Le peuple togolais peut-il toujours compter sur ces leaders pour l’alternance ?

Marche pacifique contre les menaces de l’ANR

Le CAR de Me Agboyibo et la CDPA du Prof Gnininvi r

royalement indifférents

 

Le peuple togolais peut-il toujours compter sur ces leaders pour l’alternance ?

La liberté de presse est un indicateur fondamental de démocratie. L’ayant compris très tôt, les Américains l’ont sacralisée et elle occupe une place de choix dans la Constitution. Quand cette liberté est menacée, c’est la démocratie qui en pâtit, et tous ceux qui se posent comme les promoteurs de cet idéal et les porte-voix du peuple devraient normalement se dresser contre les détracteurs de la presse. Mais au Togo, certains partis et leurs leaders, qui pourtant se sont fait passer depuis l’aube des temps comme tels, ont préféré se la boucler complètement face au complot d’élimination physique de l’Agence nationale de renseignement (Anr) contre les journalistes qui refusent de dire du blanc à la face du noir pour l’un, et réagir à mi-voix pour l’autre. Il s’agit du duo Car-Cdpa et leurs leaders Me Yawovi Agboyibo et le Prof Léopold Gnininvi.

En effet samedi dernier à l’appel de l’association « SOS Journaliste en Danger », des milliers de Togolais sont descendus dans les rues pour crier haro sur l’Anr et son patron le Col Yotroféi Massina. Si cette manifestation était avant tout l’affaire des professionnels des médias, elle a tout de même bénéficié d’appuis multiformes. Les organisations de défense des droits de l’Homme étaient assez bien représentées par Me Jil-Bénoït de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat-Togo), Carlos Ketohou de la Coalition togolaise des défenseurs des droits de l’Homme (Ctddh) et de Journalistes pour les droits de l’Homme (Jdho), Raphaël Kpande-Adzare et Célestin Agbogan de la Ligue togolaise des droits de l’Homme (Ltdh). A défaut d’être tous physiquement au rendez-vous, d’autres défenseurs des droits de l’Homme y étaient en esprit, puisque la déclaration des Oddh lue au terme de la marche était aussi signée de l’Association togolaise pour la défense et la promotion des droits de l’Homme (Atdpdh) et du Collectif des associations contre l’impunité au Togo (Cacit) dont sont d’ailleurs membres une bonne partie de ces Oddh. Elles se disent « horrifiées par les pratiques qui ont cours au sein de l’Agence Nationale de Renseignement (ANR) et par les menaces persistantes dont feraient l’objet certains journalistes togolais de la presse privée ».

Cette initiative n’a pas laissé indifférente la classe politique de l’opposition. Agbeyome Kodjo de l’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (Obuts) est venu personnellement apporter son soutien aux manifestants, avec une brève apparition à leurs côtés. Me Isabelle Ameganvi était au sit-in pour l’Alliance nationale pour le changement (Anc) et le Font républicain pour l’alternance et le changement (Frac), ainsi que Claude Ameganvi pour le Parti des travailleurs. Les Togolais l’auront remarqué, pas de trace du Comité d’action pour le renouveau et de sa cousine la Convention démocratique des peuples africains.

Quelques heures ou jours bien avant la marche, ces Oddh et partis politiques de l’opposition qui étaient au rendez-vous, ont appelé leurs militants et toute la population à descendre dans les rues aux côtés des journalistes. « Le FRAC réitère son plein soutien et son entière solidarité avec les journalistes et demande à tous ses militants et sympathisants ainsi qu’aux populations de Lomé et de ses environs, de répondre massivement à l’appel pathétique des journalistes à prendre part, le samedi 06 août 2011 à partir de 08 heures, à la grande marche pacifique pour la préservation de la liberté de presse au Togo, que l’Association SOS Journalistes en danger organise à Lomé, avec l’appui des organisations de défense des droits de l’homme », appelle le Frac dans un communiqué daté du 3 août. Et ces appels se sont manifestés par la foule de marcheurs, et certains militants étaient identifiables par les accoutrements aux couleurs de leur parti. On a l’impression qu’au parti des « déshérités », tout a été savamment entrepris pour « feinter » la marche. L’un de ses jeunes responsables perdu dans un environnement de has been – suivez juste les regards – n’a fait que trimballer un des leaders de « SOS Journaliste en Danger » qui l’a appelé à plusieurs reprises pour discuter de la participation ou non du parti.

Bien avant ces appels tous azimuts, la plupart de ces Oddh et partis avaient fait des communiqués pour condamner les menaces de mort de l’Anr contre les journalistes, au lendemain de la conférence de presse de « SOS Journaliste en Danger » le 25 juillet dernier. Si au moins ici le parti de Me Yawovi Agboyibo a condamné ces menaces et demandé à Faure Gnassingbe d’ « ordonner une enquête pour faire la lumière sur cette affaire et prendre les sanctions contre les comploteurs », on ne se rappelle pas avoir vu ou entendu de la part du parti du Prof Léopold Gnininvi, un communiqué de condamnation du complot ou un appel à leurs militants et aux populations à rallier la marche. Le silence au parti des « intellos » s’explique, quand on sait que les indiscrétions disent son leader et le patron du « Guantanamo » togolais très amis.

Mieux vaut tard que jamais, et on espérait que ce duo de partis allait se rattraper par un communiqué de solidarité après la manifestation. On en est à cinq jours après la marche de samedi, mais toujours rien. Simple indifférence ?

Soit. Mais comment peut-on la comprendre, venant de la part de partis dont les leaders se réclament toujours des icônes de l’opposition ? « Cette attitude dépasse de l’indifférence et est une caution en règle aux agissements de l’Anr et de son patron. Dans quel pays au monde un parti qui se dit de l’opposition et qui en réclame d’ailleurs les premiers rôles peut-il se taire quand la liberté de presse est menacée ? Il y a des condamnations de principe ! On peut encore concevoir le silence de Gilchrist Olympio et de l’Ufc, parce que la bouche qui mange ne parle pas. Mais venant d’Agboyibo et de Gnininvi, cela surprend ; à moins qu’entre-temps…En tout cas le Professeur doit avoir une bonne de la boucler », réagit un observateur.

Le peuple togolais peut-il encore compter sur ces leaders « surannés » pour réaliser l’alternance ? Et à chacun de tirer les conclusions.

Tino Kossi

Liberté N°1028 du 11 août 2011