Dossier : Affaire Kpatcha, dissolution du RPT, Koffi Kounté, Université de Kara
Le régime incarné par Faure Gnassingbé s’acheminerait-il vers sa fin ? Répondre par l’affirmative serait peut-être trop osé. Mais, tout porte à croire que c’est le cas. Car, les événements de ces dernières années, de ces derniers mois, voire de ces dernières semaines, sont plus qu’illustratifs de la déchéance prochaine du chef de l’Etat togolais devenu impopulaire et contesté aussi bien dans son entourage que dans le pays. Les rancœurs nées contre la personne du président de la République dans la condamnation de Kpatcha Gnassingbé et co-accusés; les ennemis que se fait le Chef de l’Etat dans son propre camp du fait de son projet de dissolution du Rassemblement du Peuple Togolais (RPT) et de création de sa nouvelle formation politique; la déculottée infligée au pouvoir par Koffi Kounté dans l’affaire de charcutage du rapport authentique de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) suivie des accusations de tortures venant d’organisations tant nationales qu’internationales de défense de droits de l’homme à l’endroit du régime; voilà autant d’éléments qui prouvent que le pouvoir de Faure Gnassingbé est en train de vaciller, malgré sa sérénité apparente. Quand on y ajoute les contestations sans cesse grandissante venant de Kara (fief du régime), et l’hostilité qu’affiche le peuple vis-à-vis du régime et de sa gestion du pays, il y a de quoi se poser des questions. A l’analyse, la goutte d’eau qui fera déborder le vase est suspendue, et risque de tomber, si on n’y prend garde.
Dossier
Tout a commencé en février 2005 après la mort de Gnassingbé Eyadéma. Les caciques du pouvoir, avec le soutien de l’armée, décideront d’imposer aux Togolais l’un de ses progénitures, en l’occurrence Faure Gnassingbé, en violation flagrante des règles constitutionnelles. C’est ainsi que, par un tour de passe-passe opéré par l’Assemblée nationale au service de la cause, ce dernier, qui était dans le gouvernement Koffi Sama en qualité de ministre de l’Energie et de l’Equipement, retrouvera en seulement quelques heures son siège au parlement, sera propulsé au poste de président de l’Assemblée nationale puis au sommet de l’Etat. Puisque la Constitution togolaise prévoit qu’en cas de décès du chef de l’Etat, celui-ci est remplacé par le président de l’Assemblée nationale qui se charge d’organiser les élections dans un délai de deux mois.
Mais, l’opposition du peuple togolais, ajoutée aux condamnations de la Communauté internationale feront reculer dans un premier temps Gnassingbé fils et ceux qui essayaient de l’imposer. Très réticents au départ à l’idée de respecter la Constitution, ils choisiront finalement de prendre le pouvoir par la voie des élections. Mais, sachant bien que le peuple togolais le désavouera dans les urnes, le régime RPT, au lieu d’un scrutin en bonne et due forme, se préparait plutôt à massacrer les Togolais, quitte à conserver le pouvoir contre vents et marées.
Mais, à quelques jours du scrutin, ce que d’aucuns ont qualifié d’incroyable se produisit. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, l’officier supérieur de gendarmerie, François Akila Esso Boko, pur produit du régime, pris son courage à deux mains pour révéler au grand jour le génocide qui se préparait. Il sera du coup considéré comme l’ennemi n°1 du régime, menacé de mort et contraint à l’exil. La suite, on le connaît : une mascarade électorale, des militaires emportant les urnes avant la fin du dépouillement et des soldats tirant sur des populations civiles avec à la clé des centaines de Togolais tués. En contraignant à l’exil François Boko, un Kabyè, le régime à peine naissante de Faure Gnassingbé venait ainsi de se mettre à dos une partie des Togolais appartenant à cette ethnie.
L’affaire Kpatcha Gnassingbé
Elle constitue sans nul doute non seulement l’un des épisodes les plus sombres de l’ère Faure, mais aussi l’affaire qui aura le plus éprouvé, ébranlé et divisé la famille Gnassingbé jusqu’alors soudé, du moins en apparence.
