L’agriculture togolaise dans l’impasse totale

Forums du paysan : marché de dupes et dialogue de sourds

Après la tenue en fanfare des  trois premières éditions (2009, 2010 et 2011), le gouvernement togolais a cette fois-ci décidé d’organiser la 4ème édition du Forum national des paysans dans la sobriété et dans la discrétion la plus absolue.  Cette rencontre se tient depuis hier 21 mars et ce, jusqu’à demain vendredi 23 à Kara, ville du nord du pays qui l’accueille pour la seconde fois. Contrairement aux éditions précédentes, aucune publicité n’a été faite autour de celle de 2012 qui ne réunit qu’un peu plus de 200 paysans. Contrairement aux 2.000 participants qu’a drainés l’édition de 2011. Sans doute parce que le gouvernement togolais a compris qu’il ne sert à rien de dépenser des millions de fcfa pour  des rencontres qui, en fin de compte, n’aboutissent qu’à des promesses non tenues. Après l’organisation des trois dernières éditions du Forum des paysans, quels changements significatifs cela a apporté dans la vie de nos agriculteurs si ? Voilà la véritable question autour de laquelle des réflexions méritent d’être menées quand on sait que les conditions de vie des paysans sont encore très misérables malgré les efforts qu’on dit déployés en leur faveur.

« Je sais combien de fois votre travail est pénible. Je suis conscient des efforts que vous déployez pour nous permettre de manger. C’est pour cela que je ne vous laisserez pas seuls. Après les réflexions que vous avez menées au cours de ces assises, je vous prierai d’aller réfléchir et en 2012, lors de la prochaine édition, nous nous réunirons encore tous ensemble pour faire le bilan », a promis le chef de l’Etat aux 2.000 agriculteurs togolais lors de la clôture de la 3ème édition du forum national des paysans tenu l’année dernière à Dapaong. Malheureusement, cette promesse sera difficile à tenir. Et pour cause, il y a très peu de chance pour que Faure Gnassingbé soit présent à la 4ème édition de la rencontre annuelle des agriculteurs. Sans doute préoccupé par autre chose.

En effet,  contrairement aux éditions passées, le gouvernement à décidé d’organiser celle de cette années dans la sobriété. Un peu plus de 200 paysans seulement ont été invités aux assises contrairement aux 2.000 conviés à l’édition passée. Ils vont, selon Messan Ewovor, ministre en charge de l’Agriculture, évoquer la problématique de l’approvisionnement et de la gestion des intrants mais aussi la question de la commercialisation des produits agricoles et de l’amélioration de la productivité. Compte tenu de la restriction du budget, il n’y aura donc plus de dépenses folles. Ce qui va donc occasionner moins de gaspillage d’argent, moins de surfacturation et donc la chute de ‘’recettes’’ pour ceux qui profitent de l’organisation de cet événement pour se remplir les poches.

Manque de fonds de la part du gouvernement ou décision de réduire les dépenses liées à cette rencontre ? Seules les autorités pourront répondre à cette question. Mais toujours est-il que l’organisation de cette rencontre dans la sobriété est salutaire dans la mesure où les Togolais sont de plus en plus nombreux à se poser des questions sur l’opportunité même de l’organisation de cette rencontre annuelle.

Initié depuis 2009, le Forum national du paysan togolais se veut un cadre d’échanges entre autorités et agriculteurs en vue de permettre à ces derniers de se sentir plus à l’aise dans leurs activités. Cependant, en dépit des trois éditions déjà organisées, aucune amélioration significative ne se remarque dans la vie des paysans.

La 3ème édition organisée en février 2011 a permis non seulement aux agriculteurs de prendre des engagements pouvant permettre de redonner un nouveau souffle à leur secteur, mais aussi au gouvernement, en l’occurrence le chef de l’Etat, de rassurer les paysans quant aux efforts qui seront déployés en vue de leur permettre de vivre des efforts qu’ils déploient. Plus d’un an après, quel changement cela a-t-il apporté dans la vie de l’agriculteur de Womé ou chez le cultivateur de Guérin Kouka ? Aucun ou très peu.

