Fondation Gnassingbé Eyadema : le mauvais départ de l’UNIR

Depuis le 14 avril dernier, le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) n’est plus. Même  si certains caciques de cet ancien parti unique, à l’instar de Solitoki Esso, ne veulent pas le reconnaître, cette formation politique est bel et bien dissoute et remplacée par l’Union pour la République (UNIR). Le RPT est  « mort », mais son patrimoine est là. Et Faure Gnassingbé a décidé de le verser à la Fondation Gnassingbé Eyadema qui verra le jour surement dans les mois à venir. En prenant une telle décision, le chef de l’Etat semble oublier un certain nombre de détails qui méritent de lui être rappelé : de 1969, année de sa création, à 1991, année du multipartisme,  le RPT a été un parti Etat. Reverser l’ensemble de son patrimoine à la seule Fondation Eyadema serait donc préjudiciable à la nation togolaise, qui devrait avoir droit au patrimoine de ce parti pour lequel de gré ou de force tous les togolais ont contribué. Question de bon sens et de logique. Analyse

 La fondation Gnassingbé Eyadema n’a pas encore vu le jour. Mais elle sera bientôt créée. Parole du Chef de l’Etat, Faure Gnassingbé, qui en faisait allusion dans son discours lors de la dissolution du RPT le 14 avril dernier à Blitta, au centre du pays. Cette fondation aurait-elle été créée si le RPT n’avait pas été dissout ? Pas si sûr. Ce qui laisse croire que c’est uniquement pour lui verser le patrimoine du parti quarantenaire qu’on prévoit sa création. Tout compte fait, la conclusion logique que les Togolais peuvent tirer aujourd’hui,  c’est que Faure Gnassingbé déteste si bien le parti de son géniteur qu’il ne voudrait rien en garder, même pas un trombone ou un stylo. Nul ne peut le condamner. Il a ses raisons. Mais au-delà, verser tous les biens du RPT à la future fondation qui portera le nom de son père,  il y a de quoi dire que Faure Gnassingbé exagère. A moins qu’il oublie totalement le passé politique du Togo sous le règne de Gnassingbé Eyadéma : Un parti unique, un parti Etat, qu’il avait  lui-même reconnu.

Le RPT, un système, une machine, un Parti-Etat

Après le coup d’Etat qu’il opéra avec certains de ses compagnons d’arme dans la nuit du 12 au 13 janvier 1963 contre le régime de Sylvanus Olympio, Gnassingbé Eyadéma, qui dit n’avoir pas opéré ce putsch pour confisquer le pouvoir, remit la direction du pays à Nicolas Grunitzky. Mais, de son poste de chef d’Etat-major des Forces armées togolaises, il observe à nouveau le paysage politique togolais et le 13 janvier 1967, il intervient une nouvelle fois dans l’arène pour soit-disant mettre un terme aux querelles politiques qui risquent de plonger le pays dans le chaos. Contrairement à 1963, il choisit cette fois de ne pas remettre le pouvoir à quelqu’un d’autre. Il le garda et c’est bien évidemment qu’il devient officiellement le Président de la République  du  Togo le 14 avril 1967.

Le 08 mai de la même année, tous les partis politiques sont suspendus. Deux ans plus tard, le 29 novembre 1969, le RPT vit le jour après l’appel historique de Kpalimé le 30 août. Pour son président fondateur, il ne s’agit pas d’un parti où triompheront comme jadis la haine, les divisions, les règlements de compte, les luttes d’hégémonie et les intérêts personnels, mais un seul et véritable creuset national où viendront se fondre les forces vives du pays. C’est l’époque du parti unique, qui durera longtemps, très longtemps.

