La persécution et les tracasseries sont-elles la solution ?

Sortie de crise en vue des élections à venir

Un pied en avant, l’autre derrière : Faure Gnassingbé ne rassure pas

A peine M. Houngbo s’en est-il allé de la Primature que des discussions sont ouvertes pour trouver des réponses consensuelles aux questions consensuelles objet de discorde et de bagarre rangée. Au même moment curieusement, c’est la maison de M. Fabre qui reçoit la visite des soldats qui y brutalise et matraque tout ce qui bouge. Ce contraste suffit pour se demander si Faure Gnassingbé mérite la confiance de ceux qui sont allés l’écouter au palais de la présidence et aussi des populations en général.

Libération des manifestants arrêtés en juin

Comme pour montrer sa bonne foi au moment où il quémande le dialogue avec les forces démocratiques, Faure Gnassingbé a consenti à élargir les citoyens arrêtés les 12, 13 et 14 juin derniers pour cause de manifestation et de dégradation de biens publics et privés. Après avoir longtemps joué les sourds et les jusqu’au-boutistes, le président et ses collaborateurs va-t-en-guerre ont accepté de lever le pied et de mettre de l’eau dans leur vin. La justice, inféodée au pouvoir, c’est lapalissade, met ainsi fin à « ses » poursuites. Dans un premier temps, ce sont 6 des 53 arrêtés qui ont été libérés, sans que le geste peut être de nature à satisfaire les responsables du collectif. L’intransigeance de ces derniers a sans doute porté ses fruits

Dans la journée du samedi 14 juillet, les 47 autres manifestants gardés en détention ont pu quitter le petit enfer de la prison civile de Lomé. Pedro Amuzun, membre du CST, a confié au confrère de Savoirnews que « les personnes encore en détention ont été libérées ce jour (ndlr : le 14 juillet). Certains jeunes sont rentrés chez eux, d’autres sont chez les médecins pour des consultations ».

A tout rompre, on peut prendre le risque de dire que la libération de ces manifestants est un signal que le gouvernement envoie aux adversaires politiques. En substance, il n’est du tout pas faux de croire que l’intention est de satisfaire l’un des préalables posés par le Collectif Sauvons le Togo (CST) avant toute discussion, tout dialogue. C’est à saluer, sans que cela empêche de souhaiter que cela dure, que cette bonne volonté se poursuive et que surtout elle soit franche.

Rencontre avec des responsables politiques

Aucun bonheur n’arrive jamais seul, faut-il dire dans le cas d’espèce. En même temps que les citoyens arrêtés pour fait de manifestation sont libérés le samedi 14 juillet, Faure Gnassingbé était l’hôte au palais de la présidence de 3 responsables de partis politiques pour des consultations. Le communiqué de la présidence qui a rendu compte de la rencontre informe que « le chef de l’Etat a entamé ce jour 14 juillet 2012 une série de consultations avec des formations politiques parlementaires et extra-parlementaires ».

Selon le communiqué, c’est le CAR, la CDPA et la CPP qui ont été reçus. Objet de la rencontre ; « les discussions ont porté essentiellement sur les sujets qui sont au cœur de la vie de la nation notamment la formation d’un nouveau gouvernement et les moyens d’assurer un processus consensuel et apaisé pour les prochaines élections législatives et locales », lit-on dans le communiqué de la Présidence de la république.

Cela peut relever de la langue de bois habituelle mais le communiqué souligne l’atmosphère des discussions qui ressemble fort bien à un paradis, on dirait que ce sont des copains qui se sont rencontrés dans un pub. Le communiqué ajoute que « les échanges se sont déroulés dans une ambiance empreinte de franchise, de sérénité et d’écoute mutuelle ». Fait sans doute important ; les discussions vont se poursuivre. « Les différentes formations politiques reçues en audience ont convenu avec le Président de la république de la nécessité de poursuivre les échanges de vues afin de parvenir à une approche concertée pour la gestion des défis auxquels notre pays est confronté », renseigne le même communiqué.

De toute évidence, il est trop tôt de sonner le cor et de faire résonner la timbale. Tous les Togolais savent depuis peu que les dialogues et discussions sont devenus des nébuleuses dont personne ne peut dire ce qu’il va en être. Le pouvoir qui craint les dialogues francs et directs parce que cela signerait l’acte de décès  de son règne va-t-il jouer franc jeu cette fois-ci ? Les Togolais croisent les doigts et attendent de voir.

