Faure Gnassingbé, le peuple vous regarde et peut-être pas pour longtemps

REFLEXION :

Le dernier virage d’un poison lent

Les grondements de la rue et les revendications sociales peuvent se révéler un poison lent pour le système en place. Alors que certains s’évertuent à faire croire que ces mécontentements sociaux sont un pétard mouillé, la réalité peut réserver des surprises. L’un après l’autre, la rue a fait tomber des régimes et l’apparente accalmie est loin de promettre un paradis.  Les systèmes qui se croyaient dans une citadelle imprenable sont démystifiés. Le régime togolais, puisqu’il est question de lui, plie mais ne rompt pas, du moins pour l’instant. Au lieu de tirer partie de cet avantage pour corriger le tire, il s’abonne au dilatoire, à la  course en avant. L’autorité n’est pas capable de tirer profit du fait que le feu ait commencé ailleurs. Ça n’arrive qu’aux autres, surtout pas à ceux qui sont ‘’nés sur un fauteuil’’, estime-t-elle.

Le contrat social veut que partout la population monnaie une part de sa liberté au service d’une autorité détentrice du dernier mot. Ce contrat ne passe que par des élections crédibles dont les résultats reflètent l’expression populaire. L’histoire retient tout de même plusieurs cas de figures où des dirigeants ont bâclé cette étape mais ils  se sont rattrapés très vite. Au Togo, non seulement l’autorité est en crise de légitimité, une légitimité qu’elle met toute son énergie à acquérir, mais aussi et surtout, elle est ulcérée par la grogne sociale qui risque fort de la balayer. Pour y palier, l’on a choisi, entre autres procédés, l’intimidation, l’achat de conscience, la menace de licenciement, la création de syndicats parallèles. Bref, tout est bon pour faire taire ceux qui commettent le crime de revendiquer un certain bien-être.

Tous les jours qui se lèvent arrivent avec des problèmes. Dans la recherche de solutions, l’autorité a toujours passé à côté de la cible. En politique, une population, quand bien même on peut l’estimer acquise, est imprévisible. Elle peut être un couteau à double tranchants. Ici, elle n’est plus prête à servir des bains de foule à chaque sortie du ‘’Führer’’ mais elle scande son ras-le-bol. Dos au mur, sans initiatives, ayant épuisé toutes les cartouches, les dirigeants paniquent, perdent les repères, répriment, mentent et de surcroit continuent à croire au miracle des coups de force auxquels ils sont abonnés.

Qui leur dira que le problème du Togolais est multidimensionnel? Qui leur dira que le Togolais est cancéreux d’une vie chère qui contraste drastiquement avec des salaires de misère ? Qui leur dira que le citoyen a assez écouté des discours dont il n’attend plus de miracle ; qu’il veut vivre un peut comme ses semblables des pays voisins ? Les voisins chez qui les salaires, pour le pire des cas, ont doublé depuis la dévaluation, et triplé au mieux des cas. Le Togolais veut qu’à défaut du mieux, l’autorité respecte, un tant soit peu, les textes alambiqués qu’elle s’est donnés dans la gestion du tissu social. Vous n’êtes pas sans savoir que le SMIG, même taillé sur mesure, n’est pas respecté dans plusieurs boîtes publiques. Il est de 35.000 FCFA officiellement, mais officieusement, il est de 26.000 chez les agents de la poste par exemple. Ailleurs il est encore en deçà. Et pourtant, le Gabon, par illustration, a un SMIG qui n’a rien à envier au salaire d’un cadre de catégorie A2 au Togo. Le salaire minimum inter garanti est de 150000 FCA au pays de Bongo.

Au Togo, on demande aux populations d’attendre. Et de quelle façon ? Avec une certaine arrogance qui pompe les nerfs, voire une violence qui, à tout moment, peut faire péter les plombes à une population qui a beaucoup encaissée.

