La preuve de plus de l’échec garanti pour Mgr Barrigah et la CVJR

Déclaration des FAT devant la Commission
Vérité Justice et Réconciliation

La preuve de plus de l’échec garanti
pour Mgr Barrigah et la CVJR

 

On ne sait quel sens donner au ton impuissant et presque quémandeur de bon sens que Mgr Barrigah a pris en s’exprimant à la sortie du palais de Faure Gnassingbé le mercredi dernier. On eût dit que le prélat ne savait plus à quel saint se vouer et que pour une fois, il a senti que les premiers et véritables ennemis, obstacles de la réconciliation sont ceux qui l’ont mis à cette place. La riposte indigeste et révoltante des Forces Armées Togolaises (FAT) sonne en vérité le glas de l’idée de réconciliation. C’est une évidence.

Au commencement était Joseph Koffigoh

C’est une déposition de l’ancien Premier ministre Joseph Kokou Koffigoh qui a ouvert la boîte de Pandore. Ecouté comme témoin par la commission Barrigah dans le cadre de ses audiences, l’avocat n’a pas fait dans la dentelle. Retrouvant ses sensations et ses réflexes des premières années de lutte pour la démocratie, M. Koffigoh a donné son témoignage sur les événements de la lagune de Bè et de l’attaque de la primature en 1991.

De ce que l’homme a dit, il ressort sans ambages que l’armée togolaise est la première et principale coupable dans les violations de droits et dans les crimes intervenus au cours des deux événements. Il a dit devant les commissaires de la CVJR comment par la fougue répressive des militaires togolais des citoyens se sont retrouvés dans la lagune, mutilés et assassinés froidement et sauvagement. De même, il a décrit sans détour comment les mêmes soldats s’en sont pris sans retenue à la Primature en 1991, la transformant en un champ de bataille, La Marne, Normandie ou Provence pour reprendre des noms de champs de bataille de la seconde guerre mondiale.

« Le 3 décembre 1991, vers 4 heures du matin, le capitaine Epou est venu frapper à ma porte une nouvelle fois pour me dire : « Monsieur le Premier ministre, le dispositif qui nous encercle s’est renforcé de beaucoup de mouvements de véhicules, de blindés et autres. Et dans notre fonctionnement militaire, quand c’est comme ça, cela veut dire qu’on prépare l’assaut final » a raconté M. Koffigoh. Son récit s’est poursuivi par les derniers instants ayant précédé l’assaut. Il raconté ainsi que « Et à 6 heures, j’ai reçu un appel : monsieur le Premier ministre, les chars ont défoncé les grilles de la primature et ont commencé par tirer, que faut-il faire ? Je dis : résistez, défendez-vous avec les moyens que nous avons ».

Ce témoignage souligne sans hésitation la responsabilité des FAT dans cet épisode de la triste et sanglante histoire politique de notre pays. La conclusion de M. Koffigoh met encore plus en emphase l’implication et la responsabilité irréfutables des soldats d’Eyadèma : « En quelques heures, j’ai été transformé à mon corps défendant en chef de guerre et je me suis dit ce n’est pas la peine de laisser massacrer les gens ».

La riposte des FAT

Ce qui est fondamentalement écœurant dans l’intervention des FAT, c’est que la hiérarchie militaire n’a pas daigné à aucun moment manifester la moindre contrition, la moindre peine, le plus petit regret, ne serait-ce que pour les citoyens qui sont tombés à Bè et à la Primature. Elle n’a pas eu le bon sens et la courtoisie de montrer sa désolation pour les victimes ni de songer à présenter des condoléances aux parents. S’étant rendue incapable de ces petites choses, elle n’a donc pas eu la présnece d’esprit de présenter des excuses pour les désagréments et les torts que leur action de maintien e l’ordre aurait créés aux citoyens. Cela aurait été un geste de grand prix.

Mais malheureusement, la hiérarchie des FAT a choisi de rejeter du revers de la main tous les reproches qui lui sont faits. Elle a choisi de se défendre et de dégager sa responsabilité dans les crimes de la lagune de Bè et de la primature. Dans sa défense présentée devant Mgr Barrigah et ses collègues, l’armée togolaise par la voie du Liuetenant-Colonel Djibril, a évoqué la désignation par M. Koffigoh des éléments de sa garde rapprochée sans sen référer à la hiérarchie. « L’armée est consternée de constater qu’une note venant de la primature désignait directement des éléments pour la sécurité du Premier ministre sous le vocable Association des Militaires Démocrates (AMD) sans l’avis de leurs chefs hiérarchiques » a indiqué l’officier Djibril pour justifier l’attaque de la primature.

Selon leur logique, des militaires ont attaqué la primature parce que, en désignant directement les éléments de sa garde rapprochée, le Premier ministre aurait semé dans les garnisons l’esprit d’insoumission et de désordre. Mais cela suffit-il pour que des chars, des blindés et des cohortes de soldats prennent d’assaut une primature ? Le Colonel Djibril n’a pas jugé opportun de répondre aux questions naturelles inspirées par leur déclaration, la question restera donc sans réponse.

