La déclaration de Praia oblige Faure à limiter le mandat présidentiel

Elections, alternance politique et stabilité en Afrique de l’Ouest

La déclaration de Praia oblige Faure à limiter le mandat présidentiel

 

« L’alternance au pouvoir et la limitation des mandats électifs sont des composantes essentielles des processus démocratiques » lit-on dans ce qu’on appelle la déclaration de Praia, rendue publique le 20 mai 2011. Dans cette déclaration, les Etats de l’Afrique de l’Ouest ont réitéré la nécessité pour chacun de promouvoir ces composantes afin d’assurer la stabilité politique dans la sous-région. Quel impact une telle déclaration a-t-il eu sur l’attitude de Faure Gnassingbé et de ses collaborateurs ? On est tenté de dire que c’est une déclaration de plus qu’on a fait signer au nom du pays. Sans suite.

Du contenu de la déclaration

La déclaration de Praia est le produit de la conférence régionale sur les élections et la stabilité en Afrique de l’Ouest tenue à Praia, capitale du Cap Vert, du 18 au 20 mai 2011. Cette conférence a rassemblé les délégués des 15 Etats de la CEDEAO, des représentants du système des nations unies, de l’Union africaine, de l’Union européenne, des organisations régionales, des organes de gestion des élections, des forces de sécurité, des organisations de la société civile ainsi que du monde universitaire et des médias. Au cours des trois jours, les participants ont examiné la situation des processus électoraux en Afrique de l’Ouest en se concentrant sur leur impact sur la démocratie et la stabilité de même que leur implication pour la prévention des crises et la consolidation de la paix.

Différents centres d’intérêt ont retenu l’attention des participants. Ils ont ainsi réfléchi sur des thèmes variés comme les élections et la prévention des crises, l’assistance électorale, les normes et principes des processus électoraux et l’administration électorale. En plus, des questions transversales possédant des liens étroits avec les élections ont été discutées. Le rapport cite entre autres les questions des droits de l’homme et Genre, des forces de sécurité et des médias.

Plusieurs positions ont été prises par la conférence, fondées sur des remarques pertinentes sur les pratiques politiques et électorales dans la sous-région. Ainsi, la conférence a souligné les deux niveaux de ces pratiques : un premier niveau caractérisé par des élections réussies dans certains pays, et le second niveau marqué par « des processus électoraux de plus en plus marqués par des tensions et des violences ». Cette catégorisation a permis de souligner les causes des processus électoraux peu réussis et soldés par des tensions et des conflits. Ces causes vont des « faiblesses de l’administration électorale, notamment la méfiance entre les acteurs, des structures de gestion partisane, le manque de mécanismes adéquats pour gérer le contentieux électoral et assurer une représentation inclusive ainsi que l’insuffisance de financements pour les élections ».

En outre, s’inspirant des élections en Guinée, au Cap Vert, en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Nigeria, les participants ont mis l’accent sur la « nécessité de renforcer la collaboration et le consensus entre toutes les parties prenantes aux élections en vue d’une approche holistique et viable des processus électoraux ». De ce travail a débouché la mise en relief de 14 points saillants de la problématique des élections transparentes et de la stabilité politique. Au nombre de ces points, on peut évoquer le cinquième selon lequel « l’alternance au pouvoir, ainsi que la limitation des mandats électifs sont des composantes essentielles des processus démocratiques ». Point fondamental et vital, ce cinquième point est davantage pertinent et vrai pour un pays comme le Togo où la crise politique permanente avec des pics tragiques porte sur la quête des uns de l’alternance au pouvoir et l’instinct de conservation à tous les prix de ce pouvoir par d’autres.

On peut en dernier ressort signaler les points 10 qui présente les élections libres et équitables comme un pilier de la démocratie et un préalable important pour le transfert pacifique du pouvoir,  et 11 qui revient sur le rôle des policiers, gendarmes et soldats dans les processus électoraux. Selon ce point 11 « l’impartialité des forces de défense et de sécurité, sous le contrôle démocratique de l’autorité civile, constitue un préalable à la conduite des élections crédibles ».

