JOURNAL LE REGARD
Interview – de Jean-Pierre FABRE, Président National de l’ANC
- 1. La sauvagerie du pouvoir de Faure a encore fait parler d’elle à votre domicile. Votre commentaire ?
J-P F– Ce qui s’est passé chez moi le samedi 14 juillet 1012 n’est pas nouveau. Lancer des grenades lacrymogènes dans mon domicile est une pratique devenue banale pour les forces de l’ordre. Avant ce samedi, j’étais en possession de 54 douilles de grenades lacrymogènes tirées dans mon domicile depuis un peu plus de deux ans. Le samedi 09 octobre 2010, la veille de la création de l’ANC, M. Patrick JONDOH, Secrétaire National aux Affaires Electorales du parti, a été grièvement blessé dans la cour de mon domicile par une balle en caoutchouc tirée à bout portant par un gendarme, à travers l’entrebâillement du portail d’entrée.
Vous savez, on s’habitue rarement à la sauvagerie humaine. A plusieurs reprises, j’ai été victime de la brutalité des forces de l’ordre, de leur harcèlement et de leur furie meurtrière. Je m’explique toujours difficilement la violence avec laquelle ce régime s’en prend aux populations et aux leaders de l’opposition. Rappelez-vous les morts de la lagune de Bè, Soudou et Tavio Amorin en 1992 et les tueries de Fréau Jardin en 1993 ; rappelez-vous les massacres de 2005 ; rappelez-vous les nombreuses expéditions punitives des militaires à Bè au cours des années 1990 et à Témédja en janvier 2011 ; rappelez-vous l’attaque de mon domicile avec des armes de guerre en 1998 et, plus récemment, la violence gratuite dont j’ai été l’objet à mon retour de voyage le 08 juillet dernier : ni les militants venus m’accueillir, ni les autres usagers, même aux arrêts des feux tricolores, ne furent épargnés par le jets de grenades lacrymogènes, dans la nuit après 21 h 30 min!
Notez la rage avec laquelle les forces de l’ordre s’en sont pris aux occupants de mon domicile ainsi qu’à ceux des maisons voisines le 14 juillet dernier. C’était encore une expédition punitive dans tout le quartier.
C’est le lieu d’adresser mes vives félicitations et mes sincères remerciements aux populations militantes, notamment aux jeunes des quartiers, pour leur soutien et leur vigilance citoyenne. J’exprime ma compassion et ma sympathie aux blessés, à qui je souhaite prompte guérison.
Je salue le professionnalisme et le courage des journalistes qui ont réalisé des photos et des enregistrements vidéo. Grâce à leur travail, le Ministre de la Sécurité ne pouvait plus nier les faits. Il a été contraint de reconnaître dans une déclaration officielle, qu’« il a été établi sans équivoque que le domicile du Président de l’Alliance Nationale pour le Changement a subi, le 14 juillet 2012, des voies de fait imputables à des éléments des forces de l’ordre ».
Tout porte à croire que cette violence a été planifiée et exécutée dans le but de porter atteinte à l’intégrité physique des populations du quartier. Sinon, que faisaient les forces de l’ordre à Kodjoviakopé après avoir dispersé la manifestation du FRAC à Bè-Kodjindji ?
Et pourquoi lancer des grenades lacrymogènes et surtout des grenades à fragmentation dans un domicile, si ce n’est pour blesser voire tuer ?
- 2. Comment interprétez- vous la démission de Houngbo et la réaction de la présidence suite aux commentaires qu’a suscités cette démission ?
J-P F Gardons nous de toute interprétation hâtive du départ de Gilbert Fossoun Houngbo. La démission d’un gouvernement ou le changement de premier ministre est une option à la disposition du chef de l’Etat pour tenter de reprendre la main dans une situation difficile. Dans ce régime archaïque et réfractaire au changement, il s’agirait d’un coup politicien stérile, qui ne tromperait personne. Il ne nous appartient pas de servir de béquilles à un régime aux abois, qui se nourrit de l’impunité. Notre objectif est de réaliser l’alternance et le changement auxquels aspirent les populations togolaises.
- 3. Le pouvoir en place a choisi la répression comme moyen d’action politique et a substitué un mémorandum publié par le gouvernement à la Constitution en interdisant les libertés publiques et vous invite à entrer dans un gouvernement pour manger un peu et vous taire comme Gilchrist Olympio. N’est-ce pas un signe d’ouverture et une occasion à saisir?
