Fin de la comédie judiciaire au Palais de justice de Lomé
De lourdes peines d’emprisonnement infligées à 12 des prévenus
.Kpatcha Gnassingbé, le Cdt Abi Atti et le Général Assani Tidjani écopent chacun 20 ans de réclusion
. Les exceptions soulevées par les avocats de la défense rejetées par Abalo Pétchélébia et ses compères
Le procès d’atteinte contre la sûreté de l’Etat débuté le 1er septembre dernier au Palais de justice de Lomé a connu hier son épilogue avec la condamnation des 32 prévenus à des peines diverses. Le député de la Kozah, le Cdt Abi Atti et le Général trois étoiles, Assani Tidjani écopent de la plus lourde des peines avec 20 ans de réclusion. Le Capitaine de gendarmerie Casimir Dontéma, passera quant à lui 15 ans en prison. La grande partie des prévenus a été condamnée à des peines allant de 18 à 24 mois d’emprisonnement assorties d’un mois de sursis.
C’est avec les larmes aux yeux que les familles de Kpatcha Gnassingbé, du Général Assani Tidjani, du Cdt Abi Atti, ainsi que de nombreux autres détenus ont regagné leur domicile à la fin du fameux procès d’atteinte contre la sûreté de l’Etat.
Avant 10 heures –heure prévue pour le début des audiences-, le Palais de justice de Lomé était bondé de monde. Personne ne voulait se faire compter l’événement. Nombreux sont les parents et amis des détenus qui ont personnellement fait le déplacement pour assister à la phase finale de cette rencontre palpitante qui a opposé ces deux dernières années, Faure Gnassingbé à son demi-frère Kpatcha Gnassingbé. Mais il a fallu que l’assistance prenne son mal en patience et attende 12 heures pour voir le juge Pétchélébia et ses conseillers faire leur entrée dans la salle d’audience. Les choses sérieuses pouvaient donc commencer.
Après la lecture des noms des prévenus, la Cour s’est prononcée sur les nombreuses exceptions soulevées dès le début du procès par les avocats de la défense. Sur l’exception fondée sur l’incompétence de la Chambre judiciaire de la Cour Suprême de connaître de cette affaire, les juges ont estimé que, même si cette exception est fondée sur la forme, elle reste irrecevable parce qu’ayant été introduite après l’ouverture des débats. Elle a fait remarquer par ailleurs que c’est après avoir obtenu le report du procès et le transfèrement des détenus des cellules de torture de l’ANR, à la prison civile de Lomé, des décisions prises par ladite juridiction, que les avocats de la défense ont soulevé la question de son incompétence, ce qui rend la demande irrecevable.
Par rapport à l’exception portant sur l’absence de la levée de l’immunité parlementaire de Kpatcha Gnassingbé, Abalo Pétchélébia et ses collègues ont fait savoir que l’immunité parlementaire du député de la Kozah a été bel et bien levée par le Bureau exécutif de l’Assemblée nationale. Une correspondance, attribuée au bureau de l’Assemblée, a été lue par les juges dans laquelle le Parlement togolais donne carte blanche à la Justice de faire son travail dans la quiétude. « Entendu que le bureau de l’Assemblée nationale s’est abstenue alors qu’elle pouvait demander l’arrêt de la procédure comme elle en avait le droit », cette exception est également irrecevable, a estimé la Cour qui souligne d’autre part que le député était pris en flagrant délit de complot contre la sûreté de l’Etat. « Parce qu’il a été saisi au domicile de l’ancien ministre de la défense, des armes et objets compromettants ainsi que des plans destinés à la déstabilisation des institutions de la République, le flagrant délit est donc établi », ont fait savoir le juges.
L’exception portant sur les perquisitions faites au domicile de Kpatcha Gnassingbé en son absence a été elle aussi balayée du revers de la main par Abalo Pétchélébia qui estime que le seul fait que les officiers de police judiciaire qui ont procédé à la perquisition de la maison, étaient assistés d’un représentant du député, cela suffit pour légitimer cette action qui au demeurant est conforme à la loi.
Les avocats des prévenus avaient soulevé la question relative à la violation systématique des droits de la défense dans la conduite de la procédure. Les détenus avaient aussi dénoncé le refus qui leur a été fait de constituer des avocats. L’ex-Procureur de la République, Robert Bakaï et le juge chargé de l’instruction du dossier avait été mis en cause par les inculpés comme ceux qui se sont opposés à leurs demandes d’avoir un conseil, dès la phase d’instruction de l’affaire.
Pour la Cour, il s’agit là de simples allégations sans aucun élément de preuve. Est-ce la raison pour laquelle elle a refusé d’auditionner le très zélé ex-Procureur de la République ? Nul ne saurait l’affirmer. Toujours est-il que la Cour demande aux détenus de lui fournir la preuve de ce qu’ils avancent. « Mais comment le feront-ils tout en étant en prison ? », se sont demandé certains.