Accusé de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat en avril 2009, Kpatcha Gnassingbé, le demi-frère du chef de l’Etat et l’un de ceux qui ont activement contribué à son avènement au pouvoir, a été attaqué à son domicile, arrêté quelques jours plus tard et emprisonné. Dans la même affaire, d’autres Gnassingbé, demi-frère et cousins du président de la République, ainsi que certains officiers supérieurs de l’armée, originaires en majorité du nord du pays et plus précisément de Kara, seront également mis aux arrêts. Ces arrestations, notamment celui des Gnassingbé, ont suscité une vague d’indignation dans la famille présidentielle. Faure Gnassingbé sera accusé par les autres membres de sa famille de sacrifier ses frères pour ses intérêts personnels. En dépit de l’intervention de ses oncles paternels visant à le convaincre de relâcher ses frères pour recoller le tissu familial gravement déchiré, rien n’y fit. Kpatcha Gnassingbé et ses co-accusés seront détenus et copieusement torturés à l’Agence Nationale des Renseignements (ANR) pendant plus de deux ans. Ils seront finalement jugés en septembre 2011 et écoperont de lourdes peines de prison.
Jusqu’à ce jour, nombreux sont les Togolais qui doutent de l’équité de ce procès qualifié d’injuste par les avocats de la défense. Par ailleurs, nombreux sont également ceux qui se posent jusqu’alors la question de savoir si la fameuse tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat a vraiment existé. Bref, n’a-t-il pas été une histoire créée de toute pièce pour écarter un adversaire potentiel ? La question mérite d’être posée. Ceci, compte tenu du fait que bien avant qu’il ne soit impliqué dans l’affaire de coup d’Etat, Kpatcha Gnassingbé n’était plus en odeur de sainteté avec son frère. Pire, sûr de sa capacité financière et de la popularité dont il jouissait surtout dans la partie septentrionale du pays, l’ancien ministre de la Défense voulait se présenter à l’élection de 2010. Des rumeurs avaient même fait état de ce qu’il a commandé quelques mois plus tôt des tee-shirts à son effigie pour la campagne électorale. Voilà, de l’avis de certains observateurs avisés de la scène politique nationale, les véritables raisons qui ont motivé l’arrestation du député de la Kozah.
En plus du demi-frère, plusieurs autres personnes dites proches de lui continuent une traversée du désert. Dans la foulée des interpellations, le pouvoir a mis les bouchées doubles à des moments stratégiques. Le sieur Esso Dieudonné Kassiki, considéré comme fournisseur d’armes à travers des transactions de transit du port de Lomé, à été interpellé depuis son exil de la Côte d’Ivoire. Les armes dont il s’agit seraient entre autres celles retrouvées au domicile du député de la Kozah (nord du Togo) et présentées à la presse.
C’est le Colonel Mohamed Atcha Titikpina, ministre de la Sécurité et de la Protection civile du Togo à l’époque, aujourd’hui Chef d’Etat Major Général des Forces Armées Togolaises qui est allé en personne, dans un avion spécial, chercher le prévenu à la base aérienne du GATL (Groupement aérien de transport et de liaison) d’Abidjan-Port Bouet. Dans la foulée, des expéditions successives ont été effectuées dans toutes les zones suspectées. Au quartier Bè Kpota par exemple, c’est un électricien auto, Goncalves Serge Foli, responsable d’un garage, qui a été visité pour le fait que des véhicules contenant des armes ont été conduits à son garage. C’est l’un des chauffeurs de Kpatcha Gnassingbé, un certain AMEGAN Pierre, aujourd’hui disparu, qui aurait conduit les fameux bus contenant des armes au garage en question. Un apprenti, Coovi Mawuena a été pris à partie pour dénoncer son patron, visiblement agressé. Poursuivi jusqu’à son dernier retranchement en octobre 2009, après l’arrestation du sieur Kassiki, le sieur Goncalves aura pris le large, sans doute recherché, puisqu’après le procès, toutes les personnes supposées proches de Kpatcha Gnassingbé restent dans le collimateur du pouvoir.
