La perfidie et l’hypocrisie politique qui caractérisent le pouvoir des Gnassingbé refont surface avec le dialogue RPT, ANC, CAR et gouvernement. Près d’un mois après l’ouverture des discussions, rien de concret n’a été fait. Le paradoxe est que Faure Gnassingbé et Gilbert Houngbo qui se sont employés pour faire venir au dialogue l’opposition parlementaire s’éclipsent aussitôt pour entretenir le dilatoire. Comment quelqu’un comme Houngbo, produit du système des Nations Unies peut-il se confondre aussi vite avec les zélateurs et stipendiés du pouvoir? Pourquoi Faure et Houngbo peuvent-ils envoyer à ce dialogue des gens comme Pascal Bodjona et Esso Solitoki connus pour leur activisme destructeur au sein du régime ?
A preuve, rien n’avance dans le cadre de ce dialogue. Ceux qui estiment que le pouvoir cherche souvent à engager des discussions avec l’opposition juste pour tromper la vigilance de la Communauté Internationale n’ont que trop raison.
Le dialogue entre le pouvoir et l’opposition parlementaire semble tourner court si l’on s’en tient aux nouvelles qui parviennent de la salle de réunion du siège de Togo Télécom qui abrite les discussions. Le pouvoir semble opter pour la fuite en avant en esquissant certains sujets. L’heure semble venue pour que le RPT prouve sa bonne foi en discutant avec l’opposition sur les thématiques nécessaires à l’établissement d’un véritable Etat de droit. A moins que ce dialogue avec le CAR et l’ANC ne soit une énième partie de prestidigitations politiques conçues pour embrouiller l’opposition et les bailleurs de fonds dont le RPT a le secret.
Ce qui a été fait le jeudi 8 mars
Entamé le 20 février dernier suite à l’arrivée à Lomé d’une mission d’experts électoraux de l’Union européenne, le dialogue pouvoir- opposition parlementaire s’est poursuivi le jeudi 8 mars dernier. Les discussions ont porté sur deux grands points à savoir l’adoption des propositions à débattre et de l’ordre dans lequel les sujets doivent être débattus. Au total, 29 propositions ont été retenues après discussions et amendements par les parties. Ce sont : la limitation du mandat ; le mode de scrutin ; la Constitution d’un nouveau fichier électoral par un nouveau recensement électoral ; le découpage électoral ; les conditions d’éligibilité tant pour la présidentielle que pour les législatives ; la réforme de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et ses démembrements et la réforme du code électoral ; la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) ; la Cour Constitutionnelle ; les prérogatives du Premier ministre (réforme constitutionnelle) ; le financement des partis politiques ; l’achat des consciences ; l’authentification du bulletin unique de vote ; le Sénat (réforme constitutionnelle) ; les votes spéciaux ; le personnel électoral des Bureaux de Vote et des CLC ; le rôle de l’Administration dans les élections ; l’observation des élections ; le Comité de pilotage ; les Droits de l’Homme et sécurité des élections et des populations ; la sécurité et la paix publique ; le caractère républicain de l’Armée et des forces de sécurité ; la modernisation de la Justice ; l’harmonisation des lois organiques et autres textes avec la Constitution ; le régime politique ; les organes parlementaires de régulation de la gouvernance du pays ; les organes extraparlementaires de régulation de la gouvernance du pays ; la transhumance politique ; le financement public des campagnes électorales et en dernier ressort la charte des partis politiques. A voir de près la liste des points à aborder, on peut asserter sans ambages que c’est un scanner précis des différents aspects de la vie socio-politique du Togo qui a été réalisé et si tous ces points ont fait l’objet de discussions franches au cours de ce dialogue et que les réformes adéquates sont réalisées, le pays prendrait un nouveau départ.
Après s’être mis d’accord sur les points à aborder, les participants ont tergiversé à n’en point finir,sur l’ordre dans lequel les sujets doivent être débattus. Pour l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC) et le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR), les discussions doivent s’ouvrir sur les grands points que sont la limitation du mandat présidentiel et le mode de scrutin. « Pas question » rétorque la délégation du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT), le parti au pouvoir. Prétextant l’imminence des élections législatives et locales, le RPT souhaite que les premiers sujets à aborder sont le fichier électoral, la CENI et sa composition et le découpage électoral. Le parti au pouvoir a dénoncé la « démagogie » des partis de l’opposition parlementaire. « Comment peut-on inscrire au point 1 la limitation de mandat à quelques mois des élections législatives » a fulminé le député RPT, Klassou Sélom avant d’ajouter « le fichier électoral qu’il soit consensuel, quand bien même le Togo a innové avec la biométrie, il faut discuter pour permettre à ceux qui n’ont pas leur nom sur la liste de pouvoir le faire, il faut voir ce qui doit être fait par rapport au découpage électoral ». A l’ANC, on note que cette discussion de sourds est « révélatrice que le RPT ne veut pas accepter des discussions sur la limitation des mandats » selon le président national du parti, Jean-Pierre Fabre. Me Dodji Apévon du CAR a été plus explicite dans sa justification de la position de l’opposition. « La question de limitation de mandat est une question qui nous traumatise depuis des années et si on veut aller à la décrispation pour l’avenir, il faut commencer par ces points notamment, la limitation du mandat présidentiel et le mode de scrutin. Lorsqu’on aura discuté de ces points l’avenir va s’éclaircir », a déclaré le président National du CAR. Les discussions du jeudi 08 mars sont un signal pour juger de la bonne foi du régime en place.
