Le clergé congolais conteste l’élection de Joseph Kabila en RDC, celui du Togo muet sur le hold-up du pouvoir RPT

 

La vérité des urnes, voilà la grande problématique qui se pose souvent en Afrique au moment des élections. Les présidents sortants ayant la mainmise sur la commission électorale de leur pays, détournent allégrement les suffrages populaires, la Cour constitutionnelle valide le faux et l’armée s’occupe des contestataires. Les observateurs étrangers souvent déployés pour suivre la régularité des élections qui ferment les yeux sur le hold-up, contre espèces sonnantes et trébuchantes, n’inspirent plus confiance. Dans cette situation les hommes de Dieu paraissent des alternatives crédibles, des gages de vérité. Ainsi depuis quelque temps en Afrique, des missions d’observation sont déployées pour le compte de l’Eglise, surtout catholique. Malheureusement à la fin, la déception reste toujours grande, car ces hommes de Dieu finissent aussi par fermer les yeux sur les fraudes et les hold-up. Mais il y en a encore qui prennent leurs responsabilités, comme en République démocratique du Congo (Rdc).

L’Eglise dénonce l’élection de Kabila

Comme il fallait s’y attendre, c’est Joseph Kabila qui a été proclamé le 9 décembre par la commission électorale congolaise élu, à l’élection présidentielle du 28 novembre 2011, avec 48,95 % des suffrages, contre 32,33 % pour son challenger Etienne Tshisekedi. Des chiffres que ce dernier n’a pas hésité à contester. Dans son sillage, nombre d’autres candidats ont aussi rejeté ces résultats. Et comme pour ne rien arranger à la situation, c’est l’Eglise catholique qui s’en mêle, jetant un pavé dans la mare. « Les résultats rendus publics par la CENI ne sont pas conformes à la vérité ni à la justice », c’est ce qu’a déclaré le 12 décembre devant les écrans du monde entier, le Cardinal Laurent Monsengwo, Archevêque de Kinshasa, au lendemain de la publication des résultats provisoires, et ce, après analyse. En clair, les résultats rendus publics ne reflètent pas la vérité des urnes et ce n’est pas Joseph Kabila le vrai vainqueur. Même si l’homme de Dieu n’est pas allé au bout de sa pensée, ces déclarations suffisent pour conclure que le véritable candidat élu dans les urnes, c’est Etienne Tshisekedi. Ce dernier n’a d’ailleurs pas mis du temps pour se faire entendre. Il s’est autoproclamé président de la Rdc et a mis à prix la tête de Joseph Kabila, comme dans les films Western au Far West. Il a même prêté serment le vendredi 23 décembre dernier.

Le Cardinal Monsengwo et l’Eglise ont donc pris leurs responsabilités devant l’histoire. Au-delà de la simple dénonciation du hold-up, ils recommandent aux contestataires d’utiliser les voies de recours légales, histoire de préserver la paix et les vies humaines, et que les cas de fraudes avérés soient punis. Autre vérité, l’Eglise reconnaît que la Justice congolaise n’est pas crédible. « En recommandant la voie judiciaire, nonobstant la réputation peu heureuse de notre système judiciaire, l’Eglise cherche non seulement à promouvoir le droit et le respect de la loi, mais aussi à éviter à la Nation les affres des manifestations publiques qui souvent dégénèrent en affrontement et provoquent la destruction des biens et des pertes en vies humaines. L’Eglise met ainsi les magistrats de la haute cour devant leurs propres responsabilités. Que chacun fasse son devoir en âme et conscience, dans la vérité et la justice. L’Eglise demande que « les cas de fraudes avérés soient sévèrement punis », dit le Conseil national de l’apostolat des laïcs catholiques du Congo (Cnalcc), dans une déclaration rendue publique le 15 décembre dernier.

Le clergé venait ainsi de remplir un devoir sacro saint de l’Eglise, celui de vérité à toute épreuve. Le Cardinal Monsengwo est l’objet de toutes les critiques, mais le Cnalcc a réaffirmé sa position : « Les irrégularités observées et surtout la qualité des personnes impliquées dans ces actes posent un sérieux problème moral qui ne pourra pas être résolu par le système judiciaire. Comme disent les Romains: : « fraus omnia corrumpit », la fraude corrompt tout. En toute objectivité, si nous aimons notre pays, nous devrions avoir le courage de réorganiser ce scrutin. A défaut de tout reprendre, nous espérons que la Cour suprême pourra ordonner l’annulation des résultats des circonscriptions électorales où l’on a signalé des irrégularités y compris les actes de violence ayant entraîné la perturbation du scrutin et qu’elle ordonnera des sanctions exemplaires contre tous ceux qui ont provoqué la violence et la fraude ». Apparemment le langage de vérité pour lequel opte le Cardinal Monsengwo gêne le pouvoir de Kinshasa. « Depuis son élévation à la dignité cardinalice, lorsque l’Archevêque de Kinshasa prend parole et que sa parole indispose les gouvernants, on le traite de politicien qui divise au lieu d’être le pasteur qui rassemble. Pire, on lui dénie le droit de parler au nom de l’Eglise et même en tant que citoyen. Et, le langage utilisé pour lui répondre est dénué de tout égard. Même des cadres formés par l’Eglise, voire des personnes issues de famille catholique et qui se disent catholiques, ne s’entourent d’aucune précaution pour vilipender celui qui parmi les Evêques de la Rdc est élevé en dignité », fustige le Cnalcc.

