Le Front-Sage ou la marche des naufragés politiques

Le Front-Sage ou la marche des naufragés politiques

 

Le samedi 16 avril 2011, la ville de Lomé a connu deux manifestations de rue. Celle hebdomadaire du FRAC ( Front Républicain pour l’Alternance et le Changement) et celle du Front Sage, un conglomérat d’organisations de défense des droits de l’Homme appuyé pour la circonstance par le CAR de Me Apevon Dodji, l’OBUTS d’Agbéyomé Kodjo, le MCD de Mohammed Tchassona Traoré, le MRC d’Abass Kaboua, l’UFA de Gaston Vidada, les Forces Nouvelles de Thomas N’Soukpoè et la CSTT de Béléki Akouété.

Quelques jours avant cette « grande manifestation » du Front-Sage, une polémique s’est déclenchée entre l’organisation de Me Jean Yaovi Degli et l’ANC de Jean-Pierre Fabre. Tout est parti d’une histoire imaginaire de  guet-apens qu’auraient tendu les responsables de l’ANC à Me Dégli qui devrait se rendre au siège dudit parti pour des échanges. Jean-Pierre Fabre et les siens qui ont été traités de voyous ont exigé de la part de Me Dégli un démenti. Ce que l’avocat a tenté de faire, mais en rajoutant à la confusion. La polémique se serait estompée si dans un mémorandum du Front Sage adressé à l’ANC, Me Dégli ne réclamait pas des comptes sur la lutte et même lançait un ultimatum en ces termes : « Nous espérons que d’ici le 12 avril 2011, date importante de l’histoire du processus de démocratisation au Togo, nous pourrons avoir de vous une idée claire sur la façon dont la classe politique togolaise entend agir pour que notre opposition devienne véritablement porteuse des revendications du peuple et surtout les fasse aboutir ».

Pour les responsables de l’ANC qui subissent depuis des dizaines d’années les coups de boutoir et les brimades du pouvoir RPT alors que certains se sont mis à l’abri à l’extérieur, cette injonction au ton arrogant s’apparente à de la provocation. Alors dans le camp de Jean Pierre-Fabre, on ne s’est pas privé de rappeler le rôle ambigu du Front-Sage dans la relecture de la Loi dite Bodjona dont la version transmise au ministre par le comité technique piloté par Me Dégli contient toujours des dispositions liberticides. Et comme au Togo, on ne peut pas être pour et contre à la fois, le lien entre l’organisation de Me Dégli et le RPT est vite établi, surtout qu’au sein  même du Front-Sage, certaines organisations ont commencé par émettre des doutes sur les vrais desseins de l’organisation.

La polémique s’est ensuite enflée par des attaques inutiles au cours des émissions interactives. Sur une radio de la place, Me Jean Yaovi Dégli, défenseur des droits de l’homme ne s’est pas empêché de verser dans du sectarisme en stigmatisant nommément certaines familles qui seraient issues de la bourgeoisie côtière. Des propos extrêmement graves qui, sous d’autres cieux comme en Angola et au Libéria, ont été à l’origine des guerres les plus atroces avec leur cortège de massacres. Pourquoi Me Dégli généralement connu comme un homme lucide a-t-il perdu les repères pour tomber dans des considérations d’identités ? On ne saurait vraiment le dire. Mais toujours est-il que la guerre entre le FRAC et le Front-Sage était désormais ouverte et chaque camp affûtait ses armes pour la démonstration du samedi.

Le Front-Sage : la grande désillusion

Des partis politiques en rupture de banc avec le FRAC ou en difficultés sur le terrain se sont empressés d’inviter à coup de communiqués, leurs militants à participer massivement à la marche du Front-Sage. Cette attitude des responsables de ces partis politiques relevait beaucoup plus de calculs politiciens que du réalisme politique. Si la manifestation de celui qu’on qualifie de « Zorro de la politique togolaise » avait connu un succès, ils auraient pu s’en prévaloir et constituer une alternative au FRAC qui pour le moment, pose des préalables à toute discussion avec le pouvoir RPT.

Au sein même du pouvoir où la méthode de vampirisation des partis politique de l’opposition semble en difficulté avec l’intransigeance du Frac,  on ne s’est pas privé de donner un coup de pouce au Front-Sage pour in fine en faire une opposition artificielle. C’est le très toxique « republicoftogo.com », le site de propagande du pouvoir RPT qui s’est chargé de faire la publicité au Front-Sage avec des titres du genre : « Me Dégli ratisse large ».  La veille de la marche, la voiture sonorisée du FRAC invitant les populations à se rendre à la marche a été arrêtée par les forces de l’ordre pendant que celle du Front-Sage circulait librement. Le samedi soir au JT de 20h sur la TVT, seule la marche du Front-Sage a été rapportée. Cette bienveillance du pouvoir RPT à l’égard de l’organisation de Me Dégli suffit à conclure à une intelligence avec le RPT.

De toutes les façons, les Togolais après 20 ans de lutte, de trahison, de désillusion, sont suffisamment muris et savent faire la part des choses. Nous présumons que Me Dégli est rentré au pays  avec des idées nobles pour le combat, mais les propos contradictoires qu’il tient, les faux pas qu’il esquisse conduisent tout Togolais lucide à la méfiance.

Pour revenir à la marche du Front-Sage, avouons que c’était une grande désillusion. A peine 300 personnes ont répondu à l’appel des organisateurs. Une moisson bien maigre pour Me Dégli et ses amis. Il ne pouvait en être autrement, puisque certaines associations membres de ce front n’ont de militants que le bureau ou leur président. Désillusion surtout  pour le CAR, l’OBUTS, le MCD qui, par calculs politiciens, ont voulu se faire une place au soleil afin de constituer une alternative au FRAC. Si avec l’apport de tous ces partis politiques les Sages du Front n’ont drainé qu’environ 300 personnes, les responsables de ces partis doivent tirer les leçons de leur déconvenue.

Au demeurant, le Front-Sage contrairement à ce que déclament certaines personnes, ne saurait au Togo constituer un mouvement citoyen crédible pour un certain nombre de raisons. D’abord un mouvement citoyen est piloté par des gens de conviction et d’une certaine probité morale qui les mettent à l’abri de la corruption. Lorsqu’on sait qu’au sein de ce conglomérat, il existe des responsables d’associations des droits de l’Homme qui, dans le cadre de leurs activités, exigent parfois de l’argent auprès des victimes du pouvoir comme ce fut le cas récemment, alors il y a lieu de se poser des questions sur la probité de certains personnes de ce front. Ensuite les intentions du front doivent être clairement définies. On ne peut pas vouloir faire du mouvement citoyen en portant des masques de politiciens. On ne fait pas du mouvement citoyen en battant le rappel des partis politiques pour les manifestations.

Enfin le Front-Sage porte en lui-même les germes de sa propre destruction. Des dissensions internes ne tarderont pas à surgir dans les prochains jours.

Les mouvements citoyens sont porteurs de révolutions mais on ne fait pas une révolution en étant en intelligence avec le pouvoir.  Il ne faut jamais perdre de vue que dans toute lutte politique, seul le peuple ou une partie du peuple incarne la résistance contre l’oppresseur. Il revient au Front-Sage et alliés de tirer les leçons de cette déconvenue pour réorienter autrement leurs actions si tant est qu’ils veulent lutter pour le bonheur des Togolais.

Mensah K.
L’Alternative N°75 du 19 avril 2011