Entre les bouderies de l’ATC et les menaces des étudiants
Faure Gnassingbé rattrapé par sa politique des promesses jamais tenues
Pendant que l’affaire Pascal Bodjona défrayait la chronique mettant en relief les cocasseries de la gouvernance de Faure Gnassingbé, les étudiants de l’université de Lomé exprimaient bruyamment leurs craintes et leur déception face au non respect de l’accord de juillet 2011. De son côté, l’association des consommateurs qui se réveille une fois encore élevait la voix pour condamner l’augmentation du prix du gaz domestique. Ces deux événements soulignent une fois encore que le pouvoir de Faure Gnassingbé se hâte de signer des accords juste pour éteindre les feux et faire ensuite ce que bon lui semble. C’est la politique des promesses jamais tenues.
Des étudiants désemparés
Le ministre Broohm qui vient d’hériter du ministère de l’enseignement supérieur n’oubliera pas très vite cette journée du lundi 3 septembre 2012. « Si vous me laissez entrer et prendre contact avec mes collaborateurs qui ont en main le dossier, je pourrai vous dire où on en est exactement avec l’évolution du traitement et de la programmation des aides à payer » disait-il, à peu de choses près, pris dans les tenailles de la foule d’étudiants désabusés et excités. Ces derniers n’ont eu d’autre recours que de se déplacer au ministère de l’enseignement supérieur qui abrite en même temps la direction des bourses et étages pour crier haro sur le gouvernement qui ne respecte pas les promesses de paiement d’aides aux étudiants.,
Le problème est simple : au lendemain de la grave crise universitaire de l’été 2011, un accord a été signé entre les mouvements étudiants et les partenaires de la chancellerie universitaire et du gouvernement. Cet accord proposait un modus vivendi aux différentes revendications des étudiants en rapport avec le fonctionnement du système LMD, le financement de études et l’équivalence des diplômes. L’accord avait retenu que des tranches d’aides seraint versées aux étudiants suivant des critères retenus de commun accord.
L’année académique en cours s’est déroulée sous le contrôle de cet accord. Ainsi, au moment où l’année court assez vite vers son crépuscule, les aides financières promises ne sont pas au rendez-vous. Pour des raisons que les étudiants disent ignorer, la première tranche d’aide attend même de tomber dans les comptes bancaires. Or, les derniers examens sont déjà en route et la crainte des étudiants se renforce. « Dès qu’on finit les examens, on n’a presque plus de marge de manœuvres. On sera laissés à nous-mêmes, les aides resteront impayées », explique l’air amer un responsable d’étudiants. On y comprend que, contrairement à ce qui a été promis, les aides financières n’ont pas été versées en temps opportun de sorte que les étudiants sont aux portes des vacances et d’une nouvelle année sans avoir perçu lesdites aides au compte de l’année finissante. Le gouvernement pourra-t-il payer toutes les tranches à tous les étudiants en un ou deux virements ? Les étudiants de l’université de Lomé se posent sûrement la question, avec anxiété et peut-être pessimisme.
Désolation au sein des consommateurs
Comme une pluie en plein mois de sécheresse, l’augmentation du prix du gaz domestique est tombée sur les consommateurs à l’improviste. Les plus malheureux ont dû rebrousser chemin et aller chercher la différence avant de pouvoir acheter une nouvelle bonbonne à la station-service du quartier. S’y étant rendus avec la somme jusque-là exigée, ils ont eu la surprise du chef de voir affichés de nouveaux prix. Comme un voleur, le gouvernement a modifié les prix sans prévenir. Ce qui est encore étonnant et fâcheux, c’est la marge des augmentations. Elle se situe entre 30 et 40%. Réaction immédiate : l’Association Togolaise des Consommateurs (ATC) est montée au créneau et a condamné sans ménagements la mesure gouvernementale.
Dans une rencontre avec la presse le mardi 4 août, l’association s’est indignée du passage du prix de la bouteille de 12 kg de 4055 F à 5500 F, soit une augmentation de 1445 F ; de celui de la bouteille de 6 kg de 1945 F à 2640 F. Pour cette association de défense des intérêts des consommateurs, cette attitude du gouvernement est inadmissible et pourrait conduire à un appel au boycott des produits gaziers de Total et Sodigaz si jusqu’au 11 septembre, « aucune solution n’est trouvée au problème ».
