Le droit à la santé dans les prisons civiles au Togo
26 avril 2013, par M. koudjovi GADJE & Yawa Vivi DANHOUI
Vous trouverez ici un article sur le droit à la santé dans les prisons du Togo suivi d’un témoignage d’une volontaire au CACIT, chargée de la formation, qui se rend deux fois par semaine à la prison civile de Lomé.
La déclaration universelle des droits de l’Homme n’a pas épargné le droit à la santé des êtres humains quels qu’ils soient et quelque soit le lieu où ils se trouvent. C’est dire que tout être humain, qu’il soit en liberté ou en détention, jouit de ce droit. Cette déclaration englobe tout les Etats membres de l’ONU dont le Togo.
Pourtant, il n’est plus à prouver que l’accès aux soins pour les détenus du Togo s’avère être un véritable parcours semé d’embuches, où la destination finale, qui s’avère être une prise en charge médicale adéquate, semble inatteignable. Des prisonniers sont entassés dans les cellules où règnent une chaleur insupportable, les malades ne sont pas soignés ni même évacués. Pour les cas les plus graves, c’est-à-dire pour les maladies contagieuses et mortelles, les détenus souffrants sont parfois regroupés dans une salle, que l’on pourrait appeler « mouroir ».
Alors que les observations finales du Comité Contre la Torture (CAT) émises en novembre 2012 mentionnent que le Gouvernement doit prendre des mesures pour « augmenter les fonds alloués pour le financement des services de base, parmi lesquels l’accès […] à l’hygiène et aux produits de première nécessité et […] assurer une prise en charge médicale et psychosociale des détenus et prévenir ainsi le nombre de décès en détention », force est de constater que les conditions sanitaires dans lesquelles vivent les détenus sont encore loin d’être suffisantes.
Lorsque le CACIT se rendait à la prison civile de Lomé ce jeudi 25 avril 2013 pour y effectuer une séance de formation, les agents ont constaté qu’un homme était allongé, quasiment mort et recouvert d’un pagne dans la cour de la prison. Souffrant de tuberculose avancée, les mouches volaient autour de ce corps presque sans vie. Mais que font donc les autorités pénitentiaires ?
Bien que notre gouverneur, M. Faure Gnassingbé parlait d’ « avancées tangibles […] enregistrées, en particulier en matière d’amélioration et d’humanisation des conditions de détention » dans son discours lors du lancement des consultations nationales organisées par la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR), on ne peut qu’être soupçonneux. Est-ce humain de laisser les détenus à leur propre sort lorsqu’ils sont mortellement malades ? Est-ce humain d’entasser des hommes au point qu’ils n’aient pas la place de tous s’allonger dans une cellule vide de matériel, si ce n’est un seau pour faire les besoins ? Est-ce humain d’accepter que ces hommes, femmes et enfants ne mangent qu’une fois par jour ? Est-ce humain d’enfermer une personne dans un établissement semblable à l’enfer alors qu’il n’a eu le droit à aucun procès ?
Il serait grand temps que le Gouvernement Togolais prenne ses responsabilités et agisse afin que soient respectées les normes internationales en matière des droits de l’Homme auxquels le Togo a adhéré. Les mots et les promesses doivent se traduire par des actions concrètes visant à garantir les droits fondamentaux de chaque citoyen.
La bonne gouvernance et la démocratie passent forcément par le respect des droits de l’Homme.
M. Koudjovi GADJE, socio politologue, Volontaire au CACIT
Témoignage : Les détenus de la prison civile et les droits de l’Homme
La privation du droit à la liberté d’aller et de venir inclut-elle la privation des autres droits ?
J’ai assisté à quelque chose hier à la prison civile de Lomé qui m’a marqué, m’a rendu triste et surtout m’a révolté : J’étais à la séance de formation avec quelques détenus quand nous vîmes porté sur un brancard, – je pourrais même dire de fortune – un homme (enfin un détenu) que je croyais au début mort tellement il était immobile et inerte. Je demandais aux détenus avec qui je travaillais ce qu’il avait et ils me firent savoir qu’il souffre de la tuberculose. Notons qu’il avait des plaies un peu partout au corps et qu’il avait de la peine à respirer – ce qui va de soi -. Ses collègues l’ont amené à la cour pour le laver.
A la sortie de l’atelier, je vis le même homme toujours sur le brancard mais couvert de la tête au pied avec des mouches pour « compagnes » parce que sa bouche était comme « pourrie » (c’est le terme qu’a employé un autre détenu qui a d’ailleurs ajouté que depuis qu’il était à la prison, depuis 9 ans, il n’avait jamais vu ça). Il était là comme… une bête et non comme un homme juste à côté de « l’infirmerie » de la prison.
Je voudrais qu’on se représente un peu la scène pour comprendre mon état d’âme en ce moment là. Cet événement n’est juste qu’une petite représentation de l’état de la prison civile de Lomé.
