L’indigeste sentiment de honte d’être Togolais

Les conclusions de l’UIP sur l’exclusion de députés ANC de l’Assemblée nationale :

L’indigeste sentiment de honte d’être Togolais

Le Comité des droits de l’homme des parlementaires s’est penché sur le problème et a désavoué l’Assemblée nationale togolaise en demandant aux autorités de prendre les mesures pour éviter au Togo cette honte et ces bizarreries juridiques pratiquées par la Cour Constitutionnelle ». L’interprétation de la réalité togolaise est juste à l’examen du dossier sur l’exclusion des députés de l’Alliance Nationale pour le Changement de l’Assemblée nationale, par les experts de l’UIP, à Panama, au cours de sa 133ème session, du 15 au 19 avril 2011.

Les énormités juridiques de la Cour Constitutionnelle sont extraites des égouts pestilentiels du jugement pour être soumises à la qualité de l’esprit qui fait de l’homme l’être supérieur. Une gifle terrible est infligée à tous les Togolais  et davantage à ceux qui incarnent nos institutions. Dans une démonstration claire, distincte, tout esprit peu averti en matière de droit accède aisément à une autodisqualification de la haute instance juridique togolaise dont Aboudou ASSOUMA  est le premier représentant. Un travestissement juridique dans toute sa grossièreté met aux juges de la haute  Cour des robes de théâtre pour une bouffonnerie que sanctionnent sévèrement les sommités du droit venues d’horizons multipolaires.

La démonstration des experts de l’UIP fait surgir en face de nous notre pays exposé en une galerie de sottises qui arrache un sourire narquois du monde entier. L’éminence juridique internationale s’appuie sur nos propres textes pour nous expliquer le contenu sémantique, légal, et l’esprit qui fonde leur élaboration pour nous faire voir sur la forme et le fond notre cécité aux antipodes du droit. Avec la démonstration du comité de l’UIP, dans la chronologie des faits et des preuves, on s’aperçoit que le droit n’est que le bon sens  formalisé en devoir et réparation. L’argumentaire de l’UIP, dans sa rigueur et dans sa méthode, étale au grand soleil le gribouillis de la Cour Constitutionnelle et le cambriolage juridique qu’elle opère au bénéfice d’un tiers.

Le raisonnement d’autorité de l’UIP est pédagogique parce qu’il convainc toute dilettante ou tout novice en droit. Les réactions de Aboudou ASSOUMA après le cours limpide de droit de l’UIP ne doit surprendre personne. La leçon est bien assimilée et face à sa conscience intime d’être vu et pris la main dans un triste exercice qui noircit le droit, il ne pouvait qu’essayer, dans une énergie du désespoir, de se donner une contenance et évoquer la primauté de la décision de la Cour Constitutionnelle sur tout autre jugement. Mais, le problème n’est pas du tout la primauté ou le caractère ascendant de la Cour. C’est plutôt sa crédibilité, ce qui motive sa décision et la force du droit. Le niveau de cette instance juridique ne saurait célébrer des platitudes et s’exposer aux attaques de tous genres. Les agitations de Aboudou ASSOUMA et de ceux qui l’ont mis en service commandé s’accommodent bien à l’idée de STENDHAL dans Armance : « On ne se console pas des chagrins, on s’en distrait ». Abdou ASSOUMA peut se distraire mais, il ne distrait guère les Togolais et tous ceux qui sont pourvus de raison et qui savent bien l’ordonner.

Si la décision de l’Union Interparlementaire n’est pas contraignante, quelle portée revêt-elle ?

Que peut attendre l’Union Interparlementaire des Togolais ?

 

1) Les conséquences de la décision de l’UIP

La force du raisonnement du Comité des experts en droit  en charge du cas togolais expose les énormités des autorités de notre pays à la face du monde, le despotisme juridique qui accompagne le régime, la valeur de ceux qui incarnent l’Etat. Le Comité a démontré la nullité en droit des lettres signées sans date  qui empêcheraient les probables élus d’une « transhumance politique ». Seule la signature en tant qu’élu de la nation engage le député dans une procédure de démission.

La procédure de démission du député est clairement inscrite dans notre Constitution. L’engagement pour une démission est personnel et ne peut pas s’opérer par procuration. Il est remis par l’intéressé au président de l’Assemblée nationale à titre personnel et la confirmation de l’engagement s’observe à une plénière par tous les élus. La protestation véhémente de M. TCHAGNAOU OURO-AKPO contre  sa démission annoncée par le président BONFOH suffit à interrompre le processus de démission supposée selon les règles inscrites dans notre Constitution. Quant aux autres cas, leur avis n’a jamais  été sollicité à la plénière.