Sur l’épineuse question de la torture, les juges ont semblé joué à l’équilibrisme. Même si dans ce cas, les prévenus n’apportent pas la preuve qu’ils ont été soumis à des traitements inhumains, et dégradants, les juges ont affirmé avoir cru en leurs allégations, raison pour laquelle ils ont instruit les autorités togolaises à diligenter très rapidement une enquête sérieuse et impartiale afin d’établir es responsabilités. Cependant, la Cour n’a pas daigné répondre à la question de l’indemnisation des victimes de l’ANR. Pour ces cas de tortures, les détenus sont condamnés à leurs dépens, a indiqué la Cour dans son verdict final. En d’autres termes, ils ne pourront réclamer aucune indemnisation financière.
Dans sa réquisition du 13 septembre dernier, l’Avocat général, Aworou Missité ayant constaté l’absurdité des chefs d’accusation portant sur la « tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat » avait demandé à la Chambre judiciaire de la Cour suprême de requalifier les faits en « complot contre la sûreté de l’Etat », demande contre laquelle s’étaient insurgés les avocats de la défense qui ont argué que, s’il devait être ainsi, il faut à la Cour de rouvrir les débats au fond.
Ce à quoi se sont opposés Abalo Pétchélébia et ses conseillers. Ils ont estimé que c’est un droit reconnu au ministère public de demander la requalification de l’accusation à toutes les étapes du procès. Ceci n’aboutit pas forcement sur la reprise des débats au fond.
Après ces mises au point, chaque détenu s’est entendu lire le verdict de la Cour à son encontre et les motifs qui sous-tendent ce verdict.
Kpatcha Gnassingbé
Le juge a fait savoir que le prévenu n’a pas reconnu lors des débats, les faits de tentative contre la sûreté de l’Etat qui lui sont reprochés. Cependant, note la Cour, le député a affirmé à l’audience qu’il avait reçu des informations des sieurs Bawa Zack et Sassouvi Ekué, faisant état de ce qu’un groupe d’officiers de l’armée s’apprêtait à s’emparer du pouvoir. Sur la base de ces informations, il a contacté le Cdt Atti afin de récupérer la tentative à leur compte. Mais en réalité, le député avait affirmé qu’il avait des informations faisant état de ce que le Cdt Atti faisait partie de ce groupe d’officiers. C’est dans le but de lui arracher des informations, qu’il lui avait fait la proposition de participer au complot.
La Cour relève également que le député a avoué à la barre n’avoir pas été du tout content de la façon dont il a été éjecté du gouvernement par son frère aîné. En plus, la tentation d’opérer un coup d’Etat fut à son paroxysme lorsque le Général Tidjani va lui conseiller de passer à l’acte en lui apportant un soutien moral et intellectuel.
Pour préparer au mieux son action, constate la Cour, Kpatcha Gnassingbé aurait effectué courant 2008, un retrait de 266 millions dans les livres d’une institution bancaire de la place. Ces faits, souligne la Chambre judiciaire de la Cour Suprême, constituent des faits de complot contre la sûreté intérieure de l’Etat.
Cdt Abi Atti
La Cour a également fait observer que le Cdt Abi Atti n’avait pas reconnu les faits qui lui étaient reprochés au cours du procès. Cependant, relèvent les juges, il a reconnu avoir pris des contacts avec le député Kpatcha lors de son retour de mission d’Abidjan. Que l’idée consistait à provoquer des mutineries dans certaines casernes du pays en l’absence de Faure Gnassingbé qui devait effectuer un voyage en Chine, déboucher sur un coup d’Etat. Qu’il a, à cet effet, signé un engagement de fidélité avec le député de la Kozah.
Les juges ont fait remarquer que la promptitude dont a fait preuve cet officier dans l’acceptation des propositions de Kpatcha Gnassingbé, s’expliquait par le fait qu’il avait des ressentiments contre le locataire du palais de la Marina et contre son entourage qu’il accuse de bloquer ses avancements professionnels. En l’espèce, a martelé le président de la séance, le crime de complot contre la sûreté intérieur de l’Etat est établi et le prévenu doit être puni conformément aux dispositions en vigueur.
Capitaine Dontéma Casimir
Même si ce Capitaine de gendarmerie n’a pas reconnu les faits qui lui étaient reprochés, il était au courant d’un projet de putsch que projetait un groupe d’officiers des FAT encore en fonction. Des informations qu’il aurait transmises à sa hiérarchie ainsi qu’au député Kpatcha. Mais pourquoi n’a-t-il pas prévenu le sommet de l’Etat de ce qui se tramait ? S’interrogent les juges.