J-P F : D’abord, que cela soit clair : à l’ANC nous ne faisons pas la politique pour manger. Notre combat a pour objectifs, la démocratie, l’Etat de droit et le bien-être des populations togolaises. Rien ne nous détournera de cela. Nous croyons que nos compatriotes le savent et c’est ce qui nous donne la force de continuer. Ceux qui poursuivent le pouvoir et les honneurs, peuvent trahir. Ce n’est pas notre cas. Nous mesurons le calvaire qu’inflige le régime RPT à nos compatriotes depuis des décennies et nous ne saurions nous associer aux tortionnaires du peuple togolais pour ‘’manger’’ comme vous dites. Pour l’ANC, l’opposition politique ne saurait constituer un tremplin vers une quelconque mangeoire.
Voilà pourquoi, je ne comprends pas que l’on nous invite à prendre part à un gouvernement sans autre intention que celle de nous amener à la soupe. Nous avons répondu non en expliquant les raisons de notre attitude. Et nous avons rendu publique cette réponse.
Il est incohérent de parler de participation au gouvernement avant un dialogue et des élections. A moins que la nécessité d’un dialogue ne s’impose pas et que l’évocation de ce mot ne vise qu’à divertir. De toutes les façons, vous n’ignorez pas que nous subordonnons toute rencontre pour discuter de quoi que ce soit, à la réalisation par le pouvoir en place, d’un certain nombre de préalables. Le prochain gouvernement, quels que soient son chef et sa composition, sera contraint de se plier à l’exigence d’un dialogue crédible pour sortir notre pays de la crise qui le mine depuis des décennies.
Vous me demandez si l’invitation à prendre part au gouvernement, n’est pas un signe d’ouverture. Je vous réponds que le pouvoir s’imagine avoir tendu un piège au « Collectif Sauvons le Togo » pour l’ imploser. Mais, comme disait le général de Gaulle, « Face à un piège à cons, on n’est pas obligé d’y tomber » !
- 4. Sous Gnassingbé père vous avez été souvent persécuté, arrêté et enfermé. En Août 1998 des obus ont même été tirés sur votre domicile. Aujourd’hui le fils vous traite comme un criminel, vous fait agresser, vous met en résidence surveillée et vous interdit de jouir de vos droits pourtant garantis par la constitution. Qu’est-ce qui selon vous justifie cette sauvagerie à votre égard ? Seriez-vous devenu une réelle menace pour son pouvoir ?
J-P F : Rien ne justifie cette sauvagerie à mon égard. Rien d’autre que la volonté de se maintenir au pouvoir ad vitam aeternam, même si cela passe par mon élimination physique ou mon départ en exil.
Pensez-vous que le régime RPT s’honore en refusant de me renouveler mon passeport arrivé à expiration ? Et qu’il ait fallu, alors que j’étais président de groupe parlementaire, que je saisisse les chancelleries et le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH) des Nations Unies pour que le passeport me soit remis trois mois après la demande de renouvellement, alors que le délai ordinaire pour tout citoyen est de deux semaines ?
Pensez-vous que le régime s’honore en m’empêchant de sortir de chez moi tous les samedis par le déploiement d’un dispositif de police et de gendarmerie à bord de plusieurs véhicules autour de mon domicile?
Pensez-vous que le régime s’honore en déversant des grenades lacrymogènes assourdissantes et des grenades à fragmentation sur mon domicile alors que ma mère, âgée de 91 ans, y vit ?
Pensez-vous que le régime RPT s’honore en me faisant révoquer de mon mandat parlementaire par une Cour Constitutionnelle aux ordres, avec 8 de mes collègues députés, en violation de l’article 52 de la Constitution qui interdit le mandat impératif?
Je peux multiplier à loisir les exemples d’actes par lesquels ce régime de dictature s’illustre quotidiennement dans sa nature oppressive en s’en prenant à ma personne, à mon parti et à ses militants.
Tous ces actes sont des violations de la Constitution, des lois de la République ainsi que des droits et libertés des citoyens, alors qu’en ce qui me concerne, mes actions s’inscrivent dans la stricte légalité.
Visiblement, je dois empêcher le régime de « massacrer en rond ». Depuis ces années que je suis l’objet de toutes les brimades et vexations, je considère l’attitude du régime RPT à mon égard comme un hommage du vice à la vertu.
- 5. Malgré la négation des libertés publiques, le pouvoir en place se dit tout de même disposé au dialogue. Et dans cette optique il vient de faire libérer provisoirement des jeunes arrêtés suite aux manifs des 12 ,13 et 14 juin. Répondriez-vous à sa prochaine invitation convocation ?
J-P F : Vous allez trop vite en besogne car, cela dépend de la réalisation des préalables que nous avons formulés. Comme j’ai eu déjà à le dire, il y a deux catégories de préalables. La première concerne la liberté de manifester, la restitution du matériel confisqué le 13 juin dernier et la libération des jeunes détenus. Nous sommes loin du compte puisque les véhicules confisqués et le matériel de sonorisation ne sont pas restitués. De plus, la liberté de manifester doit être rétablie et confirmée par l’organisation effective et la tenue sans entraves, de manifestations pacifiques.
