Le glas de l’imposture a sonné :

Faure quitte le pouvoir sur les rotules

 

« Les idées libératrices, une fois nées, ne s’anéantissent plus ; elles peuvent être accablées sous les chaînes, même prisonnières, elles usent les liens de leur captivité ». François-René de CHATEAUBRIAND dans L’histoire de France revient longuement sur ce que les peuples détestent le plus dans le comportement des gouvernants, c’est-à-dire, la déraison, la sottise, la répression sauvage, le faux, le mensonge, le mépris, la condescendance. Une fois que les hommes du pouvoir se sentent haut perchés, ils ont tendance à tenir leurs propres concitoyens pour des obligés et les écrasent de toute leur puissance avec les appareils de l’Etat dans leurs réclamations légitimes.

Pour restaurer le droit, le combat n’est pas sans embûches dans la mesure où toute lutte constitue une menace pour l’ordre établi. C’est malheureusement ceux qui ont la force publique qui croient qu’ils peuvent en user à volonté et à tout moment pour réduire les consciences libres. Mais, plus ils compriment les droits des peuples, plus les réclamations s’imposent dans la conscience collective en tant que nécessités absolues.

Aujourd’hui, au Togo, les gouvernants ont l’air innocent dans l’explosion violente des revendications sociales, estudiantines, scolaires, professionnelles. Ils n’ont jamais cherché à les satisfaire humainement et méthodiquement. Le peuple acculé par des besoins vitaux et de plus en plus pressants n’a de recours, face au jeu de diversion intarissable du pouvoir, qu’à l’affrontement. C’est  l’aboutissement de toutes les exclusions parce qu’elles entretiennent des frustrations graves dont le répondant cathartique est l’épreuve de force. A mesure que la pesanteur de la répression et les crimes d’Etat font des  victimes dans l’arrogance, le meilleur moyen pour le peuple est la fermeté. La répression aveugle produit  une exacerbation dans la réaction et fournit les armes  à l’intransigeance avec l’onction populaire qui, vite, se mue en insurrection. Comme l’exprime Jean-Paul SARTRE, « Les têtes que vous avez si longtemps courbées, lorsqu’elles se relèvent, ce n’est pas pour lire dans vos yeux une admiration ». A la folie de la répression sauvage, il y a un répondant, celui de la résistance infaillible et populaire qu’aucun dirigeant ne peut vaincre. Le gouvernement togolais fait naïvement œuvre inutile en voulant tenir les mouvements scolaires et estudiantins par la violence. Tout pouvoir s’effrite dès lors qu’il est chargé d’injures de toutes parts et déconsidéré entièrement, même aux yeux des tout petits.

Tous les enfants du Togo se rendent compte que notre pays est bien malade de ses dirigeants, malade d’une politique qui l’a déclassé, malade d’une gouvernance qui produit insolemment de nouveaux riches, malade de la répartition de la richesse nationale, malade de la misère, malade d’un régime qui ne se préoccupe de rien. Il s’affirme à toutes les occasions à coups de promesses, qu’il s’agisse de la vie chère, du respect des Droits  humains, de la justice, de l’éducation, du pôle sécuritaire, des réformes constitutionnelles et institutionnelles, de  la lutte  contre la corruption et le projet de réconciliation qu’il a initié n’est qu’une digression malheureuse sur le fond de la chute de la République. Les grands événements qui ont déterminé l’initiative sont soigneusement couverts d’un brouillard coupable qui a mis des verres en béton au prélat dont on s’est servi pour un véritable gâchis. Tout le tintamarre d’un nouveau départ du Togo a sombré dans un pitoyable jeu de la diversion et de la prédation éthique.

Quand les conditions de vie d’un peuple se dégradent dans une poussée insolente des parvenus, peut-il capituler  dans la recherche  de sa liberté, dans la quête de son existence ?

1) Distances et artifices du pouvoir

La réalité la plus invraisemblable du pouvoir de Faure, c’est  son caractère superficiel en ce qu’il est totalement superposé au peuple. Il n’est pas intégré à lui. Cette situation pose  un problème de reconnaissance parce que dans le viol et la violence, le Prince  s’est  emparé du pouvoir. Il n’a jamais  le moindre souci d’un bilan et ne semble se convaincre d’une rigueur de sa gestion pour mériter la confiance des populations. Dans ce mode de conquête du fauteuil, il peut se résoudre à se passer  de l’avis d’un peuple qui n’a rien à dire. Il faut  simplement le réduire à la soumission par la terreur, le priver de nourriture pour mieux le dominer  parce que dans la nécessité, la pauvreté et l’indigence, il pourra se contenter du peu à lui offrir. Sur cette base, les investissements les plus  déterminants et les plus précieux sont dans le maintien stalinien d’ordre. Les recrutements les plus assidus et les décaissements les plus rentables du trésor public doivent  servir à fournir les moyens les plus colossaux à un réseau tissé en toile d’araignée pour contenir les protestations, les réclamations d’où qu’elles viennent.

