Incertitudes et tensions politiques autour du processus électoral
L’abus de confiance et la propension à l’arnaque politique à l’origine du mal
En s’engageant sans réserves pour le succès du dialogue politique de 2006 qui a conduit à l’Accord Politique Global (APG), Me Agboyibo était à mille lieues sûrement d’imaginer que le contenu dudit accord restera lettre morte jusqu’à ce jour. Pendant six ans en effet, Faure Gnassingbé et les siens n’ont pas eu le scrupule de tenir leurs promesses ni de respecter leurs engagements. Conséquence, soulignent plusieurs observateurs : l’intransigeance constatée actuellement du côté des forces d’opposition au sujet du processus électoral. Pour avoir été enfarinées durant six années, ces forces ne semblent plus prêtes à des consensus dynamiques d’où elles sortent abusées et déplumées. Elles ne croient plus en rien, en somme. Non sans raisons.
La mésaventure de Me Agboyibo
Convaincu que la méthode qui a fait lâcher du lest à feu Eyadèma et l’a amené à admettre la création de la commission nationale des droits de l’homme peut encore être efficace, Me Agboyibo s’est engagé pour le dialogue inter togolais de 2006. Pendant que beaucoup de ses camarades de l’opposition n’y croyaient pas vraiment, l’avocat de l’avenue du 24 janvier n’a pas baissé les bras, amenant petit à petit et au prix de mille et une accusations et disputes, à un consensus susceptible de remettre le pays à flot.
Cet engagement ferme a abouti à l’accord politique de base puis à l’Accord Politique Global (APG) après l’intervention du facilitateur Compaoré. Pour mettre en œuvre le contenu de cet accord, le gouvernement d’union nationale avait été proposé, Me Agboyibo en a pris la direction, avec courage, audace et surtout la foi de faire quelque chose de louable et de pérenne pour le pays. A l’arrivée, c’est peu de dire que c’était un gouvernement d’union presque pour rien.
Hormis en effet le fait remarquable selon lequel les législatives de 2007 ont été l’opposée bruyante de la présidentielle frauduleuse et sanglante de 2005, toutes les espérances de Yawovi Agboyibo ont été noyées dans le refus de modernité et de progrès dynamique de ses interlocuteurs, Faure Gnassingbé et ses amis. De l’avis de bien d’observateurs, Me Agboyibo a été utilisé par le fils d’Eyadèma pour se remettre en selle, regagner la confiance de la communauté internationale, faire reprendre la coopération avec Bruxelles, Washington, et surtout donner un caractère humain et fréquentable de son régime installé deux ans plus tôt dans le sang et les douleurs inouïes. Selon ces observateurs, le pouvoir savait sans doute qu’il ne respectera pas les engagements pris dans l’APG. Il a laissé donc faire tout en sachant très bien que le moment venu il va se cabrer et refuser d’avancer dans le bon sens. Les masques tombent à l’issue des législatives : Me Agboyibo est débarqué de la primature. Double perte pour lui : son parti le CAR se retrouve avec 4 députés seulement, l’APG n’est pas mis en œuvre. La leçon de l’histoire : on s’est servi de lui pour atteindre un objectif immédiat, après, on s’en est débarrassé, sans état d’âme.
Le mensonge de 2010
Après avoir enfariné ses adversaires politiques du 20 août 2006 jusqu’aux législatives du dernier trimestre 2007, le pouvoir de Faure Gnassingbé a remis à l’échéance de la présidentielle de 2010 la mise en œuvre de l’APG. Les adversaires y ont cru, attendant que le gouvernement Mally, mis en place au lendemain des législatives, ouvre assez vite le chantier des réformes institutionnelles : re-composition de la commission électorale, dela Courconstitutionnelle, recadrage du fonctionnement dela HAAC ; et constitutionnelles : limitation du mandat présidentiel, conditions d’éligibilité, découpage électoral, prérogatives du Premier ministre, etc.
Komlan Mally, Premier ministre de Faure Gnassingbé n’a rien fait de ce chantier. Son successeur Gilbert Houngbo a mis du temps à comprendre l’univers dans lequel on l’a parachuté et prendre la mesure des attentes ainsi que des crispations. Il ouvrira et fermera plusieurs sessions de dialogue sans jamais pouvoir toucher à la substance des réformes. A l’orée de la présidentielle, il se fait partisan, déclare ses amours pour Faure Gnassingbé et promet de s’engager dans la campagne en sa faveur. De réformes, point. La présidentielle de 2010 se déroule sous tension et s’achève sur ce qu’on voulait : la victoire de celui qui ne perd jamais. Nouvelle promesse, nouveau rendez-vous : 2012.