Promesses jamais tenues, une fâcheuse manie
« L’habitude est une seconde nature », dit-on souvent. On est tenté d’y ajouter le dicton français selon lequel « chassez le naturel, il revient au galop ». Parlant du gouvernement de Faure Gnassingbé, c’est peu de dire que ces formules lui conviennent assez bien. Sur la question, les observateurs et habitués de la politique togolaise rappellent encore et toujours la « parole de militaire » de feu Eyadèma. Alors qu’il avait promis devant son ami Jacques Chirac, agissant comme facilitateur, qu’il ne sera pas candidat à la présidentielle de 2003, la constitution en vigueur à l’époque limitant le mandat du président à 2 fois 5, feu Eyadèma n’a pas eu de retenue ni de gène pour nier sa propre parole. Promesse faite pour décider Gilchrist Olympio et ses camarades de l’opposition à signer l’accord cadre de Lomé, promesse jamais tenue. Pour les observateurs donc, cette pratique reste une constante et même une caractéristique du pouvoir de Lomé. A plusieurs occasions, on choisit de faire des propmesses en sachant très bien qu’on ne les tiendra pas. Dans le camp du pouvoir togolais, on tire souvent alibi de ces mots de Léopold Gnininvi : « un accord n’engage que ses signataires » pour prétendre à faire aussi ce qu’il veut des accords qu’il signe tambour battant.
Ces observateurs ont peut-être raison de rappeler le mensonge historique de feu Eyadèma mais depuis 2005, la politique togolaise n’a pas changé. Faure Gnassingbé, son héritier biologique et politique n’a pas changé de fusil d’épaule. L’Accord Politique Global (APG) est vraisemblablement la meilleur illustration de cette propension à prendre des engagements pour ensuite passer outre. Si un collectif dit Collectif Sauvons le Togo (CST) a pu voir le jour et s’inscrit dans la dynamique de la contestation obstinée et tous azimuts, c’est parce que les promesses contenues dans cet accord ont été oubliées dès que le calme et une certaine légitimité sont revenus dans le pays. De même si des politiques comme Yawovi Agboyibo et Léopold Gnininvi, naguère résignés à la conciliation et au dialogue, ont cru opportun de rejoindre le CST dans les manifestations de rue, c’est encore le prix des promesses non tenues.
Effectivement, Faure Gnassingbé et son personnel politique, d’aucuns insistent pour qu’on ajoute le personnel militaire, ne montrent aucune volonté de faire les réformes contenues dans l’APG. Les réformes qui doivent rendre le cadre électoral neutre et crédible, celles qui feront des institutions de la république, cour constitutionnelle, haute autorité de l’audiovisuel et de la communication, commission électorale nationale, etc., des institutions au service de tous et du bien général au lieu d’être utilisées par certains seulement pour s’imposer à la majorité et s’incruster au pouvoir éternellement, Faure Gnassingbé et ses amis n’en veulent pas, visiblement. A-t-on besoin d’évoquer le sort réservé à l’accord du 26 mai 2010 ? M. Olympio croyait décrocher la lune en signant cet accord ; plus de 20 mois après, il trompe les apparences en circulant dans le pays dans une sorte de pré campagne. En réalité, la déception est indicible mais tout incline à croire qu’il a intérêt à n’en rien dire. Par pudeur.
Sur le plan social, la situation est la même. Si les étudiants en sont venus à séquestrer, concédons de le dire ainsi, leur ministre de tutelle, c’est parce que les promesses qui leur ont été faites ne sont pas tenues. Le gouvernement ne pouvant pas dire qu’il n’a pas vu l’année aller à son terme, l’évidence doit être faite que la logique était, à la signature de l’accord, de calmer les étudiants et de les tourner ensuite en bourrique. Idem pour l’augmentation du prix du gaz domestique. Alors que l’accord intervenu au lendemain des émeutes du pétrole imposait des consultations avant toute augmentation ainsi qu’une adaptation systématique des prix selon le cours mondial, le gouvernement de Faure Gnassingbé a ignoré tout cela et a fait selon sa volonté. C’est vrai que les consommateurs du gaz domestique ne sont pas nombreux mais n’aurait-il pas été plus intéressant d’en informer les partenaires du monde syndical ?
En faisant le tour de ces éléments d’appréciation et d’information, on peut bien se demander pourquoi le système en place dans le pays a autant pris goût à faire des promesses pour ne jamais les tenir. En même temps que cette habitude est un véritable facteur de tension et de crise sociale, elle peut être vue comme l’expression d’une suffisance mais aussi d’un mépris vis-à-vis des partenaires sociaux et des adversaires politiques. C’est à regretter parce que nul ne peu présager des conséquences désastreuses que cela peut avoir sur la stabilité du pays à moyen ou long terme
Nima Zara.
Le Correcteur N°373 du 06 Septembre 2012