Retour de la folie des grandeurs et du bling-bling
L’une des maladies dont souffrent ceux qui dirigent le Togo a pour nom mégalomanie qui, selon le dictionnaire Larousse est une surestimation par quelqu’un de sa valeur physique ou intellectuelle, de sa puissance. Dans le cas du Togo, nous parlerons volontiers plus de gaspillage d’énergie et de fonds publics pour le simple prestige, ce que certains responsables africains qui savent où ils vont avec leur peuple, et conscients des besoins immédiats du pays et des priorités ainsi que de la faiblesse de leurs moyens, évitent absolument de s’encombrer de l’organisation de ces rendez-vous onéreux. Mais au Togo, on s’en entiche.
L’assemblée parlementaire paritaire ACP-UE qui se réunit deux fois par an en session plénière alternativement dans un pays de l’Union Européenne et dans un pays des ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) avait été au début proposée pour se tenir en Sierra Leone. Les dirigeants de ce pays ont évoqué des problèmes de moyens et ont donc gentiment décliné l’offre. Ensuite, ce fut au grand Nigeria que l’organisation sera proposée. Celui-ci à son tour va se désister. C’est alors que le Président du Conseil des Ambassadeurs à Bruxelles, le Togolais Félix Kodjo Sagbo impose son pays. Ce ne sera, certes pas, sans la volonté des autorités, qui devraient prier pour des désistements.
Ici, même sans moyens, on peut s’endetter pour les fêtes et l’organisation de sommets budgétivores, alors qu’il y a une montagne de problèmes à résoudre et dans lesquels se débattent les citoyens. Les ardoises peuvent attendre, et c’est de cette manière que des dettes se sont accumulées par le passé sous le précédent régime jusqu’à leur effacement il n’y a pas longtemps.
Selon un diplomate avec qui nous avons eu à échanger quelques heures après la fin des travaux de la 26ème assemblée parlementaire ACP et de la 22ème assemblée parlementaire paritaire ACP-UE, il y avait deux alternatives. Soit le sommet se tient à Lomé et les parlementaires font pression sur le Pouvoir pour que les députés arbitrairement exclus réintègrent l’Assemblée nationale et participent aux travaux, si possible. Soit les autorités refusent leur retour et dans ce cas, il ne devrait pas y avoir de sommet à Lomé. « Au fait, la décision de la Cour régionale est plus que claire, du moment où elle a précisé que les neuf députés n’avaient jamais démissionné de l’Assemblée. C’est du dilatoire que fait le régime », a-t-il déclaré.
Un tout autre son de cloche tout à fait contradictoire : «Au fond, la cour dit ceci : vous ne pouvez pas retourner à l’Assemblée nationale, mais le gouvernement doit vous dédommager ». Celui-ci émane de l’ancien toiletteur de la Constitution togolaise, Fambaré Ouattara Natchaba qui fut lui-même victime de toilettage par le président Faure Gnassingbé entre le 5 et le 6 février 2005. Résultat : il lui aura fallu passer plusieurs semaines d’exil au Bénin voisin avant d’être reconduit au Togo.
On a l’impression que l’homme n’a pas encore tiré les leçons de sa mésaventure d’il y a un peu plus de six ans. Sa prise de position, il faut le reconnaître, ne pourrait qu’aller dans le même sens que celui du Pouvoir dans la mesure où il doit manifester sa reconnaissance à celui qui lui aurait « essuyé les larmes » en ordonnant qu’une régie financière togolaise qui vient de connaître du mouvement à sa direction générale – suivez les regards- lui verse chaque mois quatre millions de francs CFA en guise de consolation. Aussi longtemps qu’on ne peut pas gérer ce pays avec le minimum de rigueur et respecter les décisions de justice et les textes de loi d’une manière générale, le Togo sera toujours en retard sur les autres.
Le Togo sans honte, choisit d’abriter l’Assemblée parlementaire ACP-UE. Pourquoi ? Parce qu’il paraît à tous égards inimaginable, qu’un pays comme le nôtre où depuis toujours les autorités, du temps du père jusqu’à celui du fils, n’arrêtent de mépriser ce qu’on nomme parlementaire, et de violer l’immunité de ceux-ci à merci, puisse se prévaloir du droit d’abriter un sommet regroupant des parlementaires venus d’horizons divers.
Pour mémoire, on se souviendra des mésaventures subies en 1991 par les Hauts Conseillers de la République au siège de ce qui faisait office de parlement à l’époque. Les pires humiliations ont été exercées sur plusieurs dizaines de députés togolais. On se rappelle l’arrestation, le jugement et la condamnation à une peine de prison du député Kpatcha Gnassingbé, sans levée de son immunité parlementaire. C’était entre avril 2009 et septembre 2011. On se rappelle les coups portés impunément sur la personne du député Jean-Pierre Fabre par un gendarme ainsi que d’autres actes vexatoires.
Le Togo choisit enfin sans honte d’abriter le dernier sommet de l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE, à un moment où il refuse effrontément de respecter la décision de l’Union interparlementaire (UIP), d’accepter le verdict de la Cour de justice de la CEDEAO, préférant se livrer à du dilatoire. Selon des indiscrétions, la présence de Louis Michel à Lomé lors du sommet qui vient de se tenir n’est pas du tout gratuite. Cela aurait été un arrangement bien préparé. Ce qui ne surprend personne, eu égard aux déclarations osées qu’il a pu faire par rapport au cas ANC et à celui du député de la Kozah, Kpatcha Gnassingbé.
E. Djibril
Liberté N° 1104 du 30 novembre 2011