Ensuite, il faut satisfaire la deuxième catégorie de préalables qui concerne le retour des 9 députés de l’ANC à l’Assemblée nationale, la mise en œuvre des recommandations de la CNDH et de la CVJR. Vous voyez qu’il y a encore du chemin à faire.
- 6. Depuis sept ans Faure a fait du dilatoire pour éviter les réformes fondamentales afin de prioriser les législatives pour se faire légitimer et mettre son parti sur orbite dans le but de se maintenir au pouvoir après 2015. Des experts en fraude scientifiques de la RDC seraient mis à contribution. Que feriez-vous si le processus électoral venait à être enclenché sans consensus?
J-P F : J’attends de voir comment le processus va être enclenché sans consensus comme le prescrit l’Accord Politique Global. J’espère que le régime a retenu la leçon de la mobilisation populaire de juin 2012.
- 7. Ne craignez –vous pas que certains de vos anciens compagnons qui ne sont pas du FRAC se fassent manipuler par Faure dans le but de vous diaboliser et vous pousser au boycott et vous isoler sur la scène politique ?
J-P F : Vous me faites penser une fois encore à la citation du général de Gaulle : s’il en est qui tiennent à tomber dans le piège à cons, libre à eux ! Mais rassurez-vous, à l’ANC il n’y aura pas de boycott. Nous recherchons un dialogue sérieux et responsable qui débouchera nécessairement sur des élections transparentes et crédibles auxquelles toute la classe politique prendra part. Dans le cas contraire, il n’y aura pas d’élections.
- 8. Vous avez été reçu, il y a environ un mois, à l’Elysée. Peut-on savoir ce dont vous avez-vous parlé ?
J-P F : Au cours de mon récent séjour en France, j’ai été reçu, le 4 juillet 2012, au palais de l’Elysée par M. Thomas MELONIO, Conseiller Afrique du Président de la République française. Nos entretiens ont essentiellement porté sur la situation sociopolitique du Togo, marquée par une aggravation de la crise qui mine le pays et une recrudescence des violations des droits et libertés des citoyens.
10 Vous auriez également été reçu la semaine dernière par le Président Blaise Compaoré. On peut dire que l’ANC déploie une communication tous azimut. Pouvez-vous dire quelles ont été les éléments essentiels de votre entretien ?
J-P F : Apparemment, rien ne vous échappe. La situation préoccupante de notre pays impose cette mobilisation de notre part. Notre démarche consiste à conjuguer la mobilisation populaire et l’information de la communauté internationale. Mais, il ne serait pas responsable d’exposer ici le contenu de mon entretien avec le Président Compaoré. Je peux vous dire qu’il connaît parfaitement la situation. Son rôle de facilitateur l’amène à la suivre quotidiennement. D’autant plus qu’il reçoit régulièrement les acteurs de la vie politique togolaise.
- 9. Que répondez-vous à ceux qui considèrent que la rue n’est pas le cadre approprié pour régler les problèmes.
J-P F : Face à un régime qui utilise l’arbitraire, la force brutale et la terreur pour se maintenir en place, nous opposons tous les moyens légaux, y compris le droit de manifester pacifiquement, conformément à la Constitution.
La rue a déclenché le processus de démocratisation de notre pays en octobre 1990. Elle a forcé l’amnistie générale et arraché la tenue de la Conférence Nationale Souveraine qui a permis à tous les Togolais de rentrer d’exil. Il est paradoxal et surprenant que ceux qui doivent à la rue, leur retour d’exil et leur statut actuel d’homme politique libre, pensent que ‘’la rue n’est pas le cadre approprié pour régler les problèmes’’.
Pour nous, la mobilisation populaire est invincible.
11- Votre mot de fin.
J-P F : Notre pays est encore une fois à la croisée des chemins et encore une fois, il appartient à ce régime de répondre aux préalables susceptibles d’ouvrir la voie à un dialogue sérieux et responsable, afin d’éviter au Togo, les lendemains amers d’un rendez-vous manqué.
Je lance donc un appel aux autorités togolaises pour qu’elles prennent la réelle mesure des attentes des populations, massivement et clairement exprimées au cours des manifestations pacifiques du CST ces derniers temps.
J’invite les partenaires et amis du Togo à user de leur influence pour aider les autorités togolaises à mettre fin aux répressions des manifestations pacifiques, à respecter la Constitution et les lois ainsi que les droits et libertés des citoyens et à entreprendre sur une base consensuelle, les réformes politiques nécessaires à des élections justes et équitables, transparentes et démocratiques.
J’appelle les populations togolaises à une vigilance accrue et je leur demande de rester déterminées et mobilisées autour de l’ANC, du FRAC et du CST afin de mettre définitivement fin à la dictature au Togo.
Interview réalisée par A.S. , le 24 juillet 2012
Le Regard du 01 août 2012