Le dialogue politique dans l’impasse, le pouvoir RPT à l’épreuve de sa crédibilité

Cascade de retrait des partis du CPDC


La dernière séance du Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation (CPDC) a fait voler en éclats l’apparente sérénité qui y régnait. Au terme d’une énième discussion autour du mode de scrutin de l’élection présidentielle au Togo, la CDPA et le PDP ont annoncé leur retrait dénonçant de leur côté l’impossible dialogue. A cette étape, plus aucune politique d’autruche n’aura de sens, Faure Gnassingbé doit prendre ses responsabilités pour sauver la face, à moins de laisser croire que son invitation au dialogue n’ait jamais été franche et sérieuse.

Des raisons d’une impasse

On ne parlera guère suffisamment de l’aller retour de Nicolas Lawson. Pour des raisons de dysfonctionnement et d’incompatibilité, le président du Parti du Renouveau et de  la Rédemption (PRR) avait annoncé avec fracas et grand renfort de dépit et de publicité son retrait du cadre permanent de dialogue et de concertation. De ce que M. Lawson avait dit du fonctionnement de ce cadre, on a su à peu près que l’histoire avait toutes les chances de se répéter. Bien que M. Lawson ait trouvé opportun de retourner à la table de discussions sans que rien n’ait véritablement changé, il n’en demeure pas moins vrai que le mal n’a jamais été guéri.

Si donc le gouvernement RPT et le Premier ministre Houngbo avaient considéré les dénonciations de M. Lawson comme le fruit d’un coup de tête hâtif d’un politique amateur de sensationnel, les récents développements apportent la preuve qu’ils se sont sûrement trompé de jugement. Après la séance du jeudi 12 janvier dernier, deux partis politiques de l’opposition ont annoncé à leur tour leur retrait du CPDC. La CDPA du Professeur Gnininvi et le PDP de Bassabi Kagbara ne se retrouvant plus dans la tournure que prennent les travaux du dialogue se sont retirés du processus.

Pour le parti de M. Kagbara, l’absence de consensus sur le mode de scrutin révèle un manque de volonté politique de conduire le dialogue vers des rivages d’espoir. « Les gens sont animés de mauvaise foi et ne sont pas prêts à faire avancer les choses dans ce cadre » a expliqué M. Kagbara au cours d’une conférence de presse le soir du jeudi 12 janvier 2012.

Pendant que le PDP et Bassabi Kagbara évoquent la mauvaise foi des adversaires politiques, le parti de M. Gnininvi souligne de son côté la mauvaise volonté. Pascal Adoko, l’un des délégués du parti au CPDC, a déploré à la sortie de la séance le fait que le RPT et ses alliés veuillent faire les choses à moitié. « La CDPA a le sentiment que les gens sont venus pour faire des réformettes et non des réformes. A partir de ce moment, nous considérons que notre présence (au CPDC) est sans objet. Nous suspendons notre participation au CPDC. Si une meilleure volonté se manifeste, nous apprécierons » a-t-il précisé.

Si ce n’est pas de la comédie qui est organisée au CPDC, il doit y avoir un problème structurel ou de personne. Deux partis viennent de quitter la table de discussion, trois semaines avant eux, OBUTS de Kodjo Agbéyomé avait pris la même décision pour les mêmes raisons de volonté et de surplace. M. Kodjo s’est plaint le 22 décembre 2011 de l’indifférence affichée vis-à-vis de ses propositions, ce qui dénote d’un renfermement et d’une désinvolture manifestes. « Chaque fois qu’on propose des choses, ils s’arrangent pour les contourner », s’est désolé Kodjo Agbeyomé, en concluant non sans dépit que ; « je ne crois pas que les Togolais accepteront ce qu est en train d’être préparé là-bas ».

En somme, au dialogue auquel Faure Gnassingbé a invité les forces politiques, il est impossible de s’entendre sur les réformes attendues.

Le piège du règlement intérieur

Au moment où Agbeyomé Kodjo retirait son parti du dialogue, il se félicitait d’avoir fait adopter le consensus comme mode de décision au moment où le RPT voulait faire passer le vote. Aujourd’hui, on ne peut pas dire que le consensus comme mode unique de décision au CPDC facilite les choses. A y voir de près, il est la cause du blocage dans le dossier du mode de scrutin.

Selon les informations fournies par  le communiqué ayant sanctionné les travaux du jeudi 12 janvier, une large majorité des membres du CPDC s’est dégagée pour le scrutin à deux tours pendant qu’une minorité s’accroche au scrutin à un tour. Sur la base de ces informations, le vote serait le mode de décision que le scrutin à deux tours aurait été  déjà retenu. Mais, comme les acteurs ont convenu de décider par consensus, il s’est révélé impossible de trancher le dossier.