Essozimna Gnassingbé
Selon la Cour, contrairement aux prévenus, celui-ci aurait reconnu les faits qui lui étaient reprochés et affirmé qu’il a été bien au courant du plan concocté pour renverser les institutions de la République.
Le Général Assani Tidjani
Il a été relevé par la Chambre judiciaire de la Cour suprême que ce dernier a rejeté toutes les accusations portées contre lui. Mais, soutient cette chambre, le Général a été nommément cité par Kpatcha Gnassingbé comme celui qui l’aurait incité à passer à l’action et qui l’aurait fourni les plans d’attaque. En outre, constatent les juges, il nourrissait une haine viscérale contre Faure Gnassingbé et son entourage qu’il accuse de l’avoir humilié en le faisant arrêter par la police béninoise alors qu’il se rendait au Nigeria. Pour toutes ces raisons, affirme le président de la séance, l’officier est passible de peines d’emprisonnement.
Najar Bassam
Il est reproché à cet homme d’affaires libanais d’être le bras financier de l’insurrection. Celui-ci étant en fuite, la Cour a confirmé le mandat d’arrêt international qui a été lancé contre lui.
Le Capitaine d’aviation Adjinon Lambert
Les juges ont fait observer que même si celui-ci nie les faits, il est établi qu’il avait détruit la carte Sim de son téléphone qui contiendrait des éléments compromettant. L’officier a déclaré qu’il a procédé à cette destruction parce que Kpatcha Gnassingbé lui aurait conseillé de le faire parce qu’il était mis sur table d’écoute. Pourquoi avoir détruit cette carte s’il ne se reproche rien ? S’est interrogé Abalo Pétchélébia ?
Séidou Ogbakiti
Il a été noté que celui-ci, à l’instar des autres détenus, a nié les faits. Cependant, souligne la Cour, il a affirmé au cours des débats avoir été informé par le biais du Cdt Atti qu’il serait le chef de sa garde rapprochée lorsqu’ils allaient s’emparer du pouvoir. Qu’il reconnaît avoir été envoyé au Ghana par le député de la Kozah pour faire des achats de cartouche.
Il y a lieu de souligner que le prévenu a confié qu’il avait l’habitude d’accomplir cette mission pour la famille Gnassingbé, même du vivant du Général Gnassingbé Eyadema. Ces cartouches, avait-il dit, étaient aux besoins de chasse, une activité qu’Eyadema et certains de ses fils adoraient plus que tout.
Tchinguilou Sondou
Les juges ont fait remarquer que celui-ci, étant l’homme de confiance de Kpatcha Gnassingbé, il ne pouvait en aucune manière ignorer l’existence d’un projet d’agression contre les institutions de l’Etat. Ce qui le rend complice de ce projet.
Tout comme lui,, les autres prévenus ont été désignés par la Cour comme étant des complices de ce qui se tramait, parce que n’ayant pas averti les autorités, malgré leur connaissance du plan.
A la suite de tout ce rituel juridique qui a duré deux heures d’horloge, les juges ont fait savoir à l’assistance la décision de la Cour de faire droit à l’Etat togolais en acceptant la constitution de ses avocats comme partie civile dans cette affaire. Au motif que l’Etat aurait mobilisé d’importantes sommes d’argent en vue de recueillir des informations sur ce que projetaient les comploteurs, qu’il aurait subi de graves préjudices financiers résultant de l’annulation du voyage d’Etat que devait effectuer Faure Gnassingbé en Chine à l’époque des faits et du préjudice moral que cette affaire lui a causé sur le plan international, l’Etat a demandé la réparation de ces préjudices à hauteur de 80 milliards de F CFA et 1 F symbolique.
Existe-t-il une preuve des préjudices allégués ? C’est la question qu’a posée la défense à la Cour pour lui demander de ne pas prendre en compte cette exigence. Demande à laquelle les juges ont accédé en rejetant cette demande de la partie civile.
Les peines
Kpatcha Gnassingbé, le Cdt Abi Atti et le Général Assani Tidjani ont été condamnés à 20 années de réclusion avec la déchéance de leurs droits civils et confiscation générale de leurs biens. Le Libanais Najar Bassam, est quant à lui été condamné par contumace à la même peine. Casimir Dontéma et Towbéli Kouma ont tous les deux écopé de 15 ans d’emprisonnement. Certains détenus ont été condamnés à 10 ans d’emprisonnement et d’autres entre 12 et 24 mois de réclusions dont un (1) mois avec sursis.
Ainsi prit fin ce procès sous les injures et les pleurs des familles des prévenus.
Olivier A.
Vendredi, 16 Septembre 2011 00:00 www.liberte-togo.com