Insincérité et hypocrisie déconcertante du Chef de l’Etat devant la CVJR
« Et enfin » se sont écriés certains observateurs. La Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR) a rendu le rapport final de ses activités le mardi 03 avril dernier. Après plus de deux ans d’activités, l’évêque d’Atakpamé, Mgr Nicodème Barrigah et ses commissaires l’ont remis au chef de l’Etat au cours d’une cérémonie qui s’est déroulée à la Présidence de la République. Faure Gnassingbé a profité de l’occasion pour faire ce que l’on peut appeler sa déposition. Un discours apprêté dans lequel le fils d’Eyadèma a entretenu la roublardise et l’hypocrisie.
Un discours au relent de duplicité
A l’entendre, on le prendrait pour un homme épris de démocratie et de liberté mais les actes qu’il pose montrent ce qu’il est en réalité. Faure Gnassingbé en a encore donné la preuve le mardi dernier dans son discours sur le travail de la CVJR.
Parlant de justice, Faure Gnassingbé s’est une fois fait le porte-parole d’une justice pour tous. « La quête de justice est légitime. C’est un droit fondamental. C’est le second pilier de la lutte contre l’impunité. Quiconque dont les droits sont violés est fondé à saisir la justice et à faire valoir ses arguments pour obtenir gain de cause. Il appartient à la justice, au regard des éléments de preuve, des règles de procédures et du respect des droits de la défense de rendre une décision conforme au droit et à la loi. Je veillerai à ce que ces principes caractérisant le fonctionnement normal d’un Etat de droit soient respectés. Car il est crucial que les victimes aussi bien que les auteurs présumés de violence bénéficient tous d’un procès juste et équitable qui satisfasse les garanties et les normes internationales », dixit Faure Gnassingbé. A l’entendre, on croirait à un homme d’Etat d’une vieille démocratie. Or c’est un secret de Polichinelle que la justice est à ses ordres. On se rappelle ce qui a été fait dans la ténébreuse affaire d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Les présumés comploteurs dont son demi-frère Kpatcha Gnassingbé ont été isolés pendant deux longues années sans procès. Au finish, ce sont ces aveux extorqués sur tortures qui ont été versés comme pièces à conviction dans le dossier d’inculpation. Le juge Abalo Pétchélébia les avait brandies pour condamner à des peines lourdes de prison. Peu après le prononcé du verdict, les inculpés avaient introduit des recours en grâce auprès du premier magistrat du pays, Faure Gnassingbé. Ce ne fut que le Général Assani Tidjani, malade que le fils de la Nation a jugé bon d’élargir, les autres inculpés dont son frère croupissent toujours dans les prisons du pays. Pendant que Kpatcha et co-accusés luttent pour leur survie dans les geôles, Faure Gnassingbé donne des leçons de justice équitable.
Dans le rapport final, Mgr Barrigah et compagnie ont fait cas, des réformes constitutionnelles et institutionnelles à amorcer pour que les violations des droits de l’homme survenues dans le pays au cours de son histoire ne se répètent plus. Faure Gnassingbé aussi en est persuadé, dans son discours bien sûr. « J’ai la ferme conviction que le processus enclenché n’a de réelle chance d’atteindre l’objectif d’apaisement, de réconciliation et de paix que s’il s’accompagne de réformes institutionnelles et sécuritaires renforçant les garanties de non-répétition des violences, des atteintes aux droits de l’Homme du passé, à l’intégrité physique et à la dignité des personnes », a-t-il débité. Or, il est évident pour tous que le blocage actuel du dialogue gouvernement, RPT et les partis de l’opposition parlementaire n’est que le résultat du refus du parti de Faure Gnassingbé, le RPT, à discuter des sujets que sont le mode scrutin et la limitation du mandat présidentiel. Le leader nouveau n’a aucune envie que des discussions sérieuses soient faites sur un fauteuil qu’il tient beaucoup à sauvegarder en 2015. Sinon, comment comprendre les gesticulations des représentants du RPT au dialogue. Pourtant, ce sont les périodes d’élections présidentielles qui constituent des périodes de pics de violences et de violations des droits de l’Homme. Ces violences sont dues au refus d’alternance dont fait montre le clan Gnassingbé au pouvoir depuis plus de quarante ans. Si Faure Gnassingbé ne veut plus que les mêmes drames ne surviennent pourquoi son parti se refuse à aborder en premier ces sujets dans le dialogue. Le parti quarantenaire use comme d’habitude du dilatoire pour retarder les discussions sur les réformes à quelques mois des élections législatives et locales.
Faure Gnassingbé a en outre appelé les Togolais à laisser les « vieilles habitudes » pour une réconciliation véritable. « La Réconciliation est un objectif et une espérance. Elle est à portée de main. Mais elle exige de nous un effort individuel et collectif constant pour nous arracher à nos anciennes habitudes, à nos réflexes identitaires et ethniques et à nos mentalités régionalistes qui nous ont toujours divisés », a conseillé le locataire du Palais de la Marina. Il suffit de faire un tour dans les ministères et les sociétés d’Etat pour se rendre à l’évidence que le président du RPT n’a rien changé des pratiques à lui léguées par son père feu Gnassingbé Eyadèma. Beaucoup avaient cru qu’il serait différent mais rien de tout cela bien qu’il ait proclamé en 2005 à propos de son géniteur « lui c’est lui, moi c’est moi ». L’Armée est toujours tribalisée et instrumentalisée pour pérenniser le règne des Gnassingbé. Les nominations à la tête des sociétés d’Etat souffrent de soupçons de tribalisme et de régionalisme.
Le fils de la Nation a enfin saisi l’occasion pour demander pardon au peuple togolais pour tous les maux subis en ces termes : « A toutes les victimes et tous ceux qui ont souffert de ces violences aveugles qui leur ont causé tant de tort et de blessures, je voudrais leur dire Pardon au nom de l’Etat togolais, en mon nom personnel et au nom des chefs d’Etat qui ont eu à présider aux destinées de notre pays : Sylvanus Olympio, Kléber Dadjo, Nicolas Grunitzky, Eyadèma Gnassingbé, Abass Bonfoh ». A priori, la demande est la bienvenue. Les Togolais ont tant souffert de violations des droits de l’homme, de violences gratuites sur les populations exercés par les forces de l’ordre – qui quant à elles ont refusé de demander pardon et ont rejeté la responsabilité sur leurs fameux « éléments incontrôlés »-. Mais au regard des actes que pose l’actuel premier responsable du Togo, rien ne rassure quant à sa sincérité. Jamais Sylvanus Olympio, ni Eyadèma Gnassingbé malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, n’ont renvoyé en pleine mandature les députés de l’Assemblée Nationale. En plus, les auteurs des violations des droits de l’Homme courent les rues du pays en toute impunité et certains d’entre eux sont promus.
Au final, le discours du mardi dernier donne du grain à moudre à ceux qui doutent de la franchise de son auteur. Pendant qu’il fait feu de tous bois pour conserver le fauteuil, capté en 2005 au prix de plus de 500 morts selon le rapport de l’Organisation des Nations Unies (ONU), Faure Gnassingbé décrète la réconciliation pour tous les Togolais. Le sort qu’il réserve aux recommandations de la CVJR, nul doute, ne sera pas différent des autres rapports étant donné que le fauteuil est devenu un héritage de son père qu’il ne veut sous aucun prétexte abandonné.
Sam Gagnon
Le Correcteur N°334 du 06 avril 2012