Ce faisant, le CPDC voit se fermer sur lui le piège du consensus. En choisissant de faire les réformes par consensus, les acteurs, notamment les partis d’opposition craignaient sans doute que le RPT, fidèle à ses combines et astuces, ne se fasse aider de ses alliés, déclarés et officieux, pour imposer « ses » réformes par le jeu du vote, comme ce fut le cas dans d’autres dialogues, comme c’est le cas dans d’autres institutions. Avec le recul, on peut dire que leurs projections ne sont pas très justes. Puisque, non seulement on ne peut pas voter pour trancher les désaccords, mais aussi le consensus ne s’obtient pas, du fait du refus et de l’opposition de certains acteurs. Pour qu’il y ait consensus, tous les acteurs doivent s’entendre et accepter qu’une décision soit prise. Dans le cas contraire, rien n’est possible et c’est malheureusement, ce qui arrive au CPDC.

Sortir de l’impasse

A l’évidence, on ne peut accuser de façon tranchée le RPT de faire blocage au dialogue, vu que ce sont les acteurs eux-mêmes qui ont décidé librement de recourir exclusivement au consensus. Dans le cas d’espèce donc, tous sont coupables. Toutefois, on peut convenir avec certains observateurs et analystes politiques qui trouvent que face à la large majorité qui s’est dégagée en faveur du scrutin à deux tours, le RPT aurait pu envoyer un signal fort à ses adversaires en lâchant du lest sur le dossier du mode de scrutin.

Pour ces analystes, le RPT peut avoir raison de soutenir que, conformément au règlement intérieur du cadre, seul le consensus doit prévaloir, indépendamment de toute majorité qui se dégage, quelle que soit son ampleur. Dans tous les cas cependant, étant donné que c’est Faure Gnassingbé qui a vanté les mérites du dialogue et rouvert les discussions au sein du CPDC, étant donné que tout échec de ce dialogue sera ni plus ni moins mis au passif du gouvernement et du système RPT, les mêmes analystes estiment que le RPT aurait dû, même en faisant contre mauvaise fortune bon cœur, laisser tomber le verrou du mode de scrutin.

En creusant la réflexion, les observateurs et analystes ne semblent pas comprendre que le RPT s’accroche au scrutin à un tour. Selon eux, si tant est que, à la présidentielle de 2010, Faure Gnassingbé a gagné avec 60% des suffrages, le RPT ne doit pas craindre en réalité que la présidentielle se joue à deux tours. Aussi se demandent-ils s’il faut lire dans l’attitude du RPT le signe que les victoires à 53% et à 60% sont cousues de fil blanc ?

Tout compte fait, le retrait de presque tous les partis d’opposition finit de montrer que le dialogue est résolument dans l’impasse. A moins de s’enfermer dans une nébuleuse tour d’ivoire, le RPT doit comprendre que ses adversaires ne sont pas du tout d’accord avec la manière dont les choses se déroulent. L’UFC étant au gouvernement, elle ne saurait plus être considérée comme ressortissant à l’opposition : de même, l’Alliance et le PRR seuls ne suffisent pas pour représenter valablement les forces d’opposition.

C’est donc le moment pour Faure Gnassingbé de prendre ses responsabilités. Le dialogue actuel est censé mettre fin aux querelles séculaires et cycliques autour des règles du jeu électorales. Pour cela, il faut se donner les moyens de réaliser le consensus autour de ces règles de jeu une fois pour de bon. Un sursaut d’orgueil s’impose ainsi à Faure Gnassingbé et au RPT afin de démentir les sceptiques et les pessimistes qui trouvent que l’offre de dialogue est une  manœuvre de diversion, comme Gros Jean devant. La nouvelle impasse créée par le retrait d’OBUTS, de la CDPA et du PDP doit être une aubaine pour aplanir les divergences définitivement. L’ANC et le CAR se sont mis depuis des mois à l’écart du dialogue, le RPT n’ignore pas les raisons de leur bouderie ; jusqu’au 12 janvier, il pouvait compter sur la présence des autres partis pour faire semblant. Aujourd’hui par contre, il n’en a plus l’occasion.

Pour tout dire, si Faure Gnassingbé constate qu’il est incapable de conduire le dialogue à bon terme, il y a la solution du facilitateur. Quel que soit le cas, c’est sa bonne foi qui est à l’épreuve, sa crédibilité aussi.

Nima Zara