La guerre doit être  totale contre les activistes et les anarchistes. Même les organismes de défense  des Droits de l’Homme et les  avocats qui les soutiennent  méritent d’être  proprement enfumés au gaz lacrymogène  à la moindre velléité de dénoncer en marche pacifique les prouesses maladives d’une dérive tyrannique.

Or, ce qui tue le progrès économique et social dans une gouvernance, c’est  la hantise de protéger de l’ordre public pour garantir  la survie d’un potentat. Partout où le pouvoir se focalise sur l’indispensable survie du régime dans la durée, il n’a jamais été capable de se donner le temps d’une réflexion sérieuse pour relever les défis sociaux, humains et politiques. Il n’y a pas à s’étonner de l’aveu manifeste d’un échec contenu dans une ritournelle de Faure GNASSINGBE dans ses discours aussi rares que les beaux jours lorsqu’il utilise sa formule fétiche : « j’ai conscience ». Mais que vaut une conscience répétitive sans le moindre acte ? Un pays ne se construit jamais dans les songes et les rêveries. Le trésor d’une grande conscience sans le moindre effort imaginatif pour trouver un mécanisme de soulagement ou de résolution des questions vitales est une abdication. Ainsi, Faure apparaît comme le maître de la conscience creuse et des vœux pieux parce qu’il est abonné à l’inaction et à la répression.

Toute la politique du gouvernement a pour socle les simulacres, les promesses, les subterfuges, la diversion, et la roublardise. Des masques pour diriger un peuple n’ont guère le temps de vieillir avant de tomber parce que les populations savent ce dont elles sont privées. C’est le manque qui les frustre et leur distille le venin des ruminations, de la révolte et de l’insurrection. L’explosion sociale est prévisible au Togo dans la mesure où la gouvernance a délaissé tous les chapitres sociaux pour s’agripper à une confiscation de la richesse nationale. Dans notre pays, il n’y a pas une seule conscience libre qui ne soit derrière l’effervescence nationale allumée par le secteur le plus sensible dans la vie publique : l’éducation.

Aucun régime sérieux ne peut prétendre bâtir une société sans poser les bases saines qui lui garantissent l’existence et l’avenir. Tout pouvoir qui est habile est porté vers la justice sociale. Cette seule vertu suffit à lui ouvrir les portes de la gloire. Le cœur des Togolais est à la révolte parce qu’ils sont abandonnés et le régime ne leur est redevable en rien. La matraque, le fusil et le gaz lacrymogène, voilà la trilogie par laquelle le régime tient à distance un peuple martyrisé, humilié et déclassé. Cette mentalité simpliste de gestion des hommes est ce que paient lourdement Faure et son régime  en lambeaux sous le feu de la contestation. Du Nord au Sud, cette bande de terre que nous avons héritée de nos aïeux fonctionne dans une sympathie contagieuse contre Faure parce qu’il n’a pas su se convertir à la jeunesse. Tous les enfants sont dans le combat de la dignité du droit à l’éducation parce qu’ils veulent exister, délecter les saveurs de la connaissance pour aboutir à l’avenir. La force du combat existentiel qu’ils mènent, a sa source dans les mots d’Albert CAMUS : « je me révolte donc je suis ».

2) Pouvoir et oraison funèbre

Quand l’ignorance nous fait rêver et que le crime nous donne un semblant de puissance, l’illusion nous met sur les nuages de la victoire. Mais les chimères s’effritent vite  d’elles-mêmes pour disparaitre définitivement. Faure a fabriqué contre son pouvoir le mauvais temps, le monstre de l’histoire auquel aucun tyran ne résiste jamais  : l’insurrection populaire. Du crépuscule au jour, il y a un temps. Dès qu’il survient, la foi en l’avenir est un boulevard qu’emprunte tout le peuple face à l’adversité, à la répression sauvage, aux crimes. Le cœur du peuple togolais est à la vie, dans un instinct de conversation indéracinable par les chars. Il dit non à l’abime et à tous les avortons politiques qui n’ont de cesse de l’humilier, de le mépriser, de l’étouffer par la faim, la misère et de faire fortune sur les cadavres de ses enfants.