Dès lors, le RPT, qui se voulait un lieu de rassemblement de toutes les composantes de la société togolaise, s’était transformé en instance suprême de la nation. Tous les Togolais ont été contraints d’y adhérer. Mieux, Gnassingbé Eyadéma en a fait un parti Etat par le biais duquel il installe une dictature sans précédant et un règne sans partage sur le Togo. Un règne digne de la période stalinienne. Animation forcée, culte de la personnalité, assassinats clandestins, contrainte à l’exil de tous ceux qui essayaient de dénoncer le système pervers du parti Etat, toutes les méthodes, aussi cruelles les unes que les autres, étaient bonnes pour obliger les Togolais à adhérer au RPT (la plupart du temps contre leur gré).

Et que dire de l’escroquerie gigantesque installée au sommet de l’Etat au nom du parti unique ? Cette escroquerie qui a consisté à imposer des cotisations fantaisistes de toute sorte en faveur du parti. Ces cotisations injustes, d’après ceux qui en ont été victimes, étaient directement  prélevées sur les maigres salaires des fonctionnaires et servaient à financer les activités du RPT. D’aucuns n’y croient peut-être pas. Pourtant, cette pratique était monnaie courante et n’épargnait personne, même pas les Forces armées togolaises.

L’on se souvient encore comme si c’était hier de l’incident survenu le 22 octobre 1992 en pleine période de transition. Ce jour là, les hauts conseillers de la République, qui jouent le rôle de parlementaires depuis la conférence nationale souveraine, sont pris en otage par un groupe d’hommes armés, dont beaucoup de militaires. Ceux-ci réclamaient quelque 300 millions de Fcfa et des arriérés divers qui devaient leur  être payés au titre des cotisations versées à l’ancien parti unique, le RPT. Tout simplement pour protester contre la dissolution du RPT par la Conférence Nationale Souveraine. Voilà qui prouve que la pratique était réelle. Et c’est ainsi que se faisaient  les choses jusqu’au 7ème conseil national du RPT de mai 1990 qui a décidé de dissocier le parti de l’Etat. L’avènement du multipartisme permettra donc aux Togolais d’adhérer librement à d’autres formations politiques nouvellement créées, mais avec la peur au ventre.

Rien n’a réellement changé avec le multipartisme

Jadis parti de tous les fils de la nation, le RPT deviendra un simple parti politique à l’instar du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) de Me Agboyibo, de l’Union Togolaise pour la Démocratie (UTD) d’Edem Kodjo, de la Convention Démocratique des Peuples Africains (CDPA) de Léopold Gnininvi.  Mais cessera-t-il pour autant de se servir des fonds de l’Etat ? Non.

 Si les autres formations politiques ont toujours vécu de la contribution financière de leurs militants, cela  n’a pas été le cas du RPT aussi bien du temps du père que du fils. Bien que dissocié de l’Etat, le parti de Gnassingbé Eyadéma a continué de se comporter comme avant, se servant allègrement de l’argent du pays pour financer ses activités.

Nombreux sont les Togolais qui se souviennent des moyens colossaux déployés par le Général Eyadéma lors des élections présidentielles de 1993, 1998 et 2003. Aux milliards de Fcfa puisés des caisses de l’Etat et utilisés par ce dernier pour battre campagne, corrompre certains candidats et procéder à l’achat des consciences lors de ces consultations électorales, s’est ajouté l’utilisation des moyens de locomotion de l’Etat. Cette armada financière provenait de la cotisation des militants du parti, tente-t-on de se justifier du côté du RPT. Toutefois, la probabilité est faible pour qu’il en soit ainsi car, cette formation politique n’a jamais été aussi impopulaire qu’en ces moments. C’est d’ailleurs ce qui explique le fait que malgré les moyens déployés et les achats de conscience, Eyadéma perdait dans les urnes et se voyait dans l’obligation de recourir à des fraudes massives pour garder le pouvoir. Par ailleurs, l’utilisation des moyens de l’Etat par le RPT est d’autant plus évidente que du début des années 90 jusqu’à 2005, le trésor public n’existait que de nom. Toutes les recettes générées par l’Etat étaient transférées vers La résidence privée du chef de l’Etat, Lomé II. Ce qui lui donnait la latitude d’en faire ce qu’il veut.

