rester au pouvoir pour un bon moment encore. 20 ans au total si les calculs sont bons.
Levée de bouclier auprès des organisations de la société civile
« La non application immédiate du texte portant sur la limitation du mandat présidentiel est une asphyxie certaine à la démocratie dans le contexte actuel au Togo », voilà clairement exprimé le point de vue de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH).
Tout en faisant observer que cette intention manifeste du CPDC constitue une atteinte grave et renouvelée au processus de démocratisation en cours dans notre pays, la LTDH estime pour sa part que dans le contexte actuel, « seule la limitation du mandat présidentiel avec effet immédiat mettra un terme définitif à l’usure du pouvoir aux conséquences incalculables, en même temps qu’elle sera de nature à décrisper l’atmosphère politique au Togo et à favoriser l’amorce d’un développement économique et social harmonieux, fondé sur une paix durable ».
Par ailleurs, cette organisation de la société civile estime que l’alternance conserve toujours le mérite d’être le mode de régulation politique des démocraties paisibles. C’est pour cette raison qu’elle « désapprouve et condamne, avec la dernière rigueur, le silence complice et coupable des organisations de la société civile cooptées et présentes au CPDC » et appelle les députés à l’Assemblée Nationale, représentants du peuple tout entier et dans l’intérêt de ce peuple bien compris, à conférer, le moment venu et le cas échéant, au texte de l’article 59 en relecture, un effet immédiat.
Même son de cloche du côté du Mouvement dénommé FDP 2015 (Faure doit partir en 2015). Pour ce dernier, il est inacceptable que Faure Gnassingbé se représente en 2015. FDP 2015 convie d’ailleurs tous les Togolais à une manifestation jeudi prochain devant la primature du Togo, afin d’obliger le CPDC à faire en sorte que la nouvelle proposition de loi soit rétroactive.
Refus systématique de l’alternance
C’est un Pascal Bodjona et un Yao Bloua Agbo (tous deux membres du comité central du RPT et représentant de ce parti au CPDC) visiblement heureux qu’on a vu sortir de la salle de conférence de la primature jeudi dernier. Ce qui prouve à plus d’un titre que le pouvoir est satisfait de l’issue des discussions. A la question de savoir s’il ne serait pas mieux que la nouvelle proposition prenne effet dans l’immédiat, le ministre Bodjona a dribblé les journalistes en répondant en ces termes : « Jusqu’à la journée d’aujourd’hui, est-ce que le mandat présidentiel était limité ? Non, il ne l’était pas. Mais, à la fin de nos discussions, vous avez sans doute remarqué que ce mandat sera désormais limité. N’est-ce pas un grand pas ? ».
D’aucuns ont l’habitude de dire que ce que le pouvoir RPT perd sur un terrain, il le récupère sur un autre. C’est l’impression qui semble en tout cas se dégager des discussions de la semaine dernière. Le pouvoir a sans doute perdu la bataille de la limitation du mandat présidentiel. Mais, avec la non-rétroactivité de la nouvelle loi, il a regagné du terrain. Car, ceci permettra à Faure Gnassingbé de rester au pouvoir au moins jusqu’en 2020 et au plus jusqu’en 2025. Les calculs sont simples et tout dépendra de la manière dont cette non- rétroactivité sera interprétée.
Si la nouvelle loi devrait rétroagir, Faure Gnassingbé n’aurait plus le droit de se présenter en 2015. Maintenant qu’elle ne rétroagira pas, ayant à peine écoulé deux ans sur les cinq de l’actuel mandat, le chef de l’Etat pourra choisir de considérer ce mandat comme le premier. Dans ce cas, il aura la possibilité de se représenter en 2015 et comme le pouvoir actuel est champion dans les victoires aux urnes trouées fixées au bout des canons et des mitraillettes, Faure Gnassingbé risque d’être encore aux affaires jusqu’en 2020.
Toutefois, si par malheur, Faure Gnassingbé a un goût démesuré pour le pouvoir, il choisira tout simplement d’ignorer le mandat actuel et de remettre le compteur à zéro à partir de 2015. Dans ce cas, il aura la possibilité de se présenter cette année puis en 2020. Ce qui lui permettra de rester aux affaires jusqu’en 2025. Indignation générale, n’est ce pas ?
Dans le premier cas de figure, Faure aura à faire en tout 15 ans au pouvoir. Ajoutés aux 38 ans de règne sans partage de son défunt père, cela fera en tout 53 ans de règne des Gnassingbé. Dans le second cas, il aura à diriger le pays pendant 20 ans. Ajoutés aux 38 ans de son géniteur, cela fera 58 de règne des Gnassingbé.
Tout compte fait, que ce soit la première possibilité ou la seconde, aucune n’arrange les Togolais qui ont soif de l’alternance et qui souhaiterait que le chef de l’Etat passe le relais en 2015, à la fin de son actuel mandat. Accepter la non-rétroactivité tel que préconisé par le CPDC serait synonyme de refus systématique de l’alternance.
Par ailleurs, la question se pose de savoir si Faure Gnassingbé doit choisir de s’éterniser au pouvoir. Pour beaucoup de Togolais, la meilleure des solutions serait qu’il passe la main en 2015. Il y va de son intérêt dans la mesure où avec la nouvelle donne aussi bien en Afrique que dans le monde, les peuples sont de plus en plus réticents à accepter les dirigeants qui s’éternisent au pouvoir. Les révolutions arabes en sont une parfaite illustration. Qu’on le veuille ou pas, l’Afrique subsaharienne finira par être contaminée. Les cas Ben Ali, Hosni Moubarak et Mouammar Kadhafi sont là pour lui montrer que l’usure du pouvoir entraîne la plupart du temps des conséquences désastreuses.
Les dernières sorties de l’Elysée par la voix du conseiller du Président Nicolas Sarkozy, Robert Bourgi, qui pense mettre fin aux règnes élastiques, aux records de longévité au pouvoir et à l’obstination de certains dirigeants de quitter le pouvoir instruisent mieux.
Nicolas Sarkozy a été par ailleurs clair sur la question à la dernière assemblée des Nations Unies. « La démocratie par l’alternance sera imposées à tous les Etats du monde, même par la force armée ». Le message est clair, les mutations géopolitiques n’épargneront pas le Togo. Le Togo n’est pas une île isolée du reste de la planète. Faure Gnassingbé et le pouvoir RPT devront s’en inspirer pour assurer une alternance sincère et honnête. Sinon, autant au Togo qu’ailleurs, cela va tourner mal, très mal.
Rodolph TOMEGAH
L’Indépendant express N°189 du mardi 06 décembre 2011