En effet, la prison civile de Lomé est un lieu, quand on y entre, même le plus orgueilleux des orgueilleux doit réfléchit sur sa vie. Il y a d’abord cette surpopulation carcérale qui fait que les détenus ne dorment pas pendant la nuit parce qu’il n’y a pas de place. Il y en a qui sont mort pour cause de chaleur et d’étouffement ou faute d’avoir reçu des soins médicaux. Rappelons que construite pour recevoir un peu moins de sept cents (700) personnes, la prison civile de Lomé contient actuellement environ deux mille (2000) détenus. C’est un bâtiment en délabrement, qui d’ailleurs rappelons le, a été construit aux temps de l’esclavage pour nourrir le commerce triangulaire. Où en est le gouvernement avec sa promesse de désengorgement ? Le fait de libérer quelques personnes seulement suffit-il à désengorger la prison ?
Il faut aussi noter qu’il y a une absence totale d’hygiène. Dans certaines cellules il n’y a pas de latrine et donc les détenus sont obligés de faire leur besoin à même des bidons d’huile et en présence des autres détenus. Cela ne peut qu’engendrer des microbes et des maladies. Parfois, quand les services d’évacuation ne viennent pas, ce sont les détenus eux-mêmes qui évacuent leur besoin dans des trous de circonstances faits à l’arrière de la prison, près des ateliers. On m’a d’ailleurs raconté qu’un détenu est mort électrocuté car il avait touché sans le savoir à un fil électrique quand il creusait le « trou d’évacuation ». L’Etat une fois encore manque à ses obligations.
Allons maintenant à l’alimentation des détenus. Les détenus ne reçoivent qu’un seul repas par jour. Soit c’est de la pâte, soit c’est du gari.
Parlons du droit à l’éducation et dans notre cas ici à la formation. Il ya une totale absence de l’Etat dans ce domaine (cf. l’art 26 de la DUDH). Toutes les formations que suivent les détenus sont l’œuvre des particuliers, des ONG, des associations de défense des droits de l’Homme ou des partenaires internationaux. En effet, les détenus suivent diverses formations : de formations en montage de bijoux, en couture, en coiffure, en tissage… l’Etat en aucun moment n’a investi dans ces formations et même le lieu qu’on appelle « atelier », n’est pas bien aménagé. Obtenir une autorisation pour faire une activité, c’est la croix et la bannière. Les autorités chargées de la prison ne la visitent que lors de la semaine du détenu où ils font des promesses pour l’amélioration des conditions de vie des détenues. Promesses qu’elles ne tiennent jamais et elles reviennent l’année suivante faire les mêmes promesses alors que les choses se sont empirées. Les particuliers doivent-ils se substituer à l’Etat ?
Et la légalité des détentions ? Certes la plupart des détenus ont commis des infractions, certains ont été jugés mais il y en a d’autres qui ne savent même pas pourquoi ils sont là. La plupart d’entre eux ne sont pas jugés alors qu’ils ont déjà passé plusieurs années en détention (ne faut-il pas ici faire mention de l’art 9 de la DUDH ?). Il a en certains qui sont jugés mais qui n’ont jamais reçu de mandat. Certains cas sont pathétiques et pitoyables. C’est le cas d’un créancier qui a été déféré à la prison ; alors qu’il avait réclamé la somme que lui devait le débiteur, celui-ci est allé à la gendarmerie le dénoncer. Et là il est à la prison avec seulement pour faute d’avoir réclamé son argent. Ces genres de cas sont nombreux et on ne finirait pas de les citer.
Revenons à notre histoire. Un détenu a-t-il le droit d’être soigné ? Si la privation du droit d’aller et de venir n’induit pas la privation des autres droits de l’Homme notamment le droit à la santé (art. 25 de la DUDH), au Togo la situation semble être le contraire.
En effet les détenus de la prison civile de Lomé ne bénéficient pas du droit à la santé : l’infirmerie de la prison ne contient qu’un ou deux lits ; les bénéficiaires de ce service reçoivent la plupart du temps pour médicament que du paracétamol quelque soit le mal dont souffre la personne. Les personnes souffrant de maladies graves ne reçoivent pas les soins appropriés. C’est le cas des personnes souffrant de tuberculose comme notre détenu. On les isole seulement dans une cellule – quelle mise en quarantaine parfaite !- il faut alors avoir de la chance de recevoir régulièrement des visites et que ta famille soit aisée pour qu’on puisse probablement t’évacuer. Sinon on vous laisse mourir comme notre bonhomme qui jusqu’à aujourd’hui n’est pas évacué et est toujours laissé dehors comme une bête de foire. On lui a même pris sa dignité.
Cette situation est alarmante en ce sens qu’on expose non seulement les autres détenus à la maladie et surtout ceux qui lui donnent sa douche, mais aussi toute la prison car on n’ignore pas que la tuberculose est une maladie très infectieuse. On met alors leur vie en danger.
L’Etat n’est-il pas le garant des droits de l’Homme ? N’a-t-il pas la responsabilité de protéger les citoyens ? L’Etat ne doit-il pas faciliter l’accès aux services de santé à tous les citoyens et ce quelque soit leur condition sociale (cf. art2 al 2 de la DUDH) ? Un prisonnier n’est-il pas pour autant un homme et ne mérite t-il pas d’être soigné quelque soit le mal qu’il ait commis ?
Je nous laisse à nos réflexions.
Yawa Vivi DANHOUI Juriste, volontaire nationale au CACIT