Un petit parallèle suffit pour que les gens sachent que, si la situation n’est rose nulle part, elle reste pire voire critique au Togo. Sur le plan social, les pays du Maghreb sont sans commune mesure avec le Togo. La grogne sociale qui a démoli les Kadhafi, les Ben Ali ou encore les Hosni Moubarak….., est-ce pour autant dire qu’elle n’est pas assez prononcée au Togo pour renverser la vapeur ? L’autorité  croit que oui.  Si ailleurs tout est réuni et que les contestations continuent parce que l’homme, par instinct, est soucieux d’un perpétuel mieux-être, au Togo, on est encore à l’étape du combat pour le minimum vital. Mais, ceux qui ont grandi avec la cerise au berceau ne comprennent pas ou du moins refusent de comprendre. Ils croient toujours que tout est bien ‘’pour le meilleur des mondes possibles’’. Si les milieux où le social paraît mieux portant sont ébranlés, alors, sur quelle alchimie compte le régime togolais pour continuer par noyer, dans le silence, les droits les plus élémentaires des populations qui ne demandent qu’une vie décente?

Nous sommes très ravis de ce qu’une race de Togolais s’époumone à démontrer, à travers le monde que le Togo n’est pas en crise. Si, nous voudrions bien croire. Mais comment voudront-ils que le Togolais se contente éternellement des salaires de crise  dans un pays qui n’est pas en crise? Pendant ce temps, les citoyens sont témoins de gaspillages, et d’une triste situation où les richesses de l’Etat semblent  appartenir à une certaine caste, un cercle fermé où les richesses se passent d’une main à l’autre, entre les initiés.

Les richesses du pays sont aux mains de ceux qui ont le titre foncier sur les biens publics. Ils se sont enrichis, tellement enrichis que leur train de vie frôle l’opulence. Ils ont adopté un train de vie hors du commun parce qu’ils ont, quotidiennement, accès à une partie de la dîme sur les Togolais.

Désormais, les Togolais savent que leur sort est le même. Le temps de se servir de la fibre ethnique pour jouer aux prolongations au sommet de l’Etat est révolu. Le Kabyè, qu’il soit de Pya, de Kouméa ou de Lama, aligné derrière le système en place ou pas, sait dorénavant que si on avait eu des dirigeants normaux, sa région méritait une image plus enviable. Le Bassar sait que son sol  et sous sol sont assez riches pour mériter mieux que ce qu’il  a comme infrastructures. Le Kotokoli a cessé de se plaindre d’avoir été marginalisé parce que, même au pays de ceux qui dirigent, la population ne se porte pas mieux que lui. Le Mina  sait désormais que les richesses tirées des différents poumons de l’économie n’ont pas servi à construire un Yamoussoukro dans le nord du pays et que le retard accusé n’a rien à voir au fait que le dirigent soit un Kabyè mais au fait d’un système. Le militaire sait, grâce aux différentes missions de l’ONU, ce que pèse un militaire hors des frontières togolaises. Tout simplement, le pays a eu la malchance de tomber dans le giron d’une caste sans initiative, très peu aguerrie et en deçà des attentes de sept millions d’âmes.  Les Togolais ont cessé de s’en prendre les uns aux autres et ils  savent que le dénominateur de leur misère est commun. Loin d’en prendre conscience, Faure  GNASSINGBE grossit le nombre de détenus politiques. Le salaire du Togolais reste encore le plus bas de la sous-région et l’un des  plus dérisoires en Afrique.

Les  plus forts continuent par afficher leur arrogance, la java continue d’en haut et les invités de marque arrêtent,  de temps en temps leurs escapades,  pour regarder par le balcon le peuple qui se bat contre un quotidien à la lisière de la misère. Dans les discours, on fait tout de même croire qu’il y a la place pour tout le monde.

Drôle de politique sociale ! Le peuple vous regarde et peut-être pas pour longtemps, à moins que vous reposiez sérieusement le problème.

Contrairement aux autres pays, le Togo est une démocratie surveillée où les violations quotidiennes des droits humains s’ajoutent cyniquement à la faim. Les élections ont fait leur preuve. Nous connaissons désormais leurs  limites. Mais de la contestation politique contre une monarchisation du pouvoir, à la grogne sociale en passant par les conflits intestinaux, Faure a toutes les chances de sortir par la petite porte, à moins qu’il ne descende de son piédestal pour savoir qu’il n’est pas né Pharaon et qu’il vaut mieux abandonner les bonnes choses avant que celles-ci ne l’abandonnent.

Le citoyen

Le Rendez-vous N°176 du 18 Octobre 2012