« Pourquoi aller voter si l’élection doit être volée ? », c’est la question par laquelle Nicolas Sarkozy a résumé la justification de son intervention dans la crise post électorale en Côte d’Ivoire. Bonne question, et il est sûr que beaucoup d’électeurs de ce continent conviendront avec le président français. Mais M. Sarkozy n’a pas dit tout ce qu’il fallait.
La question telle que libellée est la même qui résonne dans la tête de tous ceux qui peuvent réfléchir en Afrique sur le bien-fondé des élections si c’est le même qui doit gagner, chaque fois, toutes les fois. La question est la même que se sont posé ceux-là qui, sur ce continent, ont renoncé depuis peu à leur droit de vote, étant arrivés à la conclusion que leur droit ne sert plus à rien. Nicolas Sarkozy a ainsi touché un paramètre essentiel de la démocratie et de sa pratique sur le continent mais sa formule n’est pas tout à fait juste.
Car si tous les électeurs du Togo, du Gabon, de la Centrafrique, du Tchad, du Congo et du Kenya peuvent convenir avec lui sans hésiter, ils lui diront en même temps que si, c’est parce que la victoire de Ouattara a été volée en Côte d’Ivoire qu’il a accepté d’engager les troupes françaises, pourquoi ne le fait-il pas au Togo et dans tous les autres pays cités plus haut ? M. Sarkozy a donc omis de dire, ou il feint de ne pas le savoir, que son pays s’engagera dorénavant dans tous les pays réputés indélicats en pratiques électorales.
M. Sarkozy, en déclarant à Yamoussoukro que « pourquoi aller voter si l’élection doit être volée ? » a réussi son action populiste mais il n’est pas tout à fait pertinent. Du moment où ce n’est pas Laurent Gbagbo seul qui se rend coupable de fraude électorale, il est incompréhensible qu’autant d’énergies et de moyens aient été mobilisés pour le « dégager ». Pendant ce temps, d’autres organisaient « leur » élection sanctionnée par « leur victoire », impunément et en toute complaisance. M. Sarkozy peut-il dire la main sur la conscience qu’il ne sait pas que les trois quarts des présidents qui l’entouraient dans la grande salle de la fondation Houphouet-Boigny le 21 mai sont mal élus, et que beaucoup d’entre eux ont créé les conditions d’une présidence à vie. M. Sarkozy ne peut pas ignorer que ce n’est pas en empêchant Gbagbo Laurent de réaliser son « véritable hold up » qu’il aide la démocratie à avancer en Afrique ; il ne peut pas ignorer que pour éviter que la démocratie régresse sous les tropiques, il est important de déclarer une guerre générale et sans clientélisme à tous les pouvoirs qui cèdent à la tentation des fraudes et tripatouillages électoraux pour se maintenir à la tête des pays, contre la volonté du grand nombre.
« La France n’avait pas de candidat ; c’est aux Ivoiriens de choisir librement leur président » a encore expliqué M. Sarkozy devant ses compatriotes réunis à Abidjan. Que c’est bien dit, mais peut-il dire qu’il ne connaît pas le secret de Polichinelle selon lequel Togolais, Gabonais, Centrafricains et autres Tchadiens sont gouvernés malgré eux par des présidents qu’ils n’ont pas du tout librement choisis ?
J’en conclus que l’omission de M. Sarkozy est volontaire, que la France et les Nations Unies ont des raisons particulières d’intervenir en Côte d’Ivoire. Autrement, pourquoi se taisent-ils devant les autres cas de hold-up électoral ?
Carole AKOGOVI
Le Correcteur N° 254 du lundi 23 mai 2011