La vérité reste la vérité, réitèrent les prélats congolais. «  Y a-t-il des personnes avisées qui ignorent les conditions dans lesquelles ont été organisées nos élections ? Pensons-nous qu’il n’existe pas dans ce pays des personnes équilibrées et qui ont une mémoire ? Pour ne pas remonter jusqu’au déluge, la Majorité Présidentielle est-elle vraiment convaincue que les élites de la Nation n’ont rien vu ?… Pense-t-on que le Pasteur doit rassembler ses brebis en taisant la vérité ? », peste le Cnalcc, avant d’asséner : « De la révision de la Constitution à la compilation des résultats, l’organisation de ces élections était parfaitement cafouilleuse, à dessein…A ce jour la CENI et le Gouvernement congolais ont posé des mauvais actes. Souffrons que le veilleur les dénonce. Les auteurs des actes de fraude savent très bien, chacun dans sa conscience, ce qu’ils ont fait. Même si devant la justice, les contestataires auront du mal à produire les preuves matérielles de leurs forfaits, la réalité ne changera pas. Même si publiquement, les faussaires se disent blancs comme neige et s’en prennent à l’Eglise qui justement demande à chacun d’être vrai avec lui-même, il est impossible de tromper sa conscience, le siège de l’esprit saint de Dieu en nous ».

L’Eglise togolaise complice du hold-up

Waouh, devrait-on s’écrier devant ces déclarations courageuses et non complaisantes de l’Eglise catholique congolaise, surtout quand on vient de ce petit pays effilé entre l’ex-Dahomey et l’ancienne Gold Coast. Car cette honnêteté et ce souci de vérité des urnes manquent cruellement aux dignitaires de l’Eglise catholique togolaise. Parlant des élections, elle avait déployé une mission pour observer la présidentielle du 4 mars 2010. Mission d’observation de la Commission épiscopale nationale Justice et Paix (Cenjp), c’est son nom. Malheureusement bientôt deux ans après le scrutin, le rapport de cette mission se fait toujours désirer. Sa publication avait été remise en cause, avait-on révélé, à cause de la « peur ». Selon un récent article du confrère en ligne afriscoop, ce rapport dont il est parvenu à se procurer copie, ne sera jamais publié. A cause de son contenu qui ne plairait pas aux gouvernants. « L’Eglise catholique du Togo ne publiera probablement jamais les résultats de son observation électorale orchestrée autour de la présidentielle du 04 mars 2010. « AfriScoop » a pu se procurer en exclusivité une copie de ce fameux « Rapport » qui était pratiquement sur le point d’être communiqué au grand public ces dernières semaines…« Nous avons soumis une copie du Rapport, que nous nous sommes décidés enfin à publier, aux autorités togolaises. Elles se sont montrées en désaccord avec le contenu de notre observation », confie un proche de la Cenjp (Mission d’observation de la Commission épiscopale nationale Justice et Paix) à AfriScoop. « Du coup, les premiers responsables de la Cenjp ont abandonné définitivement toute perspective de publication de ce Rapport, alors même que toutes les dispositions étaient prises pour enfin mettre à la disposition des Togolais ce Rapport », rajoute notre source », écrit le confrère.

