Le Collectif « Sauvons le Togo » inquiète sérieusement Faure Gnassingbé

Le Collectif « Sauvons le Togo », ce cocktail de partis politiques et d’OSC qui inquiète sérieusement Faure Gnassingbé

Le 4 avril 2012, à l’annonce de la création du Collectif « Sauvons le Togo » constitué de partis politiques et d’organisations de la société civile, ils étaient nombreux, les gouvernants et autres Balla Fasséké (griots) du pouvoir à en rire. Certains en avaient même fait un non événement, un regroupement de plus qui ne fera ni chaud ni froid à leur champion Faure Gnassingbé. Mais à l’épreuve du terrain, et surtout après la démonstration de force du 12 juin 2012 faite par le Collectif, le pouvoir est manifestement embêté par ce cocktail de partis et d’OSC et ses grandes gueules n’arrivent plus à s’en cacher.

Bodjona et Agba, les concepteurs de la société civile

Les manifestations des 12, 13 et 14 juin ont causé une véritable démangeaison au sein du pouvoir, qui se devait de communiquer. C’est ainsi que les « grandes gueules » ont été déployés pour ce faire. Après la « Grande bouche venimeuse » qui est venu confirmer mercredi sur Légende FM que la décence et les civilités ne sont pas son fort –suivez juste les regards -, c’est autour de Charles Kondi Agba, qui n’a pas fini de régler les problèmes incommensurables de son ministère de la Santé et que les médecins attendent au tournant avec seringues et bistouris à la main, et de l’éternel avocat Pascal Bodjona d’être envoyés au front. Mais le plus cocasse dans toutes leurs interventions, c’est lorsqu’ils ont tenté de jouer aux parangons de vertus, aux spécialistes de la conceptualisation de la société civile.

« Le malheur du Togo, c’est que nous n’avons pas de société civile », a-t-il glosé dimanche au cours de l’émission « Plateau de la Semaine » sur la TVT, et de définir la société civile : « On entend par société civile des notables, des personnalités de valeurs morales incontestées qui sont comme des repères ». « Lorsque le parti au pouvoir et les partis d’opposition entrent en conflits, une société civile devrait pouvoir s’interposer, écouter les deux parties de façon responsable. Voilà un pays où la société civile s’amalgame avec les partis politiques. Il n’y a plus de repère, il n’y a plus d’arbitre », « Il y a des revendications qui sont formulées par des partis politiques auxquelles s’est associée la société civile. Moi je ne sais pas ce qu’est leur valeur véritable. La société civile aurait dû, de façon neutre, rester observateur de tout ce qui se passe et justement jouer l’arbitre lorsque les faits deviennent si aigus… Lorsque la société civile s’est ajoutée à des partis politiques, nous ne savons plus comment les considérer », a-t-il dardé.

Pendant ce temps, le Jacques Verges des coups de force de Faure Gnassingbé, Pascal Bodjona se produisait dans l’émission « Une semaine d’actualité » sur LCF, sa chaine, pour le même exercice : montrer que l’association des OSC aux partis politiques pour former le CST est malsaine. Tout au long de l’émission, il n’a cessé de reprocher ce mariage à son interlocuteur du jour, Me Jil-Benoit Afangbedji, comme un instituteur sermonne son élève. Il n’hésitait pas parfois à prendre la place du confrère animateur – ah le pauvre, il ne pouvait pas le lui reprocher – et poser directement des questions à son contradicteur. Les revendications sont certes légitimes, mais pourquoi s’associer aux partis politiques pour les poser ? Elles seraient beaucoup plus crédibles si vous ne vous étiez pas associés aux politiques…S’est-il employé à ressasser.

« Moi je me suis beaucoup marré lorsque j’ai suivi le chassé-croisé de ces ministres. C’est à croire que les revendications seraient satisfaites si elles étaient posées par les OSC seules ! Et puis, j’ai l’impression que la vraie société civile dans leur conception des choses, c’est celle-là qui reste inactive ou milite ouvertement pour le pouvoir, comme cette OSC de femmes qui avait appelé les populations à voter Faure Gnassingbé en 2010 », a réagi un acteur de cette société civile.