Avec Faure Gnassingbé qui dit être venu avec un esprit nouveau, la méthode n’a pas changé. Au contraire, elle s’est poursuivie et s’est même accentuée à certains niveaux. Les biens appartenant à l’Etat sont toujours utilisés par le pouvoir lors des élections, l’achat de conscience se poursuit mais se fait avec beaucoup plus de ‘’ruse’’. On se permet même de faire circuler des notes dans les services pour inviter les fonctionnaires aux marches organisées par le RPT ‘’défunt’’. Les véhicules des sociétés d’Etat servaient à transporter les militants  pour les activités du parti. L’administration était confondue à l’Etat. Même en 2005, après le recul de Faure Gnassingbé sous la pression populaire qui  a contesté son imposition à la tête de l’Etat par un quarteron d’officiers, il s’est servi de l’avion présidentiel pour se rendre dans son fief et les meetings de campagne étaient organisés avec les moyens de l’Etat. Les sociétés d’Etat étaient contraintes à des cotisations obligatoires pour fiancer campagnes et autres manifestations.

En définitive, en dépit de l’avènement du multipartisme au Togo depuis 1991, le RPT ne s’est jamais réellement dissocié de l’Etat. Il a continué à utiliser ses ressources.

Le RPT devrait plutôt rendre compte aux Togolais

Le chef de l’Etat l’a lui-même reconnu. Le RPT a fait beaucoup de mal aux Togolais. C’est justement pour cette raison qu’il le trouve trop encombrant et a décidé de s’en débarrasser. Il a d’ailleurs réussi à le faire, malgré l’opposition de certaines personnes influentes de son entourage. En plus d’avoir pillé systématiquement les ressources du pays, le RPT n’a jamais, sur le plan financier, retourné aux Togolais les cotisations injustes qu’il leur a soutirées avant 1990. Sur le plan psychologique, le RPT n’a jamais demandé pardon ni à ceux qui ont été victimes de ses méthodes brutales, ni aux familles de ceux qui ont perdu la vie par sa faute. C’est en cela que beaucoup de gens ne comprennent pas que le chef de l’Etat puisse décider de verser entièrement le patrimoine de ce parti à la Fondation Gnassingbé Eyadéma. Compte tenu des préjudices subis par le Togo et les Togolais du fait des erreurs de cette formation politique, la logique voudrait plutôt que ce patrimoine soit converti en argent et versé dans les caisses de l’Etat. Cela contribuera à réparer un tant soit peu les nombreuses injustices dont a fait preuve ce parti vis-à-vis des Togolais. Mieux ce patrimoine pourrait être liquidé pour servir à des causes caritatives, mais avec le regard d’une institution de l’Etat togolais. Le verser à une Fondation Gnassingbé Eyadéma, serait de narguer encore le peuple et le maintenir sous le joug d’un personnage qui a laissé un pays en ruine, totale.

Par ailleurs, en choisissant de se débarrasser de tout ce qui appartient au RPT, Faure Gnassingbé voudrait s’inscrire résolument dans une métamorphose de la pratique politique. Il voudrait donner l’impression que son nouveau parti, l’Union pour la République (UNIR), n’aura rien de commun avec l’ancien parti. Mais, est-il sûr que les survivants du RPT ne répliqueront pas les mauvais réflexes dans le nouveau parti, censé incarner un nouveau paradigme ? Est-il certain que les anciennes méthodes à l’instar de l’utilisation des moyens d’Etat n’auront plus cours ? Toutes ces questions méritent d’être posées dans la mesure où, même s’il arrive à se débarrasser des anciens, Faure Gnassingbé pourra se confronter à la rage et à l’agressivité des ‘’jeunes loups’’ qui ne sont pas des saints, loin s’en faut, même si c’est ce qu’ils essayent de lui faire croire. Certains d’entre eux sont pareils, voire pires que les anciens et attendent seulement que l’opportunité leur soit donnée pour le démontrer. Les éléments de preuves peuvent témoigner.

Rodolph TOMEGAH

L’Indépendant express N° 208 du 24 avril 2012