Avant Esso Kassiki, c’est un de ses amis, officier de police qui aurait été arrêté il y a quelques mois alors qu’il était venu récupérer des effets de ce dernier auprès de sa femme.
Hommes d’affaires, particuliers, employés, fonctionnaires proches de Kpatcha ont perdu la plume dans cette affaire d’atteinte à la sureté de l’Etat.
Tout compte fait, cette affaire a laissé trop de stigmates pour ne pas avoir tôt ou tard des répercussions sur le pouvoir. En condamnant d’une part ses frères Gnassingbé et de l’autre des officiers supérieurs de l’armée qui sont de surcroît des gens de son ethnie à de lourdes peines de prison, et en envoyant en exil plusieurs Togolais et étrangers jugés proches de Kpatcha Gnassingbé, Faure se créer toute une pépinière d’ennemis dans son propre camp. Car, que le régime actuel le veuille ou pas, Kpatcha jouit d’une popularité dans le nord du pays surtout auprès de ceux qui sont encore nostalgiques des méthodes de son père. Ces pro-Kpatcha ne seront probablement plus une base électorale certaine pour Faure Gnassingbé.
Ceux d’entre les détenus qui ont été libérés, notamment les militaires, ne sont pas à oublier. Après leur libération, ils ont été injustement radiés de l’armée, sans aucune indemnité. Aujourd’hui, ils sont laissés à eux-mêmes. Sûrement qu’ils n’hésiteront pas à régler leur compte au pouvoir lorsque l’occasion se présentera à eux de façon assez légitime et légale, nous supposons.
La dissolution du RPT
Elle était annoncée pour le 28 janvier dernier et devait avoir lieu à Blitta, au centre du pays. Mais elle a été reportée pour une énième fois. De sources proches du pouvoir, on a expliqué ce report par des raisons liées d’une part à la participation du chef de l’Etat au sommet de l’Union Africaine et d’autre part aux obsèques de Gachin Mivedor, ancien bras droit du Général Eyadéma. Mais, les véritables raisons de ce report se situent ailleurs.
En effet, nul n’ignore que le pouvoir s’est divisé en deux camps antagonistes depuis que « les nouveaux amis » de Faure Gnassingbé lui ont inculqué l’idée de dissoudre le RPT et de créer une nouvelle formation politique. D’un côté, il y a les rénovateurs, favorables à la disparition de l’ancien parti unique, et de l’autre, les conservateurs, hostiles à toute dissolution du RPT. « Faure peut créer son nouveau parti s’il le désire. Mais, qu’il laisse le RPT tranquille. Autrement, il aura affaire à nous », ont-il l’habitude de murmurer dans l’ombre, estimant avoir été déjà suffisamment marginalisés par le chef de l’Etat malgré tous les services à lui rendus, pour se voir encore priver du RPT, le seul parti auquel ils s’identifient. C’est justement ces conservateurs qui sont prêts à tout mettre en œuvre pour empêcher la dissolution du RPT, au point de chercher à tout faire capoter à chaque fois qu’une date est fixée pour procéder à l’ « enterrement » du parti cher à Gnassingbé Eyadéma. Ils ont d’ailleurs une fois de plus réussi à reléguer aux calendes grecques le congrès qui devait se tenir le 28 janvier dernier. Selon certaines indiscrétions, la rencontre de Blitta avait été reportée au dernier moment parce qu’une surprise désagréable attendait Faure Gnassingbé. En effet, des personnes hostiles à la rencontre avaient préparé des jeunes à qui ils ont confié la mission non seulement de huer le chef de l’Etat à son arrivée sur les lieux, mais aussi de lui crier dessus lors de la prononciation de son discours. Bref, tout a été bien ficelé pour perturber les assises.
Pour ne pas perdre la face, il est fort probable que Faure Gnassingbé finisse par dissoudre le RPT et créer son nouveau parti, par la force. Mais, ce ne serait pas sans risque et sans menace pour sa personne et son pouvoir au vu de l’hostilité qu’affichent les « conservateurs » vis-à-vis de son projet. Faure est averti.
