Répression démesurée des manifestations du Collectif Sauvons le Togo
Ayant fui le dialogue sincère, Faure Gnassingbé préfère faire tuer les nourrissons, gazer les adultes
et profaner les lieux saints
Ceux qui ont osé dire et croire que le Togo a changé se sont trompés. Dans ce pays, l’hypocrisie et le trompe-l’œil sont érigés en système de fonctionnement de sorte que les scènes ignobles de mardi 12 et mercredi 13 juin sont apparues comme les contre-preuves des prétentions quotidiennement diffusées ici et là. Au Togo de Faure Gnassingbé, aucun sacrifice n’est trop grand quand il s’agit de conserver le pouvoir. Même s’il faut faire tuer tous les nourrissons, ainsi que le fit Hérode.
Une répression gratuite, arbitraire et innommable
Un fait inouï permet de s’apercevoir du caractère excentrique et surréaliste de la répression des manifestations du Collectif Sauvons le Togo la semaine dernière. Il s’agit de l’explication farfelue proposée par le ministre Latta aux jets de gaz lacrymogènes dans la paroisse Saint-Augustin d’Amoutivé. Pour le ministre, c’est le vent qui a travesti la direction des gaz et les a envoyés vers la paroisse. Explication plus curieuse que celles proposées par Pangloss dans Candide, celle du ministre Latta est l’expression de l’arbitraire et de la méchanceté gratuite dont le système s’est rendu coupable. Il faut avoir la tête soufflée au laser pour croire que le vent pourrait désorienter des gaz lacrymogènes au point de les déposer exactement dans des salles de classe et sous le saint sacrement. Il faut y voir tout simplement l’attitude d’un pouvoir qui n’a point d’arguments devant une ignominie qu’il a voulue et préparée.
A la vérité, rien ne justifie la répression policière de la semaine dernière. Même si l’objectif était d’empêcher le sac des biens privés, on ne peut pas croire qu’il ne puisse exister d’autres façons de le faire que de charger des centaines de citoyens, sans gêne aucune. Il était possible de faire savoir aux responsables du Collectif que des manifestants se livraient à des actes de vandalisme et les informer que si cela continue, la manifestation pourrait être arrêtée. Il était également possible de boucler les différentes entrées au marché central et d’empêcher ainsi les supposés vandales de commettre leur forfait. Aucune de ces solutions n’a été envisagée. Comme si les responsables de la police et de la gendarmerie ne pouvaient pas réfléchir plus loin, ils ont choisi, curieusement, de violenter gratuitement des citoyens, de les malmener et de leur montrer qu’on les déteste. C’est une répression aveugle, innommable, arbitraire et gratuite. Les gens intelligents et sensés feraient bien autrement.
Chose encore plus grave et plus regrettable, il y a sûrement répression et répression. Les forces de police et de gendarmerie de notre pays ont pris l’habitude de traiter des manifestants anti Faure Gnassingbé comme des pestiférés, des sous-hommes ou des ennemis pareils à des vermines qu’il faut écraser, sans pitié. A moins qu’on en apporte la preuve contraire, ce sont des forces de sécurité et de défense formées sur mesure, dressées pour traumatiser et tuer leurs compatriotes qui commettent le crime de lèse-majesté de ne pas être d’accord avec le fils d’Eyadema. Les images et les scènes parlent d’elles-mêmes. Il y en a sur internet, offertes à l’appréciation du monde entier. Coups de rangers, coups de matraque d’une rare violence, grenades lacrymogènes lancées dans le but à peine voilé de faire mal et non de dissuader, utilisation de balles à blanc, violation de domiciles privés, harcèlement, voilà entre autres les pratiques constatées mardi et mercredi derniers, toutes choses qui n’ont rien de commun avec la norme en matière de maintien d’ordre. La conclusion est simple : on a fait de la violence gratuite et arbitraire dans le but inavoué de réduire au silence des adversaires politiques, des citoyens avant et après tout.
Faure Gnassingbé n’est pas digne de confiance
On n’a pas besoin de chercher longtemps dans l’actualité socio-politique nationale, récente ou lointaine, pour trouver les raisons de la perte totale de confiance et de crédibilité du président Faure Gnassingbé. Elles sont légion mais on peut se contenter d’en souligner deux : le sort réservé à l’Accord Politique Global et la banalisation du challenge de la réconciliation.
Il est devenu même redondant et lassant d’évoquer à tous les coups l’accord du 20 août 2006. Ce qu’on a appelé Accord Politique Global et qui a fait croire à beaucoup de Togolais que le ciel politique du pays allait quitter le noir épais vers le clair obscur puis vers le clair absolu n’est plus aujourd’hui qu’un cauchemar pour les uns et les autres. C’est naturel : en politique, chaque acteur a toujours des intentions inavouées, des plans B, pour couper court. Cependant, dans le cas du Togo, au lieu d’un plan B, Faure Gnassingbé et ses compagnons ont purement et simplement manqué, choisi , de ne pas tenir leurs promesses. C’est ainsi que la substance des réformes prévues dans cet accord attendent toujours de devenir réalités. Peut-être Faure Gnassingbé a-t-il oublié l’esprit dans lequel cet accord a été signé ; argument à vite rejeter puisque Me Agboyibo, principal artisan de cet accord, est encore là et ne manque jamais l’occasion de rappeler les engagements pris après le président d’UNIR en août 2006.
En six années, seules quelques artifices ont été jetés à la face de ceux qui réclament encore les fruits attendus de cet accord. Les réformes sensibles susceptibles de décrisper les rapports politiques dans le pays sont bloquées, Faure Gnassingbé et les siens ayant choisi de jouer mauvais jeu en reportant toujours à plus tard la conclusion d’un consensus sur les questions de limitation du mandat présidentiel, des conditions d’éligibilité, de la composition et du fonctionnement de la commission électorale et de la Cour constitutionnelle, entre autres. Combien de dialogues n’a-t-on pas ouverts à cet effet ? Après avoir fait obstacle pendant des années, le camp au pouvoir trouve très récemment que le temps jouait contre le pays et qu’il faut seulement discuter des questions concernant les législatives. Roublardise au degré achevé. D’où la question que posent différents observateurs : quel crédit peut-on accorder au président Faure Gnassingbé s’il ne peut pas tenir ses promesses ?
Le deuxième élément d’appréciation concerne la question de la réconciliation. Plus que le Graal, la réconciliation est l’objet d’une quête permanente pour les politiques togolais. Hier et aujourd’hui, sans doute demain, tout le monde a appelé à la réconciliation. La dernière tentative a pris la forme d’une commission vérité justice et réconciliation. Pendant près de 3 ans, une commission a travaillé dans le but de réconcilier les Togolais. C’est l’exemple sud-africain qui a inspiré les acteurs politiques. Au bout, c’est une lapalissade de dire que le champ est toujours rempli d’ivraie et d’herbes folles. Fait important à souligner : le rapport de la commission a mis l’accent sur la nécessité de protéger et de garantir la liberté d’expression et de manifestation sur la voie publique. Recevant ledit rapport, Faure Gnassingbé a promis de mettre en œuvre ses recommandations. Quelques mois plus tard, des milliers de citoyens sont privés de ces libertés ; on en moleste et matraque sans ménagements bien d’autres parce qu’ils manifestent. C’est une preuve troublante que Faure Gnassingbé ne veut pas poser les actes à forte signification qui pourraient aider à réconcilier les citoyens du pays. « C’est décevant et en même temps inquiétant » commente-t-on au sein de l’opinion.
La répression n’est pas la solution
Face aux revendications du Collectif Sauvons le Togo soutenu par des centaines de milliers de Togolais, Faure Gnassingbé a choisi le bâton. Répression, arrestations et emprisonnements. Il peut arriver que des responsables soient jugés et jetés en prison, si c’est la volonté du Prince. Mais il est vital de souligner que cette solution n’est que la solution de la facilité et des faibles. La violence est le propre des faibles et de ceux qui n’ont pas d’arguments ni de légitimité, dit-on souvent. Faure Gnassingbé ne résout rien en choisissant la fuite en avant et la politique d’autruche. Feu Eyadema en a fait de même mais la contestation de son pouvoir n’a pas cessé. Jusqu’à sa mort, il s’est trouvé des citoyens, politiques ou membres de la société civile, pour pourfendre son pouvoir et en prêcher la fin.
Il ne sert donc à rien de mettre en prison des responsables ou de terrifier les populations par la violence gratuite. Kadhafi a traité de rats les Libyens qui se sont révoltés contre lui ; Moubarak a commencé à réprimer les Egyptiens qui criaient « y en a marre » sur la place Tahir ; Ben Ali et d’autres aussi ont fait de même. L’histoire enseigne, en dépit de tout cela, que ces choix de la facilité ne sont jamais des solutions pertinentes aux aspirations des peuples brimés et opprimés. Gilchrist Olympio a baissé la garde, ce n’est pas pour autant que d’autres citoyens n’ont pas repris le flambeau pour poser les mêmes problèmes. A y voir de près, tout est réuni pour que le schéma se répète, d’année en année, d’élection en élection.
En conséquence, on doit attirer l’attention de Faure Gnassingbé sur la vérité selon laquelle il y a mieux à faire que de vouloir briser la dynamique du CST. Ce qui est plus sensé et plus utile pour le pays, c’est de prêter attention aux revendications de ces Togolais et de réfléchir à la bonne solution à apporter au problème posé. Ce n’est pas un problème nouveau et à ce titre, Faure Gnassingbé ne peut pas ignorer ce qu’il faut faire pour sortir le pays de la crise politique permanente. Comme l’y a invité le Quai d’Orsay, Faure Gnassingbé doit voir la réalité en face, peut-être pour une fois. Si ce monde fou s’est agglutiné dans les rues marchandes de Deckon le mardi 12 juin dernier, c’est qu’il y a un problème réel dans le pays. Seule une résolution pertinente de ce problème peut apporter la vraie paix pérenne dans le pays. Tout autre choix ne peut produire que la paix des cimetières. A Faure Gnassingbé de jouer, les Togolais seront intéressés de savoir qu’il prend en compte leurs aspirations, leurs souffrances morales et leur désolation. Le jeu en vaut la chandelle, à coup sûr.
Nima Zara
Le Correcteur N° 352 du 18 juin 2012