Houngbo comme un mouchoir
Un mouchoir, tout le monde sait ce qu’on peut en faire : on s’en mouche et dès qu’il ne sert plus à rien, on le jette très loin dans la première poubelle que l’on trouve. L’infortuné de l’ancien directeur Afrique du PNUD avec le pouvoir de Faure Gnassingbé ressemble fort bien au sort que des millions de gens réservent tous les jours à la race des mouchoirs.
A la démission de Komlan Mally, Gilbert Houngbo avait été agité comme la trouvaille exceptionnelle de Faure Gnassingbé. Le fonctionnaire du PNUD était censé posséder les qualités qu’il faut pour apporter des solutions adéquates aux problèmes du pays. Apolitique et hors de toutes les chapelles politiques, M. Houngbo devait agir exclusivement pour le bonheur des Togolais ; le concerné lui-même a eu le toupet de dire qu’en six mois, les Togolais devaient sentir que quelque chose changeait dans le pays. Non seulement les six mois sont passés sans que le miracle ait eu lieu mais la famille politique à laquelle il appartenait de fait n’a jamais voulu qu’il accomplisse la mission de recoller les morceaux épars de la politique nationale et du tissu social.
L’échec de Gilbert Houngbo passe inaperçue, à première vue. Ceux qui avaient une certaine connaissance et habitude des pratiques politiques du clan au pouvoir n’attendaient rien de la gestion Houngbo, cependant il y avait ceux qui avaient espéré et rêvé que le profil du Premier ministre aidant, Faure Gnassingbé devait et pouvait lui prêter une oreille attentive et ainsi lui permettre d’opérer des changements notables, notamment les réformes attendues depuis 2006. Il n’en a pas été le cas et la raison est simple : tout comme Me Agboyibo, Faure Gnassingbé a utilisé Gilbert Houngbo pour atteindre un objectif précis.
Habitué des sérails des nations unies et donc des relations internationales, Gilbert Houngbo était un alibi probant pour rentrer dans lesdits sérails, attirer les financements étrangers, des institutions de Breton Woods notamment. La présence de M. Houngbo dans le cœur du camp au pouvoir devait servir de caution et de faire-valoir. Quand l’objectif fut atteint, on n’a pas eu de regret à le voir démissionner et s’en aller.
L’abus de toute chose est nuisible
Le tableau ci-dessus témoigne de l’extrémisme qui caractérise la fixation de Faure Gnassingbé sur sa volonté farouche de conserver le pouvoir. Dans ce sens, il recourt à l’abus de confiance et à la propension à l’arnaque politique pour différer la tenue des promesses qu’il fait et surtout pour tourner en bourrique ses différents adversaires. politiques. Le malheureux sort de Gilchrist Olympio qui a signé avec le pouvoir un accord politique de cohabitation le 26 mai 2010 est le dernier acte en date du fils d’Eyadèma. Alors qu’on a promis au fils de Sylvanus qu’en six mois on fera toutes les réformes qui attendaient depuis 2006, deux ans sont passés déjà sans que rien n’ait été fait. Pris à son propre piège, M. Olympio en a perdu visiblement son latin, il ne dit presque plus rien.
Aujourd’hui, on parle encore de législatives mais, à la différence des autres fois, les adversaires politiques de Faure Gnassingbé se sont donné pour le mot pour refuser systématiquement de prendre part au processus électoral sans que les réformes viables aient été faites. Plusieurs manifestations du Collectif Sauvons le Togo (CST), plusieurs sorties médiatiques de la coalition Arc-en-ciel réaffirment cette volonté de sorte que la tension est sensible dans le pays. Les répressions des trois jours de manifestation dénommée « les derniers tours de Jéricho » ont renforcé la tension.
Comment tout cela va-t-il finir ? Nul ne saurait le présager même s’il semble évident que, échaudée à plusieurs reprises, l’opposition politique à Faure Gnassingbé craint tellement l’eau froide qu’elle ne croit plus aux promesses du pouvoir. Celui-ci a, sans honte ni pudeur aucune, renvoyé, une fois encore, à l’après législatives les réformes attendues depuis 2006. Réussira-t-il une fois encore son coup de force ?
Nima Zara
Le Correcteur N° 404 du 14 janvier 2013