Samedi noir pour M. Fabre et l’ANC

Pendant que le Chef de l’Etat souriait sans doute à belles dents à ses hôtes au palais de la présidence, ses gendarmes semaient l’émoi, la désolation et les grincements de dents au domicile de M. Fabre, président de l’Alliance Nationale pour le Changement. Selon des sources qui ont rapporté les faits, des gendarmes ont défoncé le samedi 14 juillet le portail du domicile du président du parti orange et s’y sont livrés à la bastonnade de tous ceux qui s’y trouvaient. On signale des tirs de gaz lacrymogènes. Bilan ; beaucoup de blessés.

Quel sens peut-on donner à un tel acte ? Pourquoi ces gendarmes se sont-ils livrés à une telle bassesse au moment où le président recherchait avec des responsables politiques des portes de sortie aux problèmes politiques du pays ? C’est simplement regrettable et il faut  se demander si c’est ainsi qu’on tente de contraindre le parti et son président à courir à la présidence pour parler à Faure Gnassingbé. Ce qui est sûr, les responsables ne sont ni des enfants ni des nouveaux venus dans la politique du pays. Sans parler pour eux, on peut dire qu’ils sont en activité, pour le plus grand nombre depuis deux décennies au moins. Si la malheureuse intrusion des gendarmes n’est pas une préméditation et un acte posé sur commande, il est important que la hiérarchie le prouve et sanctionne convenablement les auteurs. On ne peut pas en effet vouloir discuter avec un citoyen et au même moment le soumettre aux pires formes de persécution politique. On se croirait au Daghestan, en Thaïlande ou encore au Kazakhstan. Cela ne rassure de rien.

Se concentrer à l’œuvre utile exclusivement

En faisant libérer les manifestants, en recevant à discuter certains responsables de partis politiques, Faure Gnassingbé a envoyé un signal fort aux uns et aux autres quant à sa bonne volonté de faire avancer les choses. A certains égards, il a envoyé ce signal au CST qui a fait de la libération de ces jeunes gens une condition  à tout dialogue. Le président aurait dû continuer avec ses bonnes actions qu’il réussirait en un laps de temps très court à confondre tous ceux qui ont toujours douté de sa bonne volonté et de sa capacité à ouvrir de vraies discussions politiques avec ses adversaires.

Curieusement, comme s’il y avait un déterminisme atavique qui l’empêche de faire rien que de bonnes choses, l’intrusion des gendarmes au domicile de M. Fabre demeure une tâche indélébile sur la toison blanche des esquisses de bonne volonté. Cela a fait dire à certains confrères que Faure Gnassingbé et son système soufflent le chaud et le froid. Tout en montrant et faisant dire après les services de communication de la présidence sa disponibilité à trouver « une approche concertée pour la gestion des défis auxquels (le) pays est confronté », Faure Gnassingbé cautionne d’une manière ou d’une autre la persécution de M. Fabre. Quelle garantie  ce responsable politique peut-il avoir, après avoir subi cette énième violation de son domicile, pour oser s’engager dans des discussions avec le pouvoir ?

Beaucoup d’observateurs se demandent, sans pouvoir émettre un avis tranché, si de telles actions visent à éprouver M. Fabre et à le ramollir en vue de le pousser à la table de discussions. C’est une évidence dont on n’a pas besoin de parler que M. Fabre est aujourd’hui un pion déterminant dans tout dialogue qui va s’ouvrir au Togo. Du coup, le pouvoir de Faure Gnassingbé semble entrer en transe de colère lorsque le parti orange oppose un non possumus à ses offres de dialogue. La persécution et les tracasseries sont-elles la solution ? La question est là et il faut bien craindre que si le pouvoir vise à infléchir la position de M. Fabre en le soumettant à de si vils traitements, on peut parier que le résultat ne soit pas du tout ce qu’on attend.

Un contraste saisissant :dans un communiqué de presse en date du 12 juillet, l’ANC a expliqué son choix de ne pas aller au palais de la présidence par la persistance des cas de privation et d’abus d’autorité exercés sur les citoyens, les militants et les responsables du parti. Le communiqué indique notamment que l’ANC ne peut pas répondre à une telle invitation au moment où on continue de « priver le président de l’ANC des libertés élémentaires d’aller et venir en le faisant assigner à résidence, à le priver des libertés élémentaires d’organiser et de prendre part librement à des manifestations publiques pacifiques dans le cadre des activités normales du parti ». Ce que le communiqué dénonce et réclame, c’est ce qu’on a encore fait le samedi 14 juillet.

Le dernier mot : si Faure Ganssingbé veut vraiment trouver une approche concertée aux défis du pays, il doit en créer toutes les conditions et faire les sacrifices qu’il faut. La logique du « un pied devant, l’autre en arrière » ne lui rapportera rien.

Nima Zara

Le Correcteur N°359 du 16 juillet 2012