Le Programme national d’investissement agricole et de sécurité alimentaire (PNIASA) a été  certes lancé depuis quelques semaines. Sa mise en œuvre, selon le gouvernement, permettra de poursuivre les actions courageuses et les investissements importants pour améliorer le dispositif institutionnel et productif, notamment l’approvisionnement en engrais, la commercialisation des produits agricoles, le crédit, la constitution de stock de sécurité, la recherche agronomique, l’appui conseil aux producteurs, la planification et le suivi-évaluation des activités. Mais, dans un pays où la corruption et les détournements de fonds ont été érigés en système, ce programme pourra-t-il aboutir à quelque chose de concret ?

Relance du secteur agricole : véritable volonté gouvernementale ?

« Aux grands maux, les grands moyens », a-t-on l’habitude de dire. Seulement, d’après certains spécialistes du domaine agricole, les autorités togolaises accordent peu d’importance à cet adage, étant donné que le plus clair du temps, ils n’apportent pas aux problèmes majeurs du pays de réelles solutions à même de les reléguer dans les oubliettes. Ces spécialistes avancent pour preuve le fait que bien que décidé à relancer le secteur agricole togolais, le gouvernement ne se donne pas les moyens de sa politique. Il attend toujours l’aide des partenaires alors qu’il a la capacité de prendre lui-même les choses en main.

D’après le Professeur Kako Nubukpo, enseignant-chercheur en Economie à l’Université de Lomé, au moment où le Togo organisait la première édition du Forum des paysans en 2009, seulement 5% de son budget (soit environ 17 milliards de FCFA) ont été consacrés au secteur agricole. Or, poursuit-il, ce secteur occupe plus de 70% de la population active locale, représente près de 20% des exportations du Togo et contribue pour environ 40% à la formation du Produit intérieur brut (PIB). Au regard de ces performances, l’agriculture constitue le moteur de l’économie togolaise sans oublier sa capacité d’offrir des produits alimentaires et de nombreux emplois

Par ailleurs, de l’Avis d’autres spécialistes des questions agricoles, en plus de l’aide des partenaires, ce secteur clé a besoin d’au moins 60 milliards de FCFA comme contribution de l’Etat pour connaitre non une amélioration complète, mais une amélioration acceptable.

Au cours d’un sommet de l’Union Africaine (UA) tenu en 2001 à Maputo en Mozambique, les chefs d’Etats et de gouvernement avaient convenu que chaque pays membre de l’Union mette tout en œuvre pour consacrer au moins 10% de son budget à l’agriculture, afin de la développer pour éviter les risques de famine sur le contient. Malheureusement, jusqu’alors, « aucun effort n’a été fait par le Togo pour atteindre le seuil fixé par l’organisation panafricaine, contrairement à certains pays africains qui ont compris l’importance de ce secteur et qui y consacrent une part importante de leur budget », estime un économiste.

Sous un autre angle, l’organisation, à coût de dizaines de millions, des éditions successives du Forum national des paysans, est perçue par certains analystes comme un folklore organisé par le chef de l’Etat et les siens pour tromper les agriculteurs. Sinon, alors que le Forum se veut une tribune d’échanges directs et francs entre les autorités et le monde agricole, comment comprendre qu’à chaque édition, le ministère de l’Agriculture soit obligé de préparer des questions  au préalables et d’obliger les paysans à les poser au chef de l’Etat au lieu de les laisser déverser ce qu’ils ont réellement sur le cœur? Comment comprendre qu’à chaque fois que des promesses sont faites par le président de la République aux agriculteurs lors de ces rencontres, la plus grande partie de ces promesses n’est jamais tenue ? Elles restent toujours à l’étape des discours. Tout compte fait, certains observateurs en concluent que « les éditions successives du Forum des paysans ne sont que des rencontres organisées à coût de millions de FCFA mais qui ne donnent rien de concret si ce n’est des promesses qui soit, ne sont pas tenues, soit sont tenues à moitié ».

Vu sous un autre angle, certains Togolais s’interrogent sur le temps qu’à attendu le Togo avant de se rendre compte de la nécessité de développer son secteur agricole. En presque 40 ans de pouvoir, rien de significatif n’a été fait par le père de l’actuel président, le Général Eyadéma, pour développer l’agriculture togolaise. Ce dernier s’est plutôt contenté de tromper ces concitoyens par le biais de son programme dénommé « Révolution verte ». Un programme importé de la dictature Zaïroise de Mobutu pour juste consacrer et perpétuer le culte de la personnalité.