La déclaration des FAT aborde également les points concernant la négociation de « l’intervention d’une armée étrangère contre l’armée togolaise » et la présence « de quelques éléments étrangers au sein de sa garde avec des moyens et armements de transmission», sans oublier des revendications pour « l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail ». Selon toute vraisemblance, ces différents éléments sont destinés à justifier l’attaque de la primature. Dans ce cas, la logique est bien curieuse puisque ces éléments ne dégagent nullement la responsabilité des FAT. L’intervention de l’armée étrangère dont il est question n’avait pas eu lieu pour que les FAT y tirassent une raison d’attaquer la primature. Dès lors, cet acte n’est ni plus ni moins qu’un crime contre la démocratie et contre les droits de l’homme.

Il n’est pas besoin de revenir sur la manière bancale et révoltante par laquelle les FAT tentent de justifier les événements de la lagune de Bè. Il est incroyable que des citoyens se soient jetés à l’eau simplement parce qu’on essaie de les dégager « gentiment ».Ce n’est pas un événement en réalité car tous les témoignages et enquêtes démontrent l’évidence que les FAT sont les seules à ne pas reconnaître ou à avouer.

Les FAT, obstacles à la réconciliation

La dernière sortie des Forces Armées Togolaises apporte la preuve que ceux qui ont toujours estimé que les forces démocratiques devraient demander à discuter avec les armées au lieu de le faire avec le RPT ont vu juste. Leur prise de position, parlant des FAT, montre à suffisance qu’elles ne favorisent pas du tout l’avènement d’un nouvel ordre socio-politique dans le pays. La réconciliation que les Togolais veulent ne doit pas être apparente, elle doit être totale ou on ne la fait pas. Dans ce sens, les forces de défense et de sécurité qui jouent un rôle non négligeable dans la politique nationale, même si elles s’en défendent, doivent avoir l’inspiration et l’humilité de regarder la réalité en face. Autrement, elles se constitueront en obstacles infranchissables à la réconciliation.

Effectivement, si les FAT trouvent qu’elles n’ont aucune responsabilité dans les événements de la lagune de Bè et de la primature en 1991, pourront-elles reconnaître leurs torts quand le moment viendra d’évoquer d’autres crimes où visiblement elles sont plus qu’impliquées ? Aujourd’hui, elles trouvent que c’est parce que le Premier ministre d’alors aurait recruté des éléments étrangers dans sa garde et qu’on ne faisait pas attention à leurs revendications qu’elles auraient attaqué la primature inquiète et indique clairement que le pays n’est pas sorti de l’auberge. Il n’est pas faux de soutenir qu’elles trouveront ainsi que l’assassinat de Tavio Amorin et les massacres de 2005 sont l’objet de ces « éléments étrangers ». Si donc les FAT ne peuvent pas avoir le bon sens de faire profil bas devant les actes répréhensibles dont elles se sont rendues coupables, il n’y a pas de raison de croire à un quelconque aboutissement heureux au processus de réconciliation..

Il n’est pas faux non plus de croire, sur la base de la dernière sortie malencontreuse et décevante des FAT, que l’esprit n’a nullement changé. Contrairement aux apparences, contrairement aux discours présomptueux de Faure Gnassingbé et de ses amis, rien n’a vraiment changé dans notre pays. La logique de la présidence à vie sous la protection des armées est toujours à l’ordre du jour. Des mois en arrière, on a organisé des journées portes ouvertes à Agoè et on a cru chanter le rapprochement des forces de défense avec les populations. L’entêtement des FAT à dégager toute responsabilité dans les événements sanglants de 1991 viennent de faire voler en éclats toutes les prétentions servies à l’époque des journées portes ouvertes.

Plus loin, les vaticinations et ratiocinations du Lieutenant-Colonel Inoussa Djibril constituent un cinglant désaveu à l’action de la commission Barrigah. Pour avoir parlé avec autant d’arrogance, de suffisance et de défi, l’officier Djibril a montré que leur corps n’est pas prêt à faire amende honorable et mériter le pardon, puis la réconciliation. Ce n’est pas au prélat Barrigah qu’on va enseigner qu’il n’y a pas d’absolution sans contrition ni repentance. C’est exprès que l’une des litanies en pratique dans l’Eglise catholique fait répéter aux croyants « je reconnais avoir péché… ». Le roi David, après qu’il s’est souillé la femme de Betschéba, a laissé ces versets du psaume 51 qui insinuent la même chose : « O Dieu ? Pardonne-moi dans ta bonté. Selon ta grande miséricorde, efface mes transgressions… Car je reconnais mes transgressions et mon péché est constamment devant moi… »
C’est pour dire que Mgr Barrigah et ses collègues doivent comprendre très vite, après le passage tonitruant des FAT, que leur action ne produira aucun résultat, et qu’après eux, il faudra encore réconcilier les Togolais. Bien que les FAT aient pu dire dans leur déclaration qu’elles « réitèrent leur attachement au processus de réconciliation nationale et encouragent la CVJR à mener sa mission à terme. Le pari semble définitivement perdu. Car on ne peut pas remuer le couteau dans la plaie, tirer sur l’ambulance, piétiner la mémoire des victimes et oser prétendre être attaché à la réconciliation nationale. Qu’importe si Mgr Barrigah et les siens s’entêtent dans leur logique. La réalité est là, c’est presque une fatalité. En tant que tel, on n’y peut rien, même pas tous les prêtres du Togo réunis.

Nima Zara
Le Correcteur N° 284 du 16 septembre 2011