Une signature de plus

En considérant l’essentiel du contenu de la déclaration de Praia ci-dessus présenté, on peut dire que les pays de la sous-région ouest-africaine, le Togo notamment, disposent d’un état des lieux franc et pertinent dont ils peuvent s’inspirer pour conduire des processus électoraux viables. Parce qu’elle fait la description de la situation qui prévaut et propose une batterie de mesures et d’attitudes à adopter pour en vue de processus électoraux crédibles, la déclaration de Praia est a priori, même a posteriori, un outil de premier choix au service de la démocratie. A la différence de certains pays où la tradition démocratique s’est installée et se renforce au fil des élections acceptables, plusieurs autres restent des exceptions regrettables. Pour ces pays, force est de constater que l’on prend plaisir à signer les conventions, les protocoles et les déclarations pour ensuite n’en rien faire.

Le Togo fait sans doute partie des meilleurs élèves dans cette catégorie. Le pays signe tout ce qui passe sous ses yeux mais n’en fait nullement usage. Tout au plus se consacre-t-il à en appliquer les points et aspects qui lui conviennent ou qui ne constituent pas une menace directe et évidente pour le pouvoir confisqué depuis 1967. Autrement ? On ne peut pas comprendre que le Togo ait pu participer à cette conférence et signé cette déclaration sans que dans la gouvernance politique interne, on sente des changements notables. Qu’est-ce que le gouvernement a fait de façon remarquable pour donner une suite au point 5 de cette déclaration ? Non seulement l’alternance au pouvoir est un sujet tabou et une chose inimaginable pour les tenants de ce pouvoir mais encore et surtout la question de la limitation des mandats continue de soulever passions, crispations et réticences.

De nombreux dialogues politiques n’ont jamais permis à la classe politique de s’entendre sur le sujet pour la simple raison que Faure Gnassingbé ne semble pas imaginer ne plus être président dans 5 ans, dans 10 ans. Contre mauvaise fortune faisant bon cœur, ses représentants au dialogue au sein du cadre permanent de dialogue et de concertation (CPDC) ont admis le principe de la limitation en réussissant à le conditionner : la limitation du mandat oui, mais cela ne peut être possible qu’à partir de 2015. C’est-à-dire que s’il faut limiter les mandats à deux, les deux que Faure Gnassingbé fait depuis 2005 ne sont pas comptables. Tout va commencer en 2015, si cela lui convient.

La remarque est valable pour la préparation et l’organisation des élections. Bien que la déclaration de Praia ait insisté sur « la nécessité de renforcer la collaboration et le consensus entre toutes les parties prenantes aux élections en vue d’une approche holistique et viable des processus électoraux »,  il a fallu l’entêtement des responsables du Collectif Sauvons le Togo (CST) pour contraindre Faure Gnassingbé et son gouvernement à surseoir à la logique solitaire et unilatérale d’organisation des élections en vue. Avant les manifestations violemment réprimées des 12 et 13 juin, Faure Gnassingbé avançait tête basse, faisant fi de toutes les protestations et appels au bon sens de ses adversaires politiques. Des lois sur le code électoral et le découpage électoral sont passés à l’Assemblée Nationale en dépit de l’opposition des adversaires politiques. Une telle attitude est un démenti bruyant à l’esprit et à la lettre de la déclaration de Praia.

Signer des conventions et des protocoles pour le plaisir de le faire devient ainsi un choix de gouvernance pour Faure Gnassingbé. Récemment, les scandales des cas de torture signalés dans les geôles de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) malgré la signature du traité sur la torture, du bannissement des députés pro Fabre et surtout le refus d’appliquer la décision de la cour de justice de la CEDEAO en dépit du caractère contraignant de ses décisions pour les Etats membres sont des témoignages évidents de la propension du gouvernement togolais à prendre des engagements internationaux sans jamais les tenir. Le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance interdit toute révision de la loi électorale dans un délai de six mois avant les élections sans un consensus national préalable mais le code et le découpage électoraux ont été modifiés unilatéralement. La déclaration de Bamako adoptée par les Etats membres de l’organisation internationale de la Francophonie qui pose les bases d’élections pacifiques connaissent le même sort.

Au total, Faure Gnassingbé doit se montrer crédible et digne de confiance en tenant les engagements qu’il fait prendre au nom du pays. Le respect des recommandations des différents traités, protocoles et déclarations, la déclaration de Praia notamment, est pour lui un impératif si tant est qu’il est préoccupé par son image et sa notoriété à l’interne aussi bien qu’à l’externe.

Nima Zara

Le Correcteur N° 367 du 13 août 2012