En outre, « le 18 novembre, les députés de l’ANC adressent au Président de l’Assemblée nationale des lettres avec copies à la Cour Constitutionnelle affirmant qu’ils ne sont pas des démissionnaires », précise l’Union Interparlementaire. Nous n’allons pas reprendre ici tous les éléments de preuve des aberrations du droit au Togo telles que l’UIP les a épluchées dans ses travaux. Nous voulons montrer comment les questions civiques, morales, éthiques sont escamotées par ce qui suppose être des sommités juridiques dans notre pays. C’est la toute première fois que des barbaries juridiques de cette ampleur d’une Cour constitutionnelle sont relevées avec force détails  qui défient l’imagination et la raison. La première grande victoire de l’ANC, c’est  d’avoir mis les pratiques du régime togolais  au pilori international pour faire connaître le niveau zéro d’exercice des droits dans notre pays. Le monde entier comprend ce qui sous-tend au Togo les perpétuelles répressions, les tueries, les crimes économiques  et les crimes de masse.

Sur le plan économique, la relance tant vantée, qui pourtant est si difficile, risque de sombrer définitivement et handicaper durablement le pouvoir. Qui peut croire aux instances juridiques du Togo pour s’aventurer sur le terrain des investissements ? Une ritournelle des opérateurs économiques suit déjà le régime togolais. Ceux qui ont de grandes oreilles les entendent souvent dire : « au Togo, c’est compliqué ». L’argent a toujours horreur de l’insécurité. Si la justice doit être prédatrice de la sécurité des biens, des personnes et du capital, il est normal que les investisseurs n’ont rien à faire chez nous. Toutes les âneries de droit instaurent une jungle judiciaire qui fait fuir les capitaux. L’environnement judiciaire proprement insalubre est un handicap majeur à l’essor économique.

Le parlement d’un pays est une représentation digne de foi, de confiance et d’écoute pour interférer, conseiller, orienter son action économique et commerciale sur le plan bilatéral ou multilatéral. Les journées togolaises organisées par le Premier ministre Houngbo dans plusieurs pays européens ont un bilan dont personne n’a souvenance. Nos petitesses juridiques, morales, éthiques avec toutes les violations des droits humains ont maintenant annulé les balbutiements d’un accompagnement par des investissements du secteur privé.

Le monde économique est exigeant. Ce sont  les règles de droit qui encadrent dans la civilité les rapports de partenariat. Nos actes incongrus, illégaux, désadaptés et bas, diffusés partout dans le monde par l’UIP, placent le pouvoir togolais dans une situation d’autoflagellation. Le respect se mérite. Tant que nous ne réussirons pas à vaincre  nos propres démons, personne ne nous prendra au sérieux. En relations internationales on parle des pays fréquentables. Nos sottises nous placent à la lisière de l’«état de nature ». Nous n’avons aucun dédain pour la médiocrité et le désuet. L’esprit retors est un facteur opposant au progrès que récuse dans Germinal, Emile Zola  pour qui être dans le monde : « C’est vivre du mépris des choses honteuses et bêtes ». L’ANC (Alliance Nationale pour le Changement) avec le gain de la raison et du droit auprès  de l’UIP a donné un grand  coup au pouvoir togolais. C’est à lui d’imaginer une parade honorable pour se réhabiliter s’il veut apparaître comme un régime fréquentable.

2) De la honte à l’exigence d’un sursaut d’orgueil

Jean-Paul SARTRE explique le phénomène de la honte comme  l’emprisonnement de ma propre personne dans le regard d’autrui. Je me sens vu dans mes bassesses et le jugement qu’expriment d’autres consciences, réside dans leur regard. Le malaise et le mal-être que j’éprouve est une forme de torture inextricable qui me renseigne sur ce que je vaux de par les considérations qui doivent m’être  accordées. Dans son œuvre les Huis-clos, SARTRE laisse cette phrase célèbre à ce sujet : « L’enfer, c’est les autres ». Le Togo peut-il se permettre de vivre en vase clos, dans ce despotisme juridique pour prétendre amorcer  un progrès  économique et social ? L’enfermement est immonde. Dans nos bassesses, nous en avons une expérience noire. C’est à nous de choisir d’en sortir ou d’y demeurer avec nos apparences terriblement viles.