Le pouvoir qui dissuade l’Eglise de dire la vérité des urnes, il faut être au Togo pour le voir. Et pourtant la mission a relevé des tas d’irrégularités suffisantes pour fonder une demande en annulation des résultats, comme le laisse présager l’Eglise catholique congolaise. Morceaux choisis de ce rapport : « On a pu constater dans la région de la Kara, et dans la région Centrale, des bureaux de vote affichant des chiffres de votants anormalement supérieurs au nombre d’inscrits. Spécialement dans les BV n° 3-07-03-14B ; 3-07-01-07A ; 3-07-01-77A;3-07-03-05 A ; 3-07-03-04B ; 3-06-01-36A ; 3-06-02-05A ; 3-08-02-31B ; 2-14-02-01A ; 2-02-03-06A et beaucoup d’autres encore comme les BV n° 50 et 51 CEG Tchébébé » ; « Il a été constaté que dans certains bureaux de vote comme le BV n° 59 EPC Hézoudè dans la 2ème circonscription électorale de Sotouboua, et autres endroits, les membres des bureaux ont voté à la place des absents dès que les observateurs internationaux étaient partis » ; « La CENI a publié le 06 mars 2010, les résultats provisoires de l’élection du 04 mars en déclarant le candidat du RPT vainqueur de l’élection. La conformité des chiffres avec les procès-verbaux initiaux des bureaux de vote a posé des problèmes. A la surprise générale, les agents de la gendarmerie se sont introduits dans les locaux du Centre d’Etude pour l’Apostolat des Laïcs (CESAL) où les membres de l’UFC avaient loué des salles dans lesquelles ils faisaient les décomptes des voix, aux fins de fournir la preuve que le candidat du RPT n’avait pu gagné ces élections. Les copies des procès-verbaux ramenés des bureaux de vote par les délégués de l’UFC ont été ramassées et détruites, les ordinateurs, les disques flash emportés alors qu’aucune infractionn’était commise. Cette situation a renforcé et renforce encore le sentiment, chez une partie de la population, que les chiffres publiés par la CENI souffraient de contestations sérieuses et jette le doute sur la crédibilité même des résultats publiés ».

C’est sur toutes ces vérités que l’Eglise de Dieu se tait depuis bientôt deux ans. Et elle n’a pas eu le courage de dire si oui ou non, les résultats proclamés reflètent la vérité des urnes. Elle n’a non plus condamné la saisie des procès-verbaux, sur son territoire (Cesal), devant permettre au candidat du Front républicain pour l’alternance et le changement (Frac) de prouver sa victoire, et donc le hold-up opéré au profit du candidat du pouvoir et exigé leur restitution depuis lors. Des événements qui ont pourtant concouru à altérer fortement la vérité des urnes. L’Eglise ne veut donc pas fâcher les tenants du pouvoir, se rendant ainsi complice des fraudes et autres irrégularités relevées plus haut, du détournement des suffrages au profit du candidat du pouvoir, bref du hold-up électoral. Aujourd’hui l’Eglise catholique togolaise est devenue une aile marchante du pouvoir en place et se comporte comme ces partis satellites qui l’aident à légitimer des forfaitures et à se sortir d’embarras lorsqu’il se retrouve dos au mur. C’est elle qui a lui a prêté l’un de ses prélats, Mgr Nicodème Barrigah, pour légitimer le simulacre de réconciliation en cours. Le devoir de vérité, il y a bien longtemps qu’il a fui l’Eglise togolaise. Et pourtant c’est un principe sacro saint de l’Eglise, qui fonde la foi. Le clergé congolais lui, y veille toujours et fait à son confrère togolais une bonne piqure de rappel.

L’Eglise et le devoir de vérité

« Au sujet de l’autorité du Cardinal, il faut savoir qu’il est « primus inter pares » et sa parole, autant que celle de tout autre Evêque engage bel et bien l’Eglise entière qui est une, sainte, catholique et apostolique », rappelle l’épiscopat congolais, qui n’a cessé de dénoncer la banalisation de la corruption et de la tricherie. « En plus, plus que tout chrétien, un Cardinal fait le serment de défendre la vérité et la foi jusqu’au sacrifice de sa vie. Dans un moment aussi difficile que celui-ci, le Cardinal regarde la pourpre qu’il porte et qui lui rappelle à tout instant ce serment…En ce moment particulier, ce que l’Eglise lui demande à lui particulièrement bien plus qu’à tout autre chrétien, prêtre ou Evêque, c’est offrir sa vie pour défendre la vérité, jusqu’au sacrifice suprême, même si cette vérité ne plaît pas à quelques-uns parmi nous. Car en soi, la vérité libère… Le Cardinal ne se lève pas pour un candidat et contre un autre. C’est pour la vérité qu’il se lève ainsi qu’il l’a inscrit dans sa devise épiscopale : « in fide veritas », dans la foi en la vérité. L’enjeu de son engagement et de l’engagement de l’Eglise, ce sont les valeurs qui fondent l’action publique », rappelle le Cnalcc, et d’en appeler à la conscience collective :  « Quel Etat va-t-on bâtir sur base des actes de tricherie et dans l’impunité? N’avons-nous donc pas de mémoire pour oublier que ce dont nous souffrons c’est de la banalisation de la corruption et de la tricherie ? Nous nous en plaignons dans les écoles, dans les entreprises, dans l’administration publique, et nous voudrions l’approuver et la promouvoir dans le processus d’accès aux charges les plus hautes de la Nation ».

Tino Kossi

Liberté N° 1124 du jeudi 29 décembre 2011