Arrivé au pouvoir en 2005, Faure Gnassingbé a attendu jusqu’à 2009 (veille de l’élection présidentielle de 2010) avant d’organiser  la première édition du Forum national des paysans. Aujourd’hui, le Togo en est à sa 4ème édition alors que le Burkina Faso, son voisin du nord, organisera cette rencontre pour la 17ème fois cette année avec des succès à n’en pas parler.

C’est ce qui fait dire à certains que « ces manœuvres du gouvernement  ne relèvent que d’une stratégie électorale visant à faire croire aux populations que le régime de Faure Gnassingbé abat de grands travaux, alors qu’il n’en est  rien ».

Développer l’agriculture locale pour de bon

L’agriculture joue au Togo un rôle économique et social de premier plan et se hisse au premier rang des sources de croissance du pays. Comme mentionné plus haut, il occupe plus de 70% de la population active. Toutefois, ce secteur est l’un des plus négligés du pays. Cette situation, essaie-t-on souvent de démontrer du côté du gouvernement, s’explique par près de 15 ans de suspension de la coopération internationale qui a privé le Togo de la quasi-totalité des ressources destinées au développement. De ce fait, dans plusieurs contrées du Togo, les cultivateurs en sont toujours aux outils rudimentaires (houes, coupe-coupe, daba, pioches, pour ne citer que ceux-là) et leurs surfaces cultivables très réduites. « Rien n’est fait pour améliorer leurs condition de travail et leur permettre de vivre de leurs efforts », souligne un fils de paysan aujourd’hui cadre de l’administration. Le chef de l’Etat ne l’a-t-il pas reconnu lui-même lors de la 3ème édition du Forum des paysans de Dapaong lorsqu’il  disait aux paysans qu’ils se sont pris en charge pour éviter la famine au Togo « malgré l’affaiblissement des capacités d’intervention de l’Etat » ?

Le sort des cultures de rente destinées à l’exportation n’est guère meilleur. Le long de la route de Kpalimé par exemple, on peut encore trouver des  champs de café gagnés par la brousse, faute d’entretien. Idem pour les plantations de cacao de certaines localités dans les préfectures d’Amou et de Kloto qui ont vu leurs productions chuter considérablement pendant des années, par manque de moyens, envoyant une grande partie des cacaoculteurs au chômage. Face à cette situation calamiteuse dans laquelle se trouve le secteur agricole, le gouvernement se doit de réagir. Et ce ne sont pas les propositions qui manquent.

D’après Koffi Sodokin, enseignant-chercheur à l’Université de Lomé, l’amélioration de la productivité du travail dans le secteur agricole doit passer non seulement par l’utilisation de produits fertilisants (engrais), mais également par une meilleure formation des agriculteurs par la mécanisation ainsi que l’amélioration de l’irrigation.

Selon M. Sodokin, l’action du gouvernement ne peut aboutir à des résultats positifs qu’à condition qu’il y ait un appui régulier aux agriculteurs, étant donné que leur secteur reste encore très fragile et nécessite des moyens financiers importants qu’ils ne peuvent mobiliser seuls.

Aussi, Koffi Sodokin propose-t-il au gouvernement d’essayer de mettre en place « une politique agricole volontariste » afin d’éviter dans l’avenir des crises alimentaires à l’instar de celle connue en 2008.

En somme, cet enseignant-chercheur estime que le secteur agricole doit être favorisé car il constitue le domaine qui emploi une grande partie de la population. « En favorisant le développement de ce secteur, on diminue le risque d’augmentation du chômage et par là même, on réduit le risque de marginaliser une partie de la population », a estimé Koffi Sodokin.

Pour le gouvernement, il est plutôt opportun de départir le développement de la campagne politicienne et prendre la mesure du retard accusé par le développement agricole. Sinon, les forums agricoles ne serviront qu’à bleuir les paysans qui resteront dans le carcan rudimentaire de leur activité.

Isaac MAWUVI
L’Indépendant express N° 203 du 22 mars 2012