Si nous sommes incapables de respecter le minimum qu’exige l’esprit juste, le bon sens, les droits humains et si cela échappe aux instances régulatrices de l’ordre social, nous devons être sûrs que nous sommes au stade primaire de la constitution de l’«état de nature» tel que HOBBES l’a vu dans  Le Léviathan où «l’homme est un loup pour l’homme», c’est-à-dire, dans le règne de l’instinct sauvage qui imprimait à tout homme un caractère redoutable en vue de la préservation de sa propre nature, de sa propre vie.

Aujourd’hui, le monde est présent au monde. Nous sommes à l’ère de la communication, dans un village planétaire où toutes les célébrités négatives sont connues de tous et traitées avec dédain. En relations internationales, aucun pays ne peut être à l’aise dans sa chute et choisir bêtement d’y demeurer. Même l’esprit brigadier du jugement rendu dont Aboudou ASSOUMA se défend est une bêtise universellement admise. Mais, il ne saurait continuer à amuser ceux qui le jugent de son jugement et répondre à la raillerie de René DUMONT dans L’Afrique noire est mal partie lorsqu’il écrit : «Quand un nègre détient une parcelle de responsabilité, il devient dangereux pour ses semblables ».

Il est malsain, inhumain, indigne pour tout Africain de se servir diaboliquement des prérogatives de nos institutions pour réduire nos pays à l’état sauvage, les soumettre à des crises inutiles, les exposer au monde dans une parfaite incongruité qui renforce les vieux préjugés, les clichés insoutenables collés sur nos dos depuis des siècles et des siècles. Nous sommes le monde, nous devons y être et notre rôle n’est pas d’amuser les autres dans une bouffonnerie singulière. Nous n’avons pas vocation de nous inscrire dans la périphérie du monde en seconde zone. La raison est universelle. Sans émotion, sans passion, nous devons l’exercer pleinement. C’est seulement à cette condition que nous pouvons affirmer notre appartenance à la communauté humaine et inspirer le respect.

La souveraineté d’un pays ne réside guère dans une manie odieuse de dire le faux, d’exposer les peuples à une absence de reconnaissance et à l’indignité, de faire régner l’idiotie et la terreur. Nos institutions sont à l’image de ce que vaux notre pays. Autant nos institutions sont lézardées, autant le pays est ruiné. En Côte d’Ivoire qui est le cas le plus récent de la décadence, nous savons tous la part importante jouée dans l’implosion de ce pays par le Conseil constitutionnel incarné par le « géant » de la connaissance en droit constitutionnel, Paul Yao N’Dré. Son sosie est aujourd’hui identifié par le comité des experts en droit de l’Union Interparlementaire. C’est une bien triste nouvelle pour les Togolais que la doublure de Paul Yao N’Dré soit Aboudou ASSOUMA.

La vérité ne se déguise jamais, même quand on l’étouffe d’artifices divers aussi révoltants qu’humiliants. Elle s’enfle pour s’éclater parce que la voie de la lumière, du bien est celle de la vérité. L’esprit de responsabilité des Africains et de ceux qui sont supposés être leurs représentants doit grandir au-delà des avortons intellectuels, de l’irrationnel, du non-sens. Abdiquer à cette exigence, c’est s’obstiner à défendre le faux, à cultiver rigoureusement des médiocrités qui font la honte à tout un continent, à toute une race. Dans De la démocratie en Amérique, disait Alexis de TOCQUEVILLE : «Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau». Le monde africain nouveau est celui de l’esprit juste, celui de l’appartenance à une universalité unique où les hommes doivent mériter les responsabilités publiques qu’ils représentent avec une souveraineté de leur propre raison, c’est-à-dire, une exemplarité de l’impartialité.

La révocation ignoble des députés est une désacralisation du peuple togolais qui leur a confié un mandat. Il ne peut qu’exiger prompte réparation. Ce combat, qu’on le veuille ou non, a pris une dimension internationale. Et, chaque fois qu’un peuple est désacralisé dans sa lutte contre le faux-droit, il reçoit multiples appuis d’autres peuples. Le régime togolais a perdu toute sa force dans ce sacrilège juridique mis à nu par l’UIP. L’ignominie des libertins du pouvoir a pour finalité de réunir les quatre cinquième des députés pour mettre aux ordures le restant tronqué de notre Constitution et procéder à grande échelle à toutes les forfaitures. Ainsi va la réconciliation au Togo !

Didier Amah DOSSAVI

L’ALTERNATIVE N° 83 du 14 juin 2011