L’affaire Koffi Kounté
Cette affaire est plus que révélatrice de la fin probable du régime actuel. Car elle aura prouvé, qu’à l’instar de François Boko, il y a encore des personnes courageuses, qui ne sont plus disposées à cautionner les errements du régime, quitte à être considéré comme des traitres. Koffi Kounté n’est certes pas un inconditionnel du RPT. Mais, il est le patron de la CNDH, une institution de la République. Et quand on sait qu’au Togo, les institutions sont le plus souvent aux ordres du pouvoir, il y a de quoi saluer l’abnégation de celui qui est désormais l’ex-président de la CNDH.
Tout compte fait, la principale leçon que doit retenir le pouvoir de l’affaire Koffi Kounté est qu’il n’est pas à l’abri d’une surprise désagréable. Le régime de Faure Gnassingbé, on le sait, a toujours compté sur l’armée pour frauder les élections et s’éterniser au pouvoir. Mais, autant des personnes comme François Boko et Koffi Kounté ont courageusement refusé de cautionner ces sales habitudes, autant des officiers courageux de l’armée peuvent se lever un de ces jours et décider de ne plus obéir aux ordres venant du haut sommet de l’Etat. Cela s’est passé sous d’autres cieux. L’exemple du Niger est encore présent dans les esprits. Le président Mamadou Tandja tenait à tout prix à briguer un nouveau mandat alors que la Constitution de son pays le lui interdisait. Pour y parvenir, il organisa, contre la volonté populaire, un simulacre de référendum qui lui a permis de sauter le verrou constitutionnel, plongeant son pays dans une crise politique sans précédent. Un matin du mois de février 2010, son palais présidentiel fut attaqué alors qu’il était en plein conseil des ministres. Son premier reflexe a été de prendre son téléphone et d’appeler au secours les éléments de la garde présidentielle. Quelle ne fut sa surprise quand il se rendit compte que ce sont plutôt ceux qu’il appelait à sa rescousse qui l’attaquaient. Le Togo n’est pas à l’abri d’un pareil scénario.
Par ailleurs, qui a aidé Koffi Kounté à quitter le pays ? Jusqu’alors, nul ne le sait. Or, il est très peu probable que le président de la CNDH sorte du pays sans l’aide de personnes haut placées. Dans l’entourage du président, on s’accuse mutuellement sans, jusqu’alors, trouver celui ou ceux qui l’ont aidé à partir. Etonnant n’est-ce pas ? Ceci est d’ailleurs la preuve que, dans l’entourage du chef de l’Etat, il y en a qui peuvent le trahir à tout moment, même s’ils sont originaires de Kara comme lui.
Les manifestations de Kara
Parlant justement de Kara, les événements qui se sont déroulés ces derniers mois dans ce fief du pouvoir prouvent à plus d’un titre que la chute de Faure peut aussi passer par le nord. Une partie que le pouvoir considère comme son fief. Encore faut-il que ce soit le cas. Au-delà de simples manifestations estudiantines, les mouvements qui sont devenus si récurrents dans cette localité s’apparentent de plus en plus à des revendications sociales. Une situation tout à fait normale quand on sait que la mauvaise répartition des ressources de l’Etat n’affectent pas que Lomé ou le sud du pays. Elle a bien plus de répercussions sur les populations du nord-Togo. Les Togolais de cette localité, au moment où ils mangent à peine une seule fois par jour, ne peuvent plus longtemps supporter de voir les amis de Faure Gnassingbé s’enrichir, se taper de grandes maisons et acheter de grosses voitures. Tôt ou tard, ils finiront par se révolter pour réclamer plus de justice et demander le départ pur et simple de ce régime.
Voilà autant d’éléments qui, pris ensemble, risquent de provoquer la chute précipitée du régime de Faure Gnassingbé. Apparemment, le chef de l’Etat et son entourage ne veulent pas le comprendre. Combien de temps resteront-ils encore au pouvoir en dépit de cette situation délétère que connaît le pays ? Un an, deux ans, trois ans, nul ne le sait. Mais, une chose est sûre. Aucune dictature, quoique cautionnée par une armée de milliers d’hommes, n’est éternelle. Elle finit toujours par tomber.
Isaac MAWUVI
L’Indépendant express N° 200 du 06 mars 2012