Le régime RPT à l’épreuve de sa bonne foi
De tous les dialogues entre le pouvoir et l’opposition, tout a été fait pour renvoyer aux calendes grecques des points essentiels que sont la limitation du mandat présidentiel et le mode scrutin. De l’Accord Cadre de Lomé à l’Accord Politique Global du 20 août 2006, le pouvoir a toujours pris soin d’esquiver ces deux points essentiels. Dans l’Accord Politique Global signé par les principaux acteurs de la scène politique togolaise, il avait été signifié que ces deux points devraient être abordés dans le Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation (CPDC). D’août 2006 à la veille de l’élection présidentielle du 04 mars 2010, ces points n’ont jamais été abordés dans les discussions au CPDC d’alors. C’étaient la composition de la CENI, le fichier électoral qui avaient fait l’objet de discussions pendant quatre ans. Tout a été fait pour faire oublier au peuple et à l’opposition la question de la limitation du mandat présidentiel, ceci pour permettre au Prince de briguer continuellement le fauteuil présidentiel. Ce n’est qu’en 2012, après la réélection de Faure Gnassingbé que ces sujets ont été débattus au CPDC rénové. Puisque ce nouveau cadre a été créé pour des desseins inavoués, ces membres cooptés ont fait montre d’une partialité indécente. Ils avaient proposé la limitation à deux mandats avec non-rétroactivité, ceci pour permettre à Faure Gnassingbé de se présenter en 2015.
Si au RPT, l’on veut faire preuve pour une première fois de sincérité, pourquoi ne pas aborder en premier ces sujets ? Qu’est-ce que le parti quarantenaire a à craindre si l’on planchait en premier lieu sur la limitation du mandat présidentiel et le mode de scrutin ? Les discussions sur ces deux points ne prendraient pratiquement pas du temps parce qu’en la matière, le Togo n’inventera rien. Les constitutionnalistes des différents partis politiques n’auront qu’à voir ce qui se fait ailleurs et faire des propositions à leur Etat-Major. Les discussions ne prendraient pas non plus du temps si l’on observe ce qui se fait dans les grandes démocraties. Les questions électorales qui préoccupent tant le RPT prennent assez de temps pour être résolues. Pour arriver à un consensus sur le fichier électoral, le découpage électoral par exemple, il faudra au minimum un mois. Alors pourquoi, si l’on veut jouer franc jeu, ne pas aborder les questions sur la limitation de mandat et le mode scrutin en premier et passer aux dossiers qui nécessiteraient beaucoup plus de temps.
Par ailleurs, comme l’a précisé le président National du CAR, Me Dodji Apévon, la limitation de mandat constitue le sujet de crispation de la vie politique togolaise. Dans tout pays qui se veut démocratique, l’alternance à la tête des institutions étatiques est un indicateur de l’Etat de droit et de démocratie. Or, au Togo, tout est figé depuis 1967. Feu Eyadèma Gnassingbé a passé 38 ans dans le palais présidentiel. On se souvient de parole de militaire qu’il a donné devant Jacques Chirac en 1998 : « En 2003 je partirai, j’irai me reposer à Pya mon village » avait-il déclaré. La suite est connue de tous. Il est revenu sur sa parole. Ce n’est qu’une mort naturelle qui a eu raison de son « sacerdoce pour le Togo » (sic). Son fils Faure Gnassingbé qui lui a succédé semble suivre ses pas. Tous les signaux montrent clairement que le leader nouveau n’a aucune envie de partir après deux mandats consécutifs.
Les déclarations du député Klassou Sélom sont révélateurs du double jeu du pouvoir. Quand le député du Haho s’offusque de la position de l’opposition « à quelques mois des élections législatives », il est évident que le pouvoir a un agenda secret. Puisque l’Union Européenne, le grand bailleur du Togo en matière d’élection conditionne son aide aux prochaines législatives et locales par l’ouverture d’un dialogue franc avec toute l’opposition, le pouvoir voudrait donc conduire aux pas de militaires les discussions avec l’opposition afin de bénéficier à temps de l’aide européenne. Il leur suffirait de montrer des procès-verbaux des différentes réunions avec l’opposition pour arguer à Bruxelles que les choses vont bien et bénéficier de la manne et quand ils auront obtenu ce qu’ils veulent, les discussions tourneraient court et les points essentiels à aborder passeront par pertes et profits. C’est le lieu pour l’opposition de rester vigilant parce qu’au RPT, on ne fait rien pour rien. Le régime semble acculé et il faut que l’opposition reste ferme dans ses positions autrement elle verrait son combat prendre de l’eau. Si l’opposition laisse faire, elle peut d’ores et déjà s’attendre à une bérézina en 2015. L’ogre RPT a encore les ressources pour maintenir le statut quo socio-politique.
A preuve, à la dernière réunion, l’opposition parlementaire avait signalé qu’elle ne reviendra au dialogue que lorsque le pouvoir aura évolué un peu sur sa position. Curieusement, il n’y a pas eu réunion hier jeudi. Cela suppose clairement que le RPT n’entend pas évoluer sur sa position. Une nouvelle preuve du dilatoire et de la mauvaise foi du pouvoir RPT.
Sam Gagnon
Le correcteur N° 329