La voix du salut public résonne à travers tout le pays contre les rêveries solitaires de Faure dont le fondement idéologique et barbare : « le chien aboie la caravane passe» s’écroule comme un château de cartes. Il doit savoir une fois pour toutes que l’autoritarisme n’a jamais construit l’autorité et l’esprit de vérité ne peut s’avilir dans la répression. Ce n’est pas en maltraitant les hommes qu’on peut asseoir sur eux une quelconque domination.

Depuis sept années, les Togolais font dramatiquement le constat d’une vacance de pouvoir. Les cris, les tambours, les balafons d’un peuple désemparé n’ont aucun écho dans la tanière d’un chef  à la bouche cousue comme s’il se trouvait vraiment par hasard à la tête de ce pays. Un chef est un maître. Dans l’ordre impossible des solutions, il trouve toujours ce qui est acceptable et humainement défendable. Il se donne le temps de réflexion et demeure imaginatif pour réinventer l’espoir. Ainsi il crée autour de lui un levier de solidarité qui le protège et met en confiance tout un peuple dans une aventure commune de reconnaissance mutuelle. L’accumulation des problèmes les plus vitaux sans aucune solution dans une République est une faillite de l’Etat. C’est pourquoi le peuple togolais invite Faure GNASSINGBE  à tirer toutes les conséquences de sa catastrophique gouvernance. Il est résolu à faire un dégagement pour se donner un peu d’air, s’offrir un nouvel horizon parce que, comme l’écrit Paul BOUGET dans Le disciple : « Les souffrances extrêmes ont les intuitions infaillibles de l’instinct ». Faure doit partir. C’est une idée désormais acquise dans la conscience nationale. C’est la seule alternative crédible pour donner une nouvelle chance à la République de s’ouvrir à l’aurore. Le cœur et la tête de Faure sont dûment constatés être à d’autres occupations et ne s’embarrassent outre mesure à se mêler aux problèmes quotidiens et à l’avenir de notre pays le Togo.

Le nouvel ordre politique est inexorable pour répondre aux attentes de tout un peuple désormais maître de son destin. Voilà tout l’enjeu de la contagion nationale d’une insurrection contre Faure GNASSINGBE et son gouvernorat. Les pluies de grenades, les crépitements du bazooka, même les bombes à sous-munitions n’ont jamais sauvé un régime en déliquescence. Dans notre pays, il y a une mobilité synchronisée de l’opinion publique qui porte un coup de massue imparable à Faure pour l’envoyer dans le précipice de plus en plus profond qu’il creuse à l’éducation, à l’emploi, à la justice sociale dans une résidence de l’impunité et de la corruption outrancière.

Dans les cris de rage hostiles au «Club de petit», manifestement, les jeunes étudiants, lycéens et collégiens accusent le chef de l’Etat en particulier de ses prodigalités, de ses penchants dyonisiens, de ses évasions coupables. Quand les enfants de votre propre maison sortent dans la rue pour vous conspuer et déverser publiquement ce qu’ils trouvent d’obscènes et d’obscurs en vous, vous pouvez être sûr qu’ils vous imposent l’exil ou qu’ils vous ont enterré vivant. La valeur sémantique de hurlements publics contre Faure est si dévastatrice qu’aucun rafistolage ne saura un jour faire réapparaître la même personne devant la même population. Victor HUGO nous en donne la confirmation dans Les Contemplations lorsqu’il nous enseigne qu’il y a des mots qui tuent: «Mets un mot sur un homme et l’homme frissonnant, sèche et meurt, pénétré par la force profonde». Dans la tradition africaine, nous avons des mots tabous que plusieurs peuples du Sud-Togo appellent « Ahéményan». Une fois qu’on vous les prononce, vous êtes détruit. Le mouvement scolaire et estudiantin a mis, de fait, fin au résidu d’autorité qu’on pouvait encore soupçonner auréoler la couronne du Prince.

Plus rien ne sera comme avant au Togo. Le peuple togolais organise par le truchement de la jeunesse la réconciliation vraie avec des objectifs nouveaux, indomptable pour une reconstruction nationale dans la justice, les droits humains, la morale, l’éthique, l’équité et toutes les valeurs pour un nouveau type de Togolais. Le pouvoir de Faure est ainsi achevé dans la rue de la manière la plus évidente et la plus naturelle.

Le politique a besoin du talent ou du génie. Ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre n’ont que la force brute à proposer dans toutes les revendications et les demandes sociales. Or, la force brute est la ciguë des tyrans. C’est pourquoi Philippe de CHENNIÈRES écrit dans Les Contes normands : « La politique, si elle n’est le rêve des génies, est d’ordinaire la causette des imbéciles».

 

Didier Amah DOSSAVI