Gouvernement
Accouchement difficile, Faure bloqué…
L’approximation, l’hésitation, l’improvisation, l’à peu près et même le cafouillage, caractérisent l’administration de Faure Gnassingbé en ces périodes. Deux semaines après la démission de Gilbert Houngbo, une semaine après la nomination d’un nouveau Premier Ministre, les conditions ne sont toujours pas réunies pour la formation d’un nouveau gouvernement. Hier, tous les regards étaient encore rivés sur les postes téléviseurs pour avoir la liste des membres du nouveau gouvernement. Peine perdue, alors que l’administration fonctionne au ralenti avec pour conséquences un pays qui est resté sclérosé. Faure Gnassingbé lui-même reste bloqué dans ce carcan, et le jeu des débauchages commence dans la sphère politique et civile pour avoir des ministres.
C’est la première fois au Togo que le gouvernement cherche vainement des ministres preneurs. Cela fait deux semaines que, quelques heures après le conseil des ministres, le Chef de l’Etat Faure Gnassingbé a demandé à son ex-Premier Ministre qu’il avait déniché du PNUD de lui remettre sa démission. Gilbert Houngbo n’en croyait pas ses yeux mais s’est finalement convaincu que le Chef de l’Etat était sérieux. La démission fut rendue dans la soirée même dans la foulée d’une confusion générale, alors que certains ministres n’étaient même pas au courant d’une décision aussi importante. Nous étions donc au lendemain des manifestations musclées de l’opposition avec une violence rare exercée par les forces de sécurité sur les manifestants.
Comme pour embobiner la classe politique dans la nomination d’un Premier ministre et la formation d’un nouveau gouvernement, l’administration Faure a ouvert un dialogue avec l’opposition. Grand étonnement, non seulement les partis politiques réunis au sein du « Collectif Sauvons le Togo » n’ont pas répondu à l’appel du dialogue, mais aussi et surtout, ils ont exprimé clairement leur refus de participer à un quelconque gouvernement. Les discussions menées avec la CDPA et le CAR n’ont pu permettre d’obtenir la volonté de ces partis de l’opposition traditionnelle de s’engager dans une aventure périlleuse de gouvernement, dans une atmosphère de crise et de dénonciation des différents maux qui minent le Togo.
L’ancien Premier Ministre Agbéyomé Kodjo, leader du parti OBUTS, n’a pas mis les gangs pour annoncer qu’il n’est pas intéressé par une certaine Primature. Le coordonnateur du CST, Me Zeus Ajavon, s’est exprimé dans le même sens. A tour de rôle, tous les acteurs ont été unanimes à rejeter l’offre du pouvoir RPT-UNIR.
Dans l’histoire politique du Togo, lorsqu’il arrive qu’un gouvernement soit dissout, les candidats se bousculent au portillon de la Primature et des postes ministériels. Certains vont jusqu’à se faire des coups bas pour ravir la place à leurs prochains. Ce qui rend concurrentiels les postes à pourvoir et les nominations, occasion pour le pouvoir RPT de jouer sur les sensibilités et de narguer les candidats qui donnent parfois dans le ridicule.
Aujourd’hui, à part le parti RPT-UNIR qui est déjà vomi par les populations et observateurs étrangers et certains petits cadres de l’Union des Forces de Changement, il n’ya plus de personnes sérieuses capables de donner une image crédible au prochain gouvernement. Le Premier ministre lui-même, Ahoomey-Zunu, étant d’ores et déjà décrié. Ce qui retarde la formation du nouveau gouvernement et qui met Faure Gnassingbé dans un embarras certain.
Un jeu d’échec
Les consultations pour la formation d’un nouveau gouvernement fonctionnent aujourd’hui comme un jeu d’échec où on place et déplace les pions. Certains anciens ministres qui étaient rassurés qu’ils seront maintenus au gouvernement voient déjà leur chance s’échapper. D’autres qui ont été appelés et à qui on a promis des portefeuilles se voient de plus en plus dans une position inconfortable, les mêmes portefeuilles à eux proposés étant soumis à d’autres challengers. Ce qui ne permet pas aujourd’hui, même dans les cercles les plus intimes du pouvoir, de savoir ce qu’il est du futur gouvernement. Mais une chose est sûre, c’est qu’il se dégage de plus en plus une manœuvre de débauchage de certains membres de l’opposition radicale et de la société civile. Malgré la position exprimée par certains acteurs de ne point répondre à un quelconque gouvernement, le pouvoir essaie toujours d’inviter ces acteurs objet de créer un climat de méfiance et de disloquer la dynamique des contestations.
Un pays dans l’impasse, une administration au ralenti
Le Togo depuis près d’un mois est dans l’impasse la plus totale. Les manifestations de rue avaient déjà ralenti le fonctionnement normal de l’Etat et de l’administration. La démission du Premier ministre et du gouvernement ont ajouté à cette impasse au niveau de l’administration, tout ceci aggravé par le déplacement massif des fonctionnaires, autorités et autres acteurs du secteur privé vers la région de la Kara pour la cause des luttes traditionnelles Evala. La présence à cet évènement est presque rendu obligatoire surtout que le suspens sur la formation d’un nouveau gouvernement constitue l’appât qui oblige à la politesse, au zèle et à la soumission.
Les conséquences de cette impasse sont lourdes pour le pays. Les sociétés d’Etat ne répondent plus à la clientèle comme il faut, les dossiers pouvant permettre des opérations financières restent bloqués, véritable perte pour l’économie, et le laxisme du reste des fonctionnaires qui, dans l’atmosphère de désertion de leurs collègues, ne se concentrent plus sur le travail.
Les ministres totalement débordés.
S’il y a des gens qui doivent souffrir en ce moment précis de l’attente du nouveau gouvernement, ce sont les ministres sortants et les candidats qui se sont faits consultés. La télévision nationale a du coup vu son audience augmentée, surtout aux heures du journal télévisé. Des ministres qui ne savent pas le sort qui leur est réservé s’ennuient à longueur de journée, faute de s’occuper dans une période d’expédition des affaires courantes. Cela s’appelle jouer sur la sensibilité des personnes, de près ou de loin, qui sont concernées de gré ou de force par la formation d’un nouveau gouvernement.
Vers une nouvelle surprise désagréable
Avec l’attente sans fin du nouveau gouvernement, avec le refus des forces principales de l’opposition de participer à cette nouvelle équipe et encore avec le coup de la nomination d’Arthème Ahoomey-Zunu comme Premier Ministre, beaucoup de Togolais, mais aussi des membres du corps diplomatique ne s’attendent pas à un gouvernement assez compétitif. On pourrait dans les prochains jours voir un gouvernement composée d’une racaille de gens se prétendant proches d’une certaine opposition et de la société civile. On verra des plaisantins de la diaspora venir se donner une certaine importance, alors qu’ils ne sont même pas capables de quelque chose d’important. Il se raconte que certains barons mis dans les décombres du RPT s’échauffent pour faire leur apparition dans le nouveau gouvernement.
Des jeux et des calculs qui ne rassurent pas le chef de l’Etat qui est lui-même aux commandes de la manœuvre, mais aussi les observateurs de la scène politique togolaise. Une situation qui permet de conclure que Faure Gnassingbé est bloqué face à un accouchement difficile du gouvernement.
Carlos KETOHOU
L’Indépendant express N°21 du 31 juillet 2012