 

De la définition de la société civile

Selon le dictionnaire en ligne wikipedia, la société civile est « le domaine de la vie sociale civile organisée qui est volontaire, largement autosuffisant et autonome de l’État ». L’UNESCO, elle, entend par société civile, l’auto-organisation de la société en dehors du cadre étatique ou du cadre commercial, c’est-à-dire un ensemble d’organisations ou de groupes constitués de façon plus ou moins formelle et qui n’appartiennent ni à la sphère gouvernementale ni à la sphère commerciale.

Le terme est employé pour parler globalement des groupes de personnes organisés collectivement, indépendamment de l’Etat. Ainsi sous cette appellation, sont regroupés des mouvements, organisations, associations qui agissent en dehors de l’Etat et des pouvoirs constitués, pour faire prendre en compte leurs valeurs ou leurs intérêts par les décideurs politiques et économiques.

Il y a d’ailleurs un véritable débat autour de la définition de la société civile. Même si dans certains cas l’indépendance qui doit la caractériser se définit par rapport non à l’Etat seul, mais à la classe politique en général, sur la conceptualisation de cette indépendance elle rejoint l’opposition politique. Très souvent les positions de la société civile, même dans les pays développés, rejoignent celles de l’opposition, et aujourd’hui la démarcation entre les deux entités est presque nulle.

Dans le cas du Collectif « Sauvons le Togo », quelle exigence de la plateforme revendicative est politicienne et n’intéresse pas les populations en général ? Est-ce l’abrogation des deux lois scélérates votées par l’Assemblée nationale malgré la contestation fondée, et en toute violation des dispositions juridiques ? Le retour à la Constitution votée par le peuple tout entier en 1992 ? L’application des recommandations du rapport de la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndh) sur la torture ? La transparence des prochaines élections législatives et locales ? Questions pour plusieurs champions.

Le Collectif « Sauvons le Togo », le pendant du M23 sénégalais

Le CST, dans sa composition hétéroclite de partis politiques (6), d’organisations de défense des droits de l’Homme (7), d’organisations de la société civile (2) et de mouvement politique (1) est-il une exception au monde ? Absolument pas, et l’Histoire récente du Sénégal est assez illustrative. C’est plutôt la réussite de ce pays qui a fait des émules au Togo. Le Collectif « Sauvons le Togo » n’est que le pendant du mouvement M23 au Sénégal.

Le M23 est un mouvement pacifique et indépendant de défense de la Constitution, de la forme républicaine de l’Etat et de surveillance du processus électoral pour la tenue d’élections libres et transparentes au Sénégal. Il a été créé au lendemain des manifestations du 23 juin 2011 contre le vote par l’Assemblée nationale du projet de loi instituant l’élection d’un président et d’un vice-président ne totalisant, quand la situation se présente, que 25 % des suffrages exprimés, avec pour objectif principal d’empêcher, par des moyens constitutionnels et pacifiques, la participation du vieux Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle du 26 février 2012. Il fédère en un mouvement uni et solidaire des partis politiques membres, des organisations de la société civile et des personnalités indépendantes et compte plus de 150 partis et organisations membres. Il est justement dirigé, comme dans le cas du CST au Togo, par un défenseur des droits de l’Homme, le président de la Rencontre africaine de défense des droits de l’homme (RADDHO), Alioune Tine, qui est l’un de ses porte-parole. C’est justement ce mouvement qui a porté à bout de bras l’actuel président du Sénégal, Macky Sall, jusqu’à sa victoire. Ce dernier a été accueilli avec tous les honneurs le 5 juin 2012 par Faure Gnassingbé, dans le cadre du sommet de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uémoa) à Lomé.

Ce qui est reproché à Me Zeus Ajavon et les siens a été donc fait ailleurs, et cela a porté fruit. Au demeurant, toute cette agitation n’est que la manifestation de la panique qui s’empare du régime Faure Gnassingbé, après la démonstration de force du 12 juin qui a vu déferler dans les rues de Lomé une « marée humaine », selon les mots du chef de la délégation de l’Union européenne, et surtout que la mobilisation gagne les populations de l’intérieur du pays.

Tino Kossi

www.liberte-togo.com