Le pouvoir RPT s’en remet à la décision de la cour de la CEDEAO pour camoufler le blocage du CPDC

Mis en difficulté par les réticences de ses adversaires politiques au CPDC

 

Entre l’adoption d’un règlement intérieur, la détermination d’une feuille de route et l’élection d’un bureau, lequel de ces sujets est plus sensible que les autres dans la conjoncture politique de notre pays ? Selon toute vraisemblance, le pouvoir RPT semble insinuer que c’est l’élection du bureau, d’où sa suspension en attendant une décision de la cour de justice de la CEDEAO. En vérité, cela ressemble plus à une manœuvre pour cacher l’impasse née du boycott du CAR et de l’ANC.

L’argumentaire du gouvernement

En dépit de la bouderie du parti de Me Apévon, étant donné que celle de l’ANC de Jean-Pierre Fabre n’est plus un événement, le gouvernement a fait ouvrir et poursuivre les activités du Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation (CPDC) comme si tout allait bien, comme si l’absence de ces partis ne saurait empêcher la caravane d’avancer. Au vrai, la caravane a continué son chemin le temps de deux réunions.

A l’issue de la réunion du vendredi 23 septembre 2011, les citoyens sont informés qu’on a sursis à l’élection du bureau du cadre parce qu’on attendrait la décision de la cour de justice de la CEDEAO devant laquelle l’ANC a esté pour obtenir le rétablissement de ses députés révoqués arbitrairement. Selon la phraséologie officielle présentée par le ministre Bodjona, l’élection du nouveau bureau du CPDC n’a pas eu lieu le vendredi dernier à cause de l’imminence du verdict de la cour d’Abuja. On soutient ainsi que cette décision aura le mérite de clarifier la situation et de préciser la position définitive du parti orange vis-à-vis des activités du CPDC et du dialogue inclusif.

La logique est simple : vu que l’ANC a posé comme préalable, entre autres, à sa participation au dialogue, le rétablissement des 9 députés relevant de son giron, il conviendrait d’attendre de savoir ce que la cour d’Abuja décidera pour envisager la suite des événements. En d’autres termes, du point de vue du gouvernement, c’est après cette décision que la position de l’ANC sera claire et alors on saura s’il faut compter avec ledit parti ou s’il faut avancer sans lui. Dans l’un ou l’autre cas, c’est uniquement après le 29 septembre donc, a priori, que le gouvernement fera élire le bureau du CPDC.

Un argumentaire impertinent

Supposons par exemple que l’ANC n’avait pas été devant la cour de justice de la CEDEAO mais conditionnait sa participation au dialogue inclusif par la satisfaction de préalables dont le retour de ses députés à l’Assemblée Nationale, que dirait le gouvernement ? Que ferait-il pour donner une chance au dialogue ? Ces questions signalent une irrégularité dans l’argumentaire gouvernemental. L’irrégularité est d’autant plus flagrante que, hormis l’ANC qui pose des conditions, il y aussi le CAR qui s’est mis à l’écart des activités du CPDC, bien qu’il eût vivement réclamé l’ouverture du dialogue. Dès lors, en quoi la décision de la cour d’Abuja concerne-t-elle la bouderie du CAR ? Ou le gouvernement de Faure Gnasingbé et de Gilbert Houngbo veut-il insinuer que le parti des avocats Agboyibo et Apevon est un pion négligeable sur l’échiquier ?

A y voir de près, l’argumentaire gouvernemental n’explique rien. On a toutes les raisons d’y voir l’arbre qui cache la forêt car il est très discutable. Primo, rien ne garantit que, même dans le meilleur des cas où la cour demande la réintégration des députés, que subitement l’ANC tombe en transe et se présente devant les bureaux du CPDC. Il faut être amateur de politique fiction de piètre qualité pour croire que MM Fabre, Lawson, Me Doe-Bruce couront au CPDC à s’en rompre les jambes une fois qu’on aura intimé l’ordre au gouvernement de réparer le tort fait à leurs députés. Dans le cas échéant même, rien ne garantit que le pouvoir de Faure Gnassingbé va faire diligence en un temps record de sorte que l’élection du bureau du CPDC puisse intervenir ainsi que les activités substantielles du cadre. Rien ne prouve non plus que l’ANC ne demande ensuite la satisfaction des autres préalables.

En outre, s’il advient que la cour déboute l’ANC et trouve que l’action d’Aboudou Assouma et d’Abass Bonfoh est régulière, quelle plus-value cela pourra-t-il constituer pour les activités du CPDC et notamment pour la clarification de la position de l’ANC ? Une chose peut être sûre : si le cas se présente, il n’y a rien de probant qui puisse déterminer le parti orange à courir au dialogue. Au contraire, il pourrait trouver d’autres arguments pour réclamer la même chose, et y conditionner derechef sa participation au CPDC. Il en résulte que de façon tranchée, l’argument avancé par le gouvernement pour suspendre l’élection du bureau du CPDC est rageusement et absolument impertinent. Il ne résiste pas au doux supplice de la contradiction et de la raison. Les vraies raisons doivent se trouver ailleurs.

Bien plus, on peut s’étonner de ce que pour le gouvernement de notre pays, l’élection d’un bureau est plus sensible et fondamentale que l’adoption d’un règlement intérieur et de la feuille de route du cadre. De toute évidence, le bureau n’aura qu’à conduire les débats sur le contenu de la feuille de route suivant les prescriptions du règlement intérieur. Cela suppose que ce bureau n’a pas grande influence dans le jeu si tant est que son rôle est défini ou prédéfini par le règlement intérieur. De plus, à moins que ledit règlement donne au bureau le pouvoir d’influencer ou de trancher les désaccords, ce qui est improbable sur la base des expériences passées, les tâches d’adoption du règlement intérieur et de la feuille de route sont primaires et primordiales à l’élection d’un quelconque bureau. D’ailleurs, que se passerait-il si les éventuels « nouveaux venus » ou les « éventuels attendus » désavouent le règlement intérieur et la feuille de route ?

Hypocrisie politique

Il n’y a point de risque à dire à présent que le gouvernement se cache derrière ce paravent de décision de la cour de justice de la CEDEAO pour ne pas avouer la réalité des choses. Il ne veut pas s’avouer que ses adversaires du CAR et de l’ANC l’ont mis en difficulté et en situation inconfortable. Pourtant, c’est bien le cas si l’on observe de près la présentation du contexte actuel.

Le pouvoir de Faure Gnassingbé n’a peut-être pas prévu la bouderie du parti des avocats Agboyibo et Apevon. En d’autres occasions, ce parti a favorisé son jeu malsain de division et de roublardise politique. Il comptait ainsi sans doute une fois encore sur les calculs de Me Agboyibo pour mettre en minorité et en difficulté l’ANC mais mal lui en a pris. Sans en dire rien d’officiel jusque-là, le CAR ne participe pas aux réunions du CPDC rénové. Peut-être les responsables de ce parti sont-ils aussi en voyage comme on l’a dit pour d’autres pour justifier leur absence à la séance du vendredi 23 septembre. Ces responsables sont bien là, pourtant, de sorte que leur absence aux séances préparatoires du dialogue est l’expression d’un mécontentement et d’une contestation de la façon dont les choses se font.

Quand on ajoute les conditions officielles et renouvelées de l’ANC, on se rend très vite à l’évidence que le dialogue, l’arme magique de Faure Gnasingbé, est en difficulté. La vérité est que le RPT et son président ne sauraient conduire les travaux du CPDC sans le CAR et l’ANC. C’est vrai que l’UFC est partie au dialogue mais depuis que ce parti participe au gouvernement, il n’a plus vraiment maille à partir avec le pouvoir RPT. En conséquence, les partenaires pertinents et fondamentaux dont la présence au dialogue en donne sens et gage de réussite demeurent le CAR et l’ANC. Le pouvoir de Faure Gnassingbé ne l’ignore pas mais aveuglé par l’arrogance et l’infatuation, il fait semblent de ne point en souffrir.

C’est une hypocrisie politique malheureuse. Il faut s’indigner avec rage de ce que, malgré la paupérisation avancée du pays, malgré le dépit des populations lassées par le règne éternel du RPT, Faure Gnassingbé et les siens s’obstinent à ignorer et à contourner la réalité. Ils seraient animés de bonne volonté qu’ils auraient pris la décision eux-mêmes, au nom de la réconciliation et de l’apaisement, de satisfaire les préalables fondamentaux de l’ANC d’une part, et de prêter d’autre part oreille attentive aux exigences du CAR afin de donner ainsi une chance au dialogue. Le Ciel est témoin que cette volonté n’existe pas encore. Les Togolais sont excités de savoir quelle manœuvre politique le RPT va leur proposer cette fois-ci. Le CAR et l’ANC ne sont pas moins attendus. Tomberont-ils encore dans le piège des promesses et des déclarations d’intentions ou encore du « diviser pour régner » ?

Nima Zara

Le Correcteur N°287 du 26 septembre 2011