Faure Gnassingbé ou la vacance avérée du pouvoir

Des vœux de rue aux Togolais !


                « Les grandes pensées viennent  du cœur »,soulignait VAUVENARGUES dans ses Réflexions et maximes. Quand les épreuves surviennent pour toucher l’âme de la cité qu’est la jeunesse, quand les populations desquelles on veut puiser sa légitimité est dans la misère, quand  l’effervescence nationale exprime l’abîme  populaire, quand la jeunesse de toute une nation bat le pavé, quand partout se dressent  des barricades dans le pays avec de hautes flammes, quand les enseignants, les médecins ruminent publiquement leur calvaire, quand l’insécurité au galop broue la vie des jeunes filles dans  la cité, il y a une humanité qui s’éveille en chaque citoyen et ne peut laisser indifférent le garant de la paix civile. Le cœur qui est dans sa noblesse est prompt devant la misère humaine. Il a un élan, un épanchement qui irrésistiblement, lâche des émotions, des pensées, des mots pour consoler et se charge d’une puissance pour trouver les solutions les plus défendables et les plus viriles dans le but de sauver l’Homme du dépérissement de ses conditions épouvantables d’existence et de toutes les abominations qui le privent de son piédestal d’humain-patron.

                Face à l’événement, les hommes de qualité sont commandés par leur cœur parce qu’il y a une espèce de honte pour tout homme sérieux d’assister impuissant à la déchéance de l’Homme dans l’indifférence, le mépris et l’arrogance. C’est à ce titre  que l’histoire nous montre que le vrai chef est un maître. Il ne peut usurper sa place  et le hasard ne le place jamais là où il est, sur son siège. Face à l’épreuve, il a toujours des ressources intellectuelles, morales, éthiques, humaines pour réinventer l’espoir. Bien mieux que du talent, il a de l’ingéniosité et son engagement est audible. La parole du vrai Chef mobilise et ses actes rassurent tout le monde. Au regard de ses capacités, de son dévouement à la cause commune, au combat existentiel de son peuple, il inspire confiance et respect.

                Ce à quoi les Togolais ont assisté la veille de l’An est un acte de berger qui a brûlé son bâton de commandement et son accoutrement pour cuire un œuf en guise de fête. Faure GNASSINGBE est un berger qui n’a pas son temps pour ses moutons. Le berger obéit tout au moins aux astres qui lui indiquent le temps. Le temps règle une quantité de choses quand on sait le prendre. Le temps  nous révèle de mieux en mieux que Faure n’est pas dans son rôle. On lui a juste prêté un costume de capitaine pour un navire  qui est dans une tempête alors qu’il ne sait pas lire une boussole. Maurice BLANCHOT a raison d’écrire dans Espace littéraire : « Là où la légèreté nous est  donnée, la gravité ne manque pas ».

                Des vœux du Chef de l’Etat sans les jalons du futur de notre pays est une grande moquerie servie aux Togolais la veille de l’An, un peuple considéré comme un « ça fait rien », un fantôme.

                Comment un tel homme peut-il encore  nous regarder  dans les yeux, solliciter notre confiance alors qu’il nous méprise souverainement à toutes les occasions ?

                Quand on tient à un homme et par extension à une communauté, les motifs de l’action ne viennent –ils pas tout seuls, sans effort, avec un capital affectif répondant aux exigences de chaque moment ?

1) Panorama des vœux et leur sens

Sept longues années s’égrènent sans que les exploits de Faure n’épuisent les surprises aussi ahurissantes que rocambolesques qui, de part en part, ont copieusement lézardé son pouvoir pour le laisser choir comme un épouvantail usé par les intempéries. Un jour, cet homme manquera avec ses échantillons à la laideur proverbiale de notre pauvre Togo. Dans sa tour d’ivoire, au couvent de l’aveuglément et ivre de ses jouissances et avantages personnels, l’inertie garantit son pouvoir et le silence fait sa légende.

Dans ses surprises, il procède par gradation. Ses morceaux livrés au peuple togolais aussi croustillants que spéciaux provoquent l’irritation d’un peuple saturé par une foire aux actes libertins qui déclassent notre République. Mais, le plus curieux du règne sans couronne de Faure, c’est l’esprit d’assujettissement qui le motive à vouloir tenir ce peuple dans les fers et dans la répression. Peut-être a-t-il cru l’avoir conquis dans un fleuve de sang et qu’il ne peut le contenir que par la terreur. Malheureusement, l’autoritarisme n’a jamais servi à construire l’autorité. Tous ceux qui pensent que la force  assure le triomphe sur les peuples sont trop pauvres d’esprit pour continuer à garder le pouvoir ou l’exercer. C’est la justice qui confère au Prince le sceptre ou le bâton de commandement. Paul CLAUDEL dans son œuvre La ville sait comment  meurent les tyrans pour en arriver à cette conclusion si édifiante qu’« il est plus laborieux de conduire les hommes par la persuasion que par le fer ». L’arme intelligente de la persuasion ne tombe pas du ciel. Elle n’est pas non plus logée dans la puissance divine à évoquer pour espérer consoler les peuples en grande détresse. Elle est une force qui s’élabore  en l’individu dans la culture, la méthode, le savoir-être, le savoir-faire et un scrupuleux sens de la justice qui résultent d’une longue propédeutique, une préparation lointaine avec une volonté de servir dans la droiture et l’honneur. Faure a enseigné tout au moins quelque chose de fondamental à tous les Togolais : n’importe qui ne peut s’improviser chef. Autrement, il court le risque d’envoyer la communauté dans les ravins. Nous y sommes !

D’écho en écho et dans un monde globalisé, nous voyons ce que font nos voisins aussi bien que les pays lointains. Ils choisissent leurs chefs, les accompagnent avec une grande générosité dans l’effort en soutien de leur choix pour bâtir leurs pays. Bilan, protection, civilité, respect et espérance leur sont garantis. Leur progrès est fort enviable. Dans notre orphelinat togolais, nous avons vu par-dessus nos frontières le bilan et les perspectives de Yayi BONI de la République du Bénin ; Goodluck Jonnathan est revenu particulièrement sur le terrorisme, ses traumatismes  sur son pays avec une sollicitation de son peuple pour mettre fin aux actions de la secte Boko Haram. Au Mali TOUMANI Touré, après ses deux mandats et son bilan, garantit une élection transparente à tous les Maliens. En Côte d’Ivoire, la question sécuritaire suite à la crise postélectorale est le point focal de la démarche d’Alassane OUTTARRA… il serait fastidieux de faire le tour du monde sur les différents messages des dirigeants. Aucun n’a occulté les vrais préoccupations et enjeux nationaux parce qu’ils se sentent si près de leurs populations, les respectent et ont de réelles ambitions pour elles.

Faure GNASSINGBE est le seul qui ignore les péripéties douloureuses de son peuple quoique la Constitution le contraigne à un bilan annuel sur l’état de la Nation devant les députés de l’Assemblée Nationale. Il s’y dérobe parce qu’il est au-dessus de toutes les lois et est parfaitement incapable  de trouver les mécanismes susceptibles de réinventer l’ aurore d’un pays tombé au fond de la corruption où fleurissent les résidences de l’impunité, des violations des Droits Humains, le chômage, la déliquescence morale et la décrépitude économique avec une justice sociale sonore dans ses horreurs pour couver une cascade de revendications sociales, scolaires et estudiantines. Quel peuple au monde peut-on gérer par l’étonnant pouvoir du silence, de l’inaction et de l’absence ? Le constat d’un pouvoir invisible et inaudible développe  en politique une force d’inertie qui phagocyte la personnalité du Prince et ruine progrès et espérances. De balbutiements en balbutiements sur les réformes que nous impose l’APG (Accord Politique Global) depuis sept années, de reculades en reculades sur la question sociale, nous sommes tombés dans un goulot d’étranglement de la misère crasse avec une apparente angoisse existentielle. Celui qui doit baliser l’avenir est dans une évasion obséquieuse de Dieu et se dispense de l’effort, de la persuasion et des jalons de l’avenir. En quatre minutes de bilan et perspectives tabous, il évoque trois fois Dieu pour venir au secours des Togolais. Cet aveu d’impuissance montre que cet homme joue avec la vie des Togolais. L’ambition dont on n’a pas les moyens n’est-elle pas un crime ?

2) Conséquences d’une politique de l’absence

                Les illusions et les prétentions nous perdent le temps pendant que le monde entier progresse. Tout homme qui n’a pas le sens de l’engagement est dans un désistement qui ne dit pas son nom. Il ne faut pas espérer que Faure GNASSINGBE change, parce qu’il demeure dans la diversion. Comme l’écrit Georges CLEMENCEAU dans son Discours de guerre «  L’homme absurde est celui qui ne change jamais ». Le peuple togolais est trop grand pour Faure, ce n’est pas son affaire ! Il n’est ni un meneur d’hommes ni celui qui a un sens élevé du partage pour être à ses côtés. Il n’est pas non plus un maître, c’est-à-dire, celui qui dans l’ordre impossible et face à l’histoire, est capable d’actes  de héros. Même dans l’ordre normal de l’exercice du pouvoir, il n’est qu’absence et déception. Or, en politique, comme l’écrit NAPOLEON 1er dans ses Lettres : « Il n’est point de petits événements pour les nations et les souverains : ce sont eux qui gouvernent leurs destinées ». Nous n’avons d’autre choix que de tirer toutes les conséquences de ce qui nous arrive parce que nous n’avons pas le droit de mettre au bûcher la vie des hommes et l’avenir de nos enfants. C’est le choix libre qu’un peuple fait de lui-même qui s’identifie avec sa destinée. Refusons de nous mettre à la remorque des caprices de nos dirigeants qui lorgnent du côté de leurs comptes, de leurs avoirs, de leurs maîtresses, de leurs évasions coupables et ne prennent jamais le temps de réflexion pour penser l’horizon commun.

                La nation togolaise est malade de son chef, de sa distance, de son mutisme, de son jeu d’invisibilité, de sa diversion chronique, de son mépris, de ses songes et rêveries solitaires, de ses promesses oiseuses, de ses échecs intarissables. L’exaspération est au zénith dans toutes les catégories socioprofes-sionnelles et même dans le cœur de nos enfants. Notre terre est flambée de misère dans une gouvernance au pétard de la corruption, de l’avidité du gain. Le « Club du petit » aux canines tranchantes s’offre plus de dîners qu’il n’en éprouve faim et la vie étincelante qu’il mène au royaume de l’impunité laisse apparaître qu’il n’y a ni maître ni dieu dans ce pays pour ordonner des mesures face au désordre et nourrir le peuple. Pendant ce temps, et on ne sait jusqu’à quand, le pays est mis sur des cales et pourrit tranquillement. Nous l’avons en partage. La conscience de cette réalité est à présent en effervescence dans les cœurs de nos concitoyens de toutes les contrées, de toutes les régions et le sursaut national pour la défense de notre legs, de notre héritage, de notre patrie s’arme davantage dans une ligue nationale pour l’avenir. Un pays laissé en jachère et dans la caverne de l’indigence doit être son  propre héros. Comme l’écrit Paul CLAUDEL dans L’Annonce faite à Marie « Les gens ne sont des héros que quand ils ne peuvent pas faire autrement ».

                Le destin ordonne à tous les Togolais de se battre irrésistiblement contre toutes les misères de la mauvaise gouvernance. Ce contre quoi nous nous insurgeons, ce sont les malheurs artificiellement créés à notre peuple par une oligarchie qui accapare tout, qui demeure dans le faux, le mensonge, des élections frauduleuses et qui est complètement sclérosée dans ses méthodes par rapport à la modernité de la gestion des hommes et des populations.

                Tout peuple frappé de mépris a l’exigence de prendre son destin en main et a le devoir sacré d’une solidarité combative  pour s’ouvrir  le boulevard du futur pavoisé de grandes ambitions qui refont le tissu national. Gouverner  un pays n’est pas un jeu. Quiconque fait de la vie d’une nation une plaisanterie apprend des leçons de ses écarts à ses  dépens. Faure  est un capitaine sans gouvernail.  Notre navire est dans  la tempête et le capitaine n’a ni pensée, ni imagination, ni parole. Il n’a que Dieu ! Ce style s’accommode bien à un « Django, prépare ton cercueil »,  « je n’ai rien à dire, je n’ai rien à faire, je demande au curé de te donner  l’extrême onction, Amen ! ».

                La révolte  des Togolais à propos des vœux de rue du « Leader nouveau » est tout à fait légitime. Aucun peuple  ne peut accepter d’être traité comme un machin, un truc, un bidule, une chose. Où peut-on gérer les hommes en portant un bandeau sur les yeux ? Ceux qui ont vanté les compétences universitaires de Faure ont dupé le peuple parce qu’il est en fait plus vieux que son père et ne répond à aucune exigence de son époque. Il a pris le pouvoir dans des conditions les plus abominables ; il ne mérite même pas qu’un seul Togolais soit sacrifié pour son trône. Aujourd’hui, ses prouesses dramatiquement édifiantes ont fini de convaincre les Togolais du gâchis et du temps perdu. Il est venu, tous les Togolais l’ont vu et en tirent les conclusions à la source D’une autre vie de Joël BOUSQUET : « Celui qui a vu son semblable au plus bas de la déchéance n’a plus les mêmes yeux : il a détruit  sans le savoir le mur qui séparait l’homme et son image ».

 

Didier Amah DOSSAVI

L’